L'infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010

 

COMPARATIF

DOSSIER

MATHIEU HAUTEMULLE  

Confronter les salaires et les conditions de travail dans le public, le privé non lucratif et le privé lucratif ? Une gageure.

Vaut-il mieux être salariée dans un hôpital public ou dans un établissement privé ? L’alternative est discutée dans les couloirs, en réunion, en formation de cadres, sur des forums Internet. Et dès l’Ifsi. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 49 % des IDE débutent leur carrière dans le public. Dans les cinq années suivantes, « les infirmiers exerçant dans le secteur privé sont (…) passés dans le secteur public plus souvent que l’inverse »(1). Pour quelles raisons ? L’étude ne le dit pas.

Les critères de choix s’avèrent pourtant cruciaux. À plus forte raison en période de pénurie de personnels : les infirmières disposent d’une plus grande latitude pour s’orienter vers tel ou tel secteur. Voire tel ou tel établissement. Certaines institutions se lancent même dans des campagnes de promotion pour attirer les candidates. Le groupe public Paul-Guiraud, spécialisé en santé mentale, propose, sur son site Internet, des vidéos vantant le travail entre ses murs, les lignes de bus à ses portes, son jardin d’enfants ou encore son parc immobilier.

Des conventions particulières

Il est plus aisé, bien sûr, de connaître les avantages de chacun des trois grands secteurs sanitaires – public, privé à but lucratif et privé à but non lucratif – que ses inconvénients : les employeurs mettent plutôt en exergue les points positifs. Les témoignages de professionnelles souffrent, pour leur part, d’un écueil : présenter des ressentis individuels. Les syndicats, eux, planchent sur les salaires, mais refusent souvent de mettre en balance les conditions de travail d’un secteur à l’autre, estimant que tous les salariés sont logés à une même enseigne… peu reluisante. Enfin, les études sur les salaires ou le travail, souvent réalisées par la Drees, datent. Voire manquent. D’autant qu’il a longtemps été complexe d’observer les cliniques, entreprises soucieuses de discrétion.

Les rémunérations sont l’un des sujets les plus résistants aux comparaisons. Parce que les infirmières sont souvent « noyées », dans les statistiques, au sein de la catégorie « professions intermédiaires soignantes et sociales ». Parce que le salaire peut être plus élevé dans le privé en brut, mais plus faible en net, en raison des taux distincts de cotisations. Parce que, surtout, plusieurs systèmes cohabitent, dont trois principaux : les grilles de la fonction publique hospitalière ; la convention collective CCN 51 de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) ; la convention collective unique de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), pour le privé lucratif(2). Le public calcule les salaires de base par des échelons et un indice, le privé en multipliant un cœfficient de métier par un point. S’y ajoutent primes, indemnités et avantages très variés… Surtout au sein du privé à but lucratif, où la convention sert de plancher. Exemple : « Dans 14 cliniques de mon groupe, la valeur du point oscille de 6,80 (soit en dessous de la convention) à 7,70 euros », affirme Marie-Laure Jugé, de Sud. Qui souligne aussi, entre autres, des différences de prise en charge (ou non) des trois premiers jours de carence en cas de maladie (inexistants et, donc, payés dans le public). « Ces acquis sont, en fait, négociés boîte par boîte et le groupe a acheté les cliniques à divers moments », explique-t-elle. Dans le privé, c’est plutôt la logique de contrat qui prédomine ; dans le public, la notion de statut, le même pour tous.

L’actualité peut compliquer encore la donne. Ainsi, l’application des 35 heures, survenue plus tôt dans le privé, avait conduit à une réduction « pour partie transitoire » des écarts de rémunération entre les secteurs(3). Aujourd’hui, la CCN 51 est en renégociation ; dans le public, les grilles vont changer, rendant peut-être plus attractif l’exercice à l’hôpital. Bref, pour intégrer temps de travail et primes, la comparaison est recommandée entre deux infirmières d’égale ancienneté, à partir d’un salaire horaire net moyen calculé sur un an.

Le facteur taille

Pour distinguer le public du privé en termes de salaires, de retraite ou de conditions de travail, d’autres critères se dessinent. Par exemple l’âge des infirmières (plus élevé dans le public) : avec lui augmentent les salaires. Ou l’importance des établissements. Ceux du privé sont « majoritairement » de petite taille(4). Ce qui peut avoir des conséquences sur l’ambiance de travail (avec une proximité accrue entre personnels) ou sur les rémunérations. Plus l’effectif augmente, plus les différences de salaires entre public et privé lucratif s’amenuisent. De même, les salaires sont supérieurs en Ile-de-France ou dans les départements d’outre-mer. Autre facteur : l’activité. Très contrastée entre établissements, elle influe sur la pénibilité physique et psychique. « L’idéal serait de comparer la charge de travail pour des infirmières qui soignent les mêmes types de patients », prône Robert Holcman, directeur-auditeur à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Un dernier élément brouille les pistes : le rapprochement du public et du privé, avec l’importation dans le public de méthodes du privé. Et de valeurs du privé ? Plusieurs infirmières répondent que la culture de service public s’érode en raison d’un manque de reconnaissance et de conditions de travail dégradées, ce qui incite d’ailleurs des hospitalières, déçues, à rejoindre le privé. Pour autant, la conviction dans le service public est toujours invoquée par certaines pour justifier leur exercice à l’hôpital. Infirmier dans le privé non lucratif (et membre de la Coordination nationale infirmière), Christophe Roman justifie, quant à lui, sa présence dans son hôpital, fondé par un abbé, par des « valeurs humaines ». Marie-Laure Jugé, elle, sent une différence – perceptible dans les conditions de travail – entre la gestion passée de sa clinique par des médecins et celle, actuelle, par des actionnaires non médicaux, plus orientés encore vers la rentabilité. Mais les valeurs ne doivent pas être surévaluées pour expliquer l’exercice au quotidien dans tel ou tel secteur, selon le sociologue Ivan Sainsaulieu pour le public. D’autant qu’elles s’effacent devant un idéal commun à toutes les IDE : prendre soin.

Des poignées de sel

En fait, c’est en poignées de sel qu’il convient de distinguer les salariats du public et du privé – étymlogiquement, le salaire était l’indemnité donnée au soldat pour s’acheter du sel. Une distinction ainsi résumée par la Drees : « Les travailleurs de la santé se dirig[ent] plutôt vers le privé lorsqu’ils [sont] jeunes (pour le salaire) et davantage ensuite vers le public (afin de gagner une stabilité et des avantages en rapport à la vie familiale) »(5). Pour faire sa sélection entre public, proche privé non lucratif (qui « conjugue les avantages du service public et l’efficacité du privé », dit-on à la Fehap) et privé lucratif, une IDE doit donc s’appuyer aussi sur des critères individuels, personnels et professionnels. Ses stages, pendant ses études, lui apportent de premiers éléments. Plus tard, rien ne l’empêche de collecter des informations sur l’établissement qui l’intéresse, ni de se renseigner auprès de la direction sur les éventuels avantages. Et, pour parfaire la comparaison, pourquoi ne pas changer de secteur ? Ou même s’installer en libéral ? Mais ça, c’est une autre histoire.

1- « Études et résultats » n° 393, avril 2005, ainsi que n° 671, décembre 2008.

2- Conventions de la FHP et de la Fehap sur www.legifrance.-gouv.fr.

3- « Études et résultats » n° 230, Drees, avril 2003.

4- Les établissements de santé. Un panorama pour l’année 2007, Drees.

5- « Série Études », n° 64, octobre 2006.

EFFECTIFS

En majorité dans le public

Faute d’inscription de l’ensemble des IDE à l’Ordre national des infirmiers, le nombre de professionnelles secteur par secteur n’est pas connu précisément. Reprises dans un récent document de la Drees sur les professions de santé, les statistiques du répertoire Adeli – sans doute supérieures à la réalité – indiquent que, au 1er janvier 2010 :

→ 438 564 des 515 754 infirmières de métropole sont salariées ;

→ 362 831 le sont dans un établissement hospitalier, dont 75 % dans le public, 8,4 % dans le privé « participant au secteur public hospitalier » (PSPH) et 15,8 % dans le privé non-PSPH.

À la catégorie PSPH, qui concerne une grande part des établissements privés non lucratifs, s’est récemment substitué un nouveau sigle : Espic, pour établissement de santé privé d’intérêt collectif. Selon la DGOS, la France comptait, à fin 2008, 2 935 établissements de santé, dont 983 publics, 1 086 à but lucratif et d’origine, entre autres, religieuse ou mutualiste, 866 à but non lucratif.