L'infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010

 

INFRACTIONS SEXUELLES

ACTUALITÉ

COLLOQUES

MATHIEU HAUTEMULLE  

À la prison de Fresnes, les infirmières jouent un rôle central dans la prise en charge proposée pendant six mois aux condamnés et aux prévenus volontaires.

En octobre, le Service médico-psychologique régional (SMPR) de Fresnes (94) a démarré sa sixième session de prise en charge des détenus auteurs d’infractions sexuelles (AIS). Pour la première fois, ce dispositif inauguré en 2007 ne se limite plus aux condamnés et s’ouvre aux suspects pas encore jugés. Il accueille douze hommes (soit la capacité maximale du service), détenus en cellules individuelles, comme l’ont expliqué le médecin Magali Bodon-Bruzel, chef du SMPR, et Isabelle Redon, infirmière, le 5 novembre dernier au Salon infirmier.

Patients « recrutés »

Cette prise en charge, conçue dans le cadre des lois du 18 janvier 1994 sur l’accès aux soins en détention et du 10 août 2007 sur la récidive, est destinée aux non-psychotiques et aux non-déficients intellectuels. D’une durée de six mois, elle se compose d’entretiens individuels et de groupes thérapeutiques en journée ainsi que d’éventuels traitements médicamenteux. Le « recrutement » des patients, qui nécessite évaluation du dossier, entretiens et signature d’un « contrat » avec eux, est presque toujours réalisé par un binôme d’infirmières, épaulées, en cas de doute, par un psychologue ou un psychiatre.

Le rôle des IDE s’avère donc à la fois difficile et crucial. Ces fonctionnaires hospitalières – trois équivalents temps plein – aident notamment les détenus à réaliser des génogrammes, représentations graphiques de leur famille, sur trois générations. « Cet énorme travail “remue” beaucoup, constate Isabelle Redon. Des secrets sont soulevés. Des patients recontactent leur famille pour avoir des informations. Il nous arrive de repérer des confusions ou un non-respect des générations, à l’image de ce père incestueux qui n’avait pas représenté sa fille. » Semaine après semaine, cet arbre généalogique, lu par le patient devant le groupe, peut évoluer.

Victimes et agresseurs

Des vidéos – présentant témoignages de victimes et propos de pédophiles – sont également projetées, puis les patients sont invités à exprimer leur ressenti. « Parfois, tant qu’ils ne se sont pas reconnus comme victimes, ils ont du mal à se voir comme agresseurs », expliquent les soignantes. Un travail sur une bande dessinée vise à évoquer leurs parents, ou leur propre rôle de parent. La question du couple, entre autres, est également abordée. « On est aussi là, poursuit Isabelle Redon, pour apaiser dans les moments difficiles. »

Effets sur l’empathie

Ces « handicapés de l’émotion », selon l’image de l’IDE, souffrent d’impulsivité, de déficit d’empathie ou encore de manque d’affection à l’égard d’autrui. Au terme de la prise en charge, « l’absence de remords et de culpabilité » passe de 82 à 42 % des patients ; « l’insensibilité et le manque d’empathie » de 86 à 50 % ; « l’incapacité à assumer ses faits et gestes » de 71 % à 25 %, etc. Malgré ces évolutions positives, des problèmes demeurent. Afin de suivre cette thérapie, des détenus renoncent à leur transfèrement dans un autre établissement. Par ailleurs, comment accepter davantage de patients ? Et comment, après leur libération, mieux les suivre et prévenir la récidive ?

Sur ce dernier point, des statistiques tordent le cou à certains clichés. En termes de délits, le taux de récidive s’élève ainsi à 35 % pour l’exhibitionnisme, contre 60 % pour le vol simple ; au niveau des crimes, il est de 1,8 % pour le viol, contre 14 % pour le vol à main armée. En France, les infractions sexuelles sont la première cause d’incarcération puisqu’elles concernaient, en 2006, un condamné sur cinq.