Davantage exposées que les hommes à de nombreux troubles, les femmes renoncent aussi plus souvent aux soins. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a récemment attiré l’attention sur ces réalités. Entretien avec Dominique Hénon, auteure du rapport.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Qu’est-ce qui a décidé le conseil à mener cet état des lieux de la santé des femmesen France ?
DOMINIQUE HÉNON : C’est le thème de l’allongement de la vie en général, et en particulier de celle des femmes, qui a motivé notre intérêt. Rapidement, c’est l’aspect de la qualité de la vie qui s’est imposé et nous a conduits à travailler sur les conditions qui favorisent le « bien-vieillir ». Dans ce contexte, nous nous sommes rendu compte que ces conditions étaient étroitement liées à toutes les étapes de leur vie.
L’I. M. : De nombreux travaux pointent régulièrement l’émergence ou la persistance des inégalités de santé. Qu’apportez-vous de nouveau en ce domaine ?
D. H. : Nous nous sommes appuyés sur un grand nombre de ces travaux pour alimenter notre travail. Mais leur approche est le plus souvent thématique et ne porte, de fait, que sur un moment donné de la vie des femmes, tels la grossesse ou l’IVG, comme l’a fait récemment l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Ce que nous avons tenté de faire, en plus d’auditionner des experts, notamment des médecins, c’est d’articuler le temps biologique et le temps social. Ainsi, en détricotant toutes ces étapes, nous avons voulu mieux comprendre de quelle manière s’enracinent les conditions du bien-vieillir chez les femmes. C’est vraiment cette démarche qui a guidé notre réflexion.
L’I. M. : Les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais en plus mauvaise santé, et avec des moyens plus modestes. Une relation entre ces deux données est-elle établie ?
D. H. : Écarts de salaires, carrières fractionnées, notamment pour élever les enfants, emplois précaires, temps partiels, etc., sont le lot d’un grand nombre de salariées aujourd’hui. À l’âge de la retraite, les femmes perçoivent des pensions de près de 40 % inférieures à celles des hommes. À cela s’ajoutent des conditions de travail, tant psychologiques que physiques, plus difficiles pour elles. Ainsi, trois femmes sur cinq déclarent avoir été confrontées à des violences au cours de leur vie professionnelle. Par ailleurs, du fait de revenus plus faibles, les femmes renoncent aussi plus souvent aux soins et à la prévention lorsqu’elle nécessite des avances de frais, comme pour le dépistage du cancer du col de l’utérus. Elles se retrouvent plus souvent seules que les hommes, le couple n’étant plus là pour soutenir une certaine qualité de vie. Bref, à la retraite, les femmes conjuguent solitude, faibles revenus et santé dégradée.
L’I. M. : Pensez-vous que la récente réforme des retraites va accentuer ces inégalités ?
D. H : Cette réforme va avoir un impact très négatif sur la situation des femmes puisque, pour une grande partie d’entre elles, elles sont déjà contraintes d’aller jusqu’à l’âge garantissant une retraite à taux plein [car elles n’ont pas validé assez de trimestres, ndlr]. Sachant que cet âge passe de 65 à 67 ans, cela signifie qu’elles travailleront deux années supplémentaires pour obtenir un niveau de revenus identique à celui auquel elles pouvaient prétendre auparavant. Dans quelles conditions professionnelles devront-elles évoluer au cours de ces années supplémentaires ? La question reste entière. Nombre de mes collègues infirmières me confient que ce n’est pas possible. Je vois déjà celles qui, en fin de carrière, glissent sur des postes transversaux car elles ne peuvent plus s’occuper des malades. Est-ce que les institutions vont accompagner cette réforme ? Je le souhaite très fort, mais je n’en suis pas sûre… À mon avis, elle traduit un net recul du droit des femmes. Lors des manifestations récentes, la rue l’a très bien dit : « Les femmes sont les grandes oubliées de cette réforme ! »
L’I. M. : Votre rapport appelle au développement d’une recherche médicale et clinique prenant davantage en compte les femmes…
D. H. : En France, historiquement, la culture scientifique et médicale fonctionne par pathologies et non par genres. De plus, on observe encore de vraies réticences à inclure des femmes dans des programmes de recherche, au motif qu’elles pourraient être enceintes. Même si, aujourd’hui, des outils fiables permettent de savoir si c’est le cas ou non… Dans ce contexte, nous croyons beaucoup à la sensibilisation des professionnels de santé, notamment lors de la formation des jeunes médecins, pour que se développe une approche par le genre. Il ne s’agit pas d’opposer les hommes aux femmes, mais de mener une démarche spécifique au travers des particularités biologiques féminines. Bref, de changer de regard. Par exemple, les préparations prédosées, qui constituent aujourd’hui la quasi-totalité des médicaments, le sont pour les hommes puisqu’ils représentent la grande majorité des cohortes de recherche scientifique.
Par ailleurs, on sait que les femmes ne présentent pas toujours les mêmes symptômes que les hommes pour une même maladie, ce qui retarde le diagnostic. Nous préconisons, à l’instar d’autres pays comme les États-Unis, que les recherches financées par des fonds publics incluent un pourcentage de femmes identique à leur représentation dans la population. S’agissant de la recherche privée, nous avons moins de latitude, mais je pense qu’elle devrait évoluer dès lors que la sensibilisation des professionnels et de ceux qui bénéficient des résultats exigera une approche « genrée ».
L’I. M. : Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée, et, peut-être, le plus choquée au cours de l’élaboration de ce rapport ?
D. H. : Ce qui m’a assurément le plus choquée a été de constater combien les inégalités sociales se creusent, et à quel point leur impact sur la santé des femmes est majeur. J’ai été également choquée de voir de quelle manière un emploi de mauvaise qualité a des conséquences non seulement sur la vie au travail mais aussi sur la vie privée et l’environnement familial. Tout cela m’a confirmé que l’allongement de la durée de la vie dans de mauvaises conditions peut être dramatique. Par exemple, la rupture du lien social contribue à l’installation de la démence. Cette inégalité m’a semblé d’autant plus flagrante que l’on sait aujourd’hui qu’un certain niveau d’éducation, allié à la préservation du lien social et à une activité cognitive régulière, protège, par exemple, de la maladie d’Alzheimer – ce sont les femmes qui sont le plus atteintes par cette pathologie. Sous un angle plus optimiste, il m’est apparu que les femmes étaient prescriptrices de santé dans la mesure où elles prennent en charge la sphère domestique et prodiguent des conseils sur l’alimentation, la prévention, l’hygiène…
L’I. M. : La principale mission du Cese est de conseiller le gouvernement. Qu’attendez-vous de lui ?
D. H. : Nos recommandations phares portent sur l’éducation à la sexualité et appellent au renforcement des moyens de l’Éducation nationale pour favoriser l’information et l’émancipation des jeunes filles. Nous souhaitons également un accès confidentiel et gratuit à la contraception et à l’IVG pour les mineures. Nous pensons qu’il est important que soit favorisé l’accès à une alimentation de qualité pour les plus démunis, sous forme de bons d’achat, considérant que c’est un moyen essentiel de lutte contre l’obésité, et ce dès le plus jeune âge. S’agissant de l’allongement de la vie, nous pensons que le maintien du lien social est indispensable et, pour ce faire, estimons nécessaire que les personnes âgées soient intégrées dans les quartiers pour encourager les échanges intergénérationnels. Notre rapport a été remis aux ministères de la Santé et de l’Éducation nationale, ainsi qu’au secrétariat d’État chargé des Aînés. Nous attendons un retour pour savoir si les pistes que nous proposons seront retenues et portées par le gouvernement.
« La Santé des femmes en France », communication du Conseil économique, social et environnemental, septembre 2010, Disponible en complément d’article sur www.espace infirmier.com, rubrique Revues, L’Infirmière magazine.
CADRE DE SANTE A L’ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS
→ Préparatrice en pharmacie de formation, elle est cadre de santé à l’hôpital Bretonneau (Paris).
→ Membre du Conseil économique, social et environnemental depuis 2005 (section de la vie économique et du dialogue social), elle a entamé un nouveau mandat de cinq ans en novembre dernier.
→ Depuis 2008, elle est secrétaire du syndicat CFDT de l’AP-HP.
→ En 2010, elle a obtenu un master de sociologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers.
Les 233 membres du Cese sont désignés par des organisations de la société civile ou nommés par le gouvernement. Ils ont pour mission de conseiller ce dernier, de participer à l’élaboration de la politique économique, sociale et environnementale, de favoriser le dialogue entre les catégories socioprofessionnelles, et de contribuer à l’information des assemblées politiques.