IFCS
SUR LE TERRAIN
ENQUÊTE
Goût pour la direction d’équipe, meilleur salaire, progression sociale… les étudiants en institut de formation des cadres de santé (IFCS) affichent leurs motivations, même si l’encadrement souffre d’un manque de reconnaissance. Les futurs chefs doivent apprendre à jongler avec de multiples exigences, et à se positionner face à une équipe.
Pour une infirmière qui saute le pas, combien que l’encadrement rebute ? Le constat est unanime, la désaffection pour le métier de cadre de santé va croissant. Pour nombre d’infirmières, cela signifie quitter l’activité auprès du patient pour sombrer dans la paperasserie. Se retrouver isolée, à la confluence d’impératifs contradictoires – desiderata des équipes, des médecins, de l’administration, des patients. Le tout sans avoir le sentiment d’être reconnue, qui plus est pour un salaire à peine supérieur à celui d’infirmière. Le tableau noir des contraintes du poste a plutôt tendance à effrayer.
Pourquoi, alors, certains sont prêts à s’investir ? Dans les couloirs des IFCS, les mots des uns et des autres disent des motivations diverses. Pour quelques-uns, les préoccupations sont matérielles, reconnaît Caroline, qui ne supporte plus la cadence des gardes de nuit et de week-end. Chez d’autres, pointent l’envie de faire carrière, le désir de progression sociale : « Changer de grade… », soupire Sandra. Une large majorité d’étudiants évoquent surtout, comme Cécile, « le sentiment d’avoir fait le tour du métier infirmier ». Or, sur le plan statutaire, sauf à se spécialiser comme Ibode, Iade ou puéricultrice, « les infirmiers qui veulent évoluer n’ont pas d’autre choix… que celui de devenir cadres », fait remarquer Annick Bourez, directrice de l’IFCS de Rouen et ancienne vice-présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec).
Un choix par défaut, donc ? Pas nécessairement. « Ce qui motive nombre d’entre nous, même si l’on sait que l’on n’aura pas toutes les manettes en main, c’est de pouvoir être en position de faire bouger les choses, bien plus que comme infirmière, où l’on manque d’une vision globale du système », explique Juliette, 29 ans, qui entame sa formation à l’IFCS bordelais Xavier-Arnozan. Volonté de comprendre et désir d’être acteur au sein de son institution se mêlent. Souvent associés au vœu de porter haut et fort des valeurs soignantes, que les étudiants l’envisagent dans le quotidien d’un service de soins ou, plus rarement, en tant que formateurs en Ifsi.
Quelles que soient les motivations profondes de chacun, note Annick Bourez, « cadre, ce n’est pas vraiment une vocation. C’est plutôt un cheminement progressif, nourri par l’exemple, et le contre-exemple. Une prise de responsabilités dans le service (jusqu’à “faire fonction de cadre”), qui fait se rendre compte qu’on aime ça, qu’on est plutôt doué. L’idée du “pourquoi pas moi ?” germe peu à peu, très souvent suggérée par les autres ». Pour autant, y a-t-il un profil type de l’aspirant cadre ? Non, répond la directrice d’IFCS, et ses collègues avec elle.
Quelques indications cependant, même si les chiffres manquent. La formation de cadre de santé étant commune, depuis 1995, à la filière infirmière et à douze autres filières paramédicales (kinés, manipulateurs radio, ergothérapeutes, etc.), les infirmiers représentent, en moyenne, plus de 80 % des étudiants en IFCS. Au total, il y a eu, en 2009, 1 793 diplômés pour 2 216 postes ouverts. Sur les 1 876 inscrits dans l’un des 41 IFCS existants, 82,57 % étaient des femmes. Et, alors que quatre ans d’expérience professionnelle suffisent, l’âge moyen des étudiants est de 39 ans ; avec une fourchette large – de 27 à 52 ans pour les 91 étudiants de Sainte-Anne, notamment.
Élément majeur : l’immense majorité des étudiants vient de l’hôpital public. Évidemment logique si l’on considère le poids de celui-ci. Logique aussi, cependant, parce que posséder le diplôme n’est une obligation statutaire que dans la fonction publique hospitalière, et ce depuis 2001 seulement. Un élément plus marquant encore : le fait que la plupart des étudiants aient fait fonction de cadre. Aucun chiffre officiel n’est disponible, mais c’est le cas pour plus de 70 % d’entre eux, estiment les directeurs d’IFCS.
Modalité de réponse à la pénurie de cadres, « le nombre croissant de soignants faisant fonction de cadre révèle aussi que les établissements ont de plus en plus tendance à tester et à sélectionner les aspirants cadres dont ils envisagent, pour certains tout au moins, de financer la formation », souligne Nicole Pastol, vice-présidente du Cefiec et directrice de l’IFCS de Brest. Dans certains hôpitaux, le passage par la case « faisant fonction » est même devenu une obligation. À écouter les étudiants, cette expérience est plutôt positive – « Cela nous permet de voir si l’on est fait pour ce métier », résume Pascale. « Mais la formule a aussi un côté piège, relève Dominique Bourgeon, directeur de l’IFCS de Poitiers, car les “faisant fonction” se retrouvent souvent dans des services lourds, et ne sont que très rarement accompagnés sur leur poste. De quoi en décourager plus d’un. »
Faire fonction de cadre… mais aussi présenter le concours d’entrée en IFCS. Se former, durant dix mois – voire sur vingt-et-un mois ou plus pour ceux, peu nombreux, qui suivent dans certains IFCS leur formation sur un mode discontu, alternant temps de formation et exercice professionnel. Tout ceci avant, enfin, de prendre un poste, le recrutement s’opérant par concours sur titre dans les établissements publics hospitaliers… « Le parcours est long », commente le rapport ministériel de la mission Cadres hospitaliers présenté en 2009 par Chantal de Singly, la directrice de l’Institut du management de l’EHESP. « Il a quelque chose du parcours du combattant », ajoute Dominique Bourgeon.
Sans compter le souci d’obtenir un financement de sa formation, car celle-ci coûte cher – en moyenne entre 6 000 et 8 500 euros selon les IFCS. « Globalement, les possibilités existent, observe Annick Bourez. Mais avec de grosses inégalités, surtout selon que l’on travaille dans le public ou le privé. » Les salariés de la fonction publique hospitalière peuvent être financés par leur employeur, les établissements cotisant à un fonds de mutualisation des études promotionnelles géré par l’ANFH (Agence nationale de formation du personnel hospitalier). Financés par ce biais, ils sont considérés comme salariés en formation et perçoivent 100 % de leur salaire de base. « La grande majorité des étudiants en IFCS est dans ce cas, constate Nicole Pastol. Mais rien n’est automatique. La réponse des établissements varie selon leurs besoins et leurs moyens propres. Ceux-ci étant de plus en plus limités, les reports d’inscription pour non-financement augmentent. » En cas de refus, les étudiants peuvent s’adresser directement à l’ANFH et tenter d’être financés, avec 80 % du salaire de base, dans le cadre d’un congé de formation professionnelle. Une voie que doivent également emprunter les quelques soignants de la fonction publique territoriale qui souhaitent passer cadres.
La situation est plus complexe et inégalitaire dans le secteur privé. Là, pas de règle ! Ses salariés peuvent, dans le cadre du droit individuel à la formation, poser une demande de financement à l’organisme paritaire (Fongecif, Promafaf, etc.) auquel leur structure adhère. Possible… mais compliqué, avec des taux de prise en charge très variables. Au total, rares sont ceux qui se lancent sans prise en charge – rarement plus de 10% d’une promotion d’IFCS. Trop cher. D’autant qu’aux frais de scolarité s’ajoutent des frais annexes – transport, hébergement, etc. – pris en charge de façon variable, et qui peuvent grimper lorsque l’on n’étudie pas dans sa ville d’origine.
À la gageure du financement, il faut ajouter celle du concours d’entrée en IFCS ! Une épreuve écrite de 4 heures, commentaire de documents sur un thème sanitaire ou social, puis, si l’étudiant a obtenu la moyenne, une épreuve orale ; examen du parcours de chacun et entretien sur le projet professionnel. Pour s’y préparer, presque tous les candidats s’inscrivent aujourd’hui dans une « prépa ». Proposées par les IFCS comme par le Cned, les organismes de formation de certains hôpitaux et quelques « boîtes à concours », leur coût est souvent pris en charge pour les candidats soutenus par leur institution. « Refaire du français, plancher sur “les réseaux de santé” ou sur “la cohésion sociale”, travailler son CV… Les bancs de l’école sont loin, écrire fait peur. Parler devant un jury aussi », souligne Sandra. Or, l’épreuve est très sélective. L’année dernière, ils n’étaient pas moins de 235 candidats pour 34 places à l’IFCS Xavier-Arnozan.
Pour multiplier leurs chances, beaucoup d’étudiants postulent donc dans différents IFCS. S’ils sont admis dans plusieurs établissements, comment font-ils leur choix ? « À 95 %, ils choisissent le plus proche de chez eux, économies et qualité de vie obligent », explique Annik Bourez. La formation dispensée est-elle pour autant partout la même ? Pas tout à fait. Comme le relevait le rapport de Singly, « la conception de la fonction de cadre est variable selon les IFCS, de même que leurs approches pédagogiques ».
Renommée d’un formateur, projet pédagogique, modalités d’encadrement, et, de plus en plus, partenariats universitaires noués par les instituts de formation sont scrutés par les candidats. Tel David, qui, venant du Mans, a décidé de suivre sa formation à Sainte-Anne, alors qu’il était admis dans trois autres IFCS. « Après, on a beau s’y préparer, l’entrée en IFCS est très déstabilisante, constatent Juliette et ses camarades. Tout vole en éclats, nos représentations du métier, nos attentes en termes de formation. » C’est qu’au départ, comme ils le font entendre à demi-mots, la complexité du travail de cadre paraît telle qu’ils rêveraient presque de petites astuces applicables en toute situation. Or, ce n’est pas possible, « et c’est d’ailleurs ce qui fait l’intérêt du travail de cadre, dit Marie. C’est l’inverse du prémâché ! On entre en IFCS pour trouver des réponses, et on y apprend à se questionner. »
Bien sûr, pour gérer un planning, du matériel, construire un projet, un cours, évaluer… il y a quelques techniques. Mais l’essentiel « consiste à acquérir une nouvelle posture ». Car, devenir cadre, c’est, quelque part, une rupture avec le soin, du moins tel qu’il était vécu jusque-là. Pour appréhender une nouvelle fonction qui a tout du « travail de lien invisible », comme le dit Paule Bourret, cadre de santé et sociologue, formatrice à l’IFCS de Montpellier. Le cadre doit en effet jongler avec les exigences des équipes, des médecins, de l’administration, des patients.
Pour que les étudiants comprennent les attentes de ces différents interlocuteurs face auxquels ils auront à se positionner, les IFCS puisent dans la sociologie, la psychologie, le management, l’économie, etc., « l’idée étant que chacun développe des capacités d’analyse, de distanciation », résume Nicole Pastol. Avec un impératif : rester en lien avec l’actualité. « Car, au fil des bouleversements du système de santé publique, le métier de cadre s’est complexifié ! Logiques économiques, enjeux de santé publique, place des patients sont des thématiques plus présentes aujourd’hui dans les formations qu’il y a quelques années », poursuit-elle. Trop théorique tout cela ? Quelques étudiants l’expriment à mi-voix. L’analyse de pratiques a pourtant une place forte en IFCS, par le biais d’une réflexion de groupe ou en retour de stage. Oui, mais dix mois, c’est court. Et treize semaines de stage, encore plus. Pour Paule Bourret, le défi actuel est là : il faut « ramener le réel dans l’école, multiplier les analyses de cas, se montrer imaginatif. Par exemple, en créant, comme on l’a fait cette année à Montpellier, un travail en continu avec des lieux supports. »
Reste qu’on ne devient pleinement cadre que sur le terrain. La prise de poste est, à cet égard, cruciale. « La plongée dans le bain est rude, elle impose d’être solide dans sa tête, souligne Cécile, jeune diplômée. On est happé par le quotidien alors que l’on a tout à apprivoiser, un nouveau service et ses équipes, un nouveau métier. » Sans compter que le métier a des réalités différentes selon le lieu où on l’exerce, en Ifsi ou en service de soins, selon la taille de l’établissement aussi – CHU, hôpital de proximité, clinique, Ehpad… Il faut savoir s’y adapter, être cadre là et pas ailleurs. « Un vécu qui pourrait être facilité par l’accompagnement, très peu développé : un tutorat par un cadre supérieur, un espace de discussion avec des collègues », suggère Dominique Bourgeon.
La formation infirmière vient d’être rénovée. Ce pourrait bientôt être le tour de celle des cadres de santé. Les pistes de réflexion ne manquent pas. Petit florilège… Selon quelles modalités se rapprocher des universités, et assurer à tous les étudiants un niveau master ? Quel visage pour les futurs instituts supérieurs de management en santé, dont le rapport de Singly évoque la création, et où seraient formés, avec un tronc commun, l’ensemble des cadres hospitaliers ? Comment y combiner partage de cultures et respect du métier de chacun ? Quelle place pour la formation des cadres formateurs ? Faut-il allonger la durée de la formation ? Comment prendre en compte l’expérience professionnelle des étudiants (créer passerelles et équivalences) ? Quid de la validation des acquis de l’expérience (VAE) ? Le chantier est vaste, mais, pour le moment, rien n’est encore écrit. À suivre.