L'infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

FLORENCE BONTEMPS*   VINCENT HUROT**  

1. DESCRIPTION DU CAS

Laurence R., âgée de 42 ans, est adressée par son médecin traitant aux urgences de l’hôpital, pour hépatite aiguë. La patiente se plaint d’une asthénie brutale survenue quelques jours auparavant, avec apparition de selles décolorées et d’urines foncées. Le bilan biologique réalisé est normal, à l’exception d’une forte perturbation des paramètres hépatiques, qui montrent une cytolyse hépatique (ALAT = 647 U/l, ASAT = 1 757 U/l) et une cholestase (Gamma GT = 196 U/l, bilirubine totale = 15 U/l). Les antécédents médicaux de madame R. sont un cancer du sein traité par chirurgie et radio-chimiothérapie puis par tamoxifène depuis un an, la pose d’un dispositif intra-utérin et la prise très récente d’un médicament homéopathique en vente libre.

À l’arrivée dans le service, l’examen clinique ne montre pas de réelle incohérence. Le tamoxifène est arrêté.

Le lendemain, le bilan hépatique reste anormal : le TP est à 86 %, la bilirubine totale à 19 U/l, les ALAT à 564 U/l et les ASAT à 1 560 U/l. Les maladies virales sont écartées, les recherches sérologiques étant négatives.

Au cours de l’hospitalisation, on observe une disparition du subictère, et un retour progressif à des urines et à des selles de coloration normale. Cette évolution est confirmée par la diminution de la cytolyse hépatique à chaque prise de sang. La patiente est autorisée à sortir 5 jours après l’admission.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Un effet indésirable du tamoxifène s’est manifesté chez cette patiente. À l’entrée dans le service, sa fonction hépatique est nettement dégradée. L’amélioration a débuté dès l’arrêt du traitement.

D’après la littérature, le tamoxifène est connu pour entraîner des troubles de la fonction hépatique à type de cytolyse, avec augmentation de l’activité des enzymes hépatiques. L’effet indésirable reste rare, et peut survenir après plusieurs mois de traitement, faisant suspecter un mécanisme toxique accumulatif.

La prise en charge de cet événement iatrogène médicamenteux non évitable a été convenablement effectuée, avec l’élimination des facteurs pouvant déclencher ce type de symptômes, notamment les infections virales et la prise de médicaments.

2. RAPPELS

Mécanisme

Le foie est l’organe principal du métabolisme. La majorité des médicaments sont transformés par le système enzymatique des hépatocytes en composés intermédiaires instables ou toxiques, puis en métabolites éliminés dans la bile ou dans les urines. Parfois, le médicament est inactif par lui-même, et c’est le produit généré par la dégradation hépatique qui est réellement actif.

→ Certaines hépatites médicamenteuses sont prévisibles lorsque la toxicité est directe : un grand nombre de sujets prenant le médicament sont atteints ; il existe une relation entre la dose et la toxicité, et l’hépatite est reproductible chez l’animal.

→ D’autres hépatites médicamenteuses sont imprévisibles, lorsque seul un petit nombre de sujets sont atteints, qu’il n’y a pas de relation entre la dose et l’effet et que l’hépatite n’est pas reproductible chez l’animal. La toxicité imprévisible peut correspondre à un mécanisme immuno-allergique, à une mutation génétique individuelle ou encore aux deux mécanismes à la fois.

Facteurs de risque

L’hépatotoxicité des médicaments peut être favorisée par différents facteurs, par exemple le jeûne et la dénutrition, qui diminuent les capacités de détoxication, ou lors de modifications enzymatiques qui peuvent augmenter la transformation d’un médicament en métabolite réactif.

Signes cliniques et signes biologiques

→ La principale atteinte hépatique médicamenteuse se manifeste sous la forme d’une hépatite aiguë. La toxicité est due à une diminution des systèmes physiologiques de protection. Différentes symptomatologies sont décrites, notamment la cytolyse (destruction des cellules du foie) et la cholestase (diminution de la sécrétion de bile par le foie).

→ On peut également observer des hépatites chroniques, quand les lésions se développent silencieusement, quand l’administration de l’agent responsable est poursuivie, ou lorsque le stockage tissulaire du médicament est très important et entraîne un relargage très prolongé dans la circulation générale.

Principaux médicaments impliqués

→ Fréquence : la fréquence des effets secondaires hépatotoxiques des médicaments ne dépasse en général pas 1 %, les principaux exemples étant l’isoniazide (Rimifon), la chlorpromazine (Largactil) et la tacrine (Cognex) en terme de fréquence. Les médicaments ayant une prévalence d’hépatotoxicité supérieure à 1 % sont généralement éliminés avant la mise sur le marché.

→ Gravité : les principaux médicaments responsables d’hépatites graves sont le paracétamol (voir ci-dessous), l’halothane (anesthésique halogéné), les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les antidépresseurs tricycliques (clomipramine = Anafranil, par exemple). Les contraceptifs oraux et autres dérivés hormonaux sont souvent impliqués dans la survenue de cas de cholestase.

→ Hépatites chroniques : parmi les médicaments provoquant des hépatites chroniques, on peut citer l’amiodarone (Cordarone), le méthotrexate, la méthyldopa (Aldomet) ou encore la nitrofurantoïne (Furadantine)…

→ Liste de médicaments hépatotoxiques : pour l’immense majorité des médicaments, le risque d’hépatotoxicité est très rare (entre 1/10 000 et 1/100 000). Cela explique pourquoi la toxicité n’est pas toujours détectée durant les essais cliniques (échantillons pas assez grands).

Cas du paracétamol

Utilisé à dose thérapeutique et en l’absence de facteurs de risques, le paracétamol ne pose pas de problème particulier. Un surdosage volontaire (tentative de suicide) ou accidentel (erreur de posologie chez l’enfant, prises de plusieurs médicaments contenant du paracétamol) peut entraîner une atteinte hépatique grave, voire mortelle. La dose toxique est d’environ 125 mg/kg chez l’enfant, et de 10 g chez l’adulte.

On distingue trois stades chronologiques :

– phase peu symptomatique : les symptômes sont d’abord rares et peu spécifiques (troubles gastro-intestinaux);

– cytolyse retardée 72heures après l’ingestion ;

– puis hépatite fulminante après 96heures. La symptomatologie est alors plus franche, avec des nausées et des vomissements, des douleurs à l’hypochondre droit, un ictère et parfois un coma.

Outre la prise en charge des signes cliniques, le traitement des intoxications au paracétamol repose sur la mise en évidence de critères de gravité qui dépendent de la quantité ingérée, du temps écoulé depuis la prise, et de la mesure de la paracétamolémie. Un antidote (la N-acétylcystéine = Fluimucil) peut être administré pour augmenter les capacités de détoxication de l’organisme. Sous traitement, l’évolution est généralement favorable, mais l’absence d’antidote ou son administration trop tardive peut entraîner une destruction totale du foie et la nécessité de procéder à une transplantation en urgence.

Diagnostic et surveillance

• Les signes cliniques d’une hépatite médicamenteuse sont souvent peu spécifiques (troubles gastro-intestinaux, douleurs abdominales…), mais certains pourront alerter : un ictère, des douleurs à l’hypochondre droit, une modification des paramètres biologiques. Le diagnostic est basé sur l’exclusion des autres causes expliquant l’atteinte hépatique (alcoolisme, infection virale…), et sur certaines caractéristiques :

→ l’intervalle entre le début du traitement suspecté et le début de l’atteinte hépatique ;

→ la disparition des anomalies hépatiques après arrêt du traitement ;

→ la réapparition des anomalies hépatiques après nouvelle administration du médicament.

La surveillance des patients recevant un traitement hépatotoxique ou le suivi de ceux atteints d’hépatite médicamenteuse sont similaires, basés sur des analyses biologiques, notamment les ALAT et les ASAT, les phosphatases alcalines et les Gamma GT.

3. EN PRATIQUE

En cas de perturbation récente d’un ou de plusieurs paramètres, la mise en cause d’un médicament doit toujours être évoquée. Un effet indésirable peut apparaître longtemps après l’instauration du traitement. La gravité des troubles est alors reliée à la quantité de médicament accumulé par l’organisme.

ATTENTION !

→ Les médicaments peuvent reproduire pratiquement l’ensemble des maladies aiguës ou chroniques hépatiques.

→ Le diagnostic est souvent difficile, et repose surtout sur des critères d’exclusion.

→  Le traitement repose uniquement sur l’interruption de l’administration du médicament responsable.