BREST
REPORTAGE
Une structure innovante, le Centre de simulation en santé de Brest, interroge les soignants sur leurs pratiques dans un climat à la fois studieux et ludique. Tous les professionnels de santé peuvent profiter de ses installations et de l’expertise pédagogique des animateurs.
Les locaux ne paient pas de mine, mais ils semblent laisser de durables souvenirs à ceux qui y passent, le temps d’une formation ad hoc. Le Centre de simulation en santé de Brest est situé au premier étage de la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’université de Bretagne occidentale. Inauguré en juin dernier, ce Cesim est l’un des rares en France à vocation pluriprofessionnelle. Et qui plus est, lové au cœur d’une université. Tous les professionnels de santé (médecins, infirmières, mais aussi aides-soignantes, sages-femmes, pompiers, ambulanciers…) peuvent profiter de ses installations et de l’expertise pédagogique de ses concepteurs et animateurs. Au premier rang desquels le Dr Morgan Jaffrelot. Médecin urgentiste au CHU de Brest, il est à l’origine de la création d’un DU de formation par la simulation, qui a offert au Cesim ses premiers formateurs. Si plus de 200 personnes y avaient déjà suivi une formation, c’est à une session un peu particulière que nous avons assisté les 23 et 24 septembre puisque, pour la première fois, était testée une formation biprofessionnelle infirmière et aide-soignante. Ce matin, trois IDE et autant d’AS des urgences du CHU de Brest arrivent au Cesim vers 9 heures, ponctuels, et quelque peu intimidés. « Il est rarissime d’avoir si peu de stagiaires avec autant d’encadrants, profitez-en ! », lance, tout de go, le Dr Jaffrelot. Une allusion aux deux autres formateurs présents : Yolande Floch, médecin urgentiste à Saint-Brieuc, et Yvon Croguennec, Iade exerçant au Cesu de Brest.
« On n’est pas là pour se juger les uns les autres, mais pour s’entraîner à trouver des solutions aux problèmes que l’on peut rencontrer en situation d’urgence », explique d’emblée Morgan Jaffrelot pour détendre l’atmosphère et rassurer les soignants, que leurs cadres ont inscrits d’office à ce module de deux jours sur le déchoquage aux urgences. Aucune certification ne viendra sanctionner la formation, précise-t-il : « Ce qu’on va faire ici ne remplacera jamais la vraie vie, ce n’est pas parce que vous aurez l’impression d’avoir raté en simulation que vous raterez dans la réalité, ni l’inverse. »
Sur deux jours, se succéderont sept situations de simulation plutôt courtes (dix à quinze minutes) suivies de longs debriefings (une heure environ) propices à une intense réflexion sur les pratiques, les réflexes, les habitudes, le tout ponctué de révisions théoriques en lien avec les cas simulés. Un programme très dense, mais que la méthode pédagogique contribue à rendre digeste et à fixer dans les mémoires.
Le lieu s’articule autour de deux pièces séparées par un miroir sans tain. D’un côté, une salle de réunion avec une grande table entourée de chaises face à un grand écran divisé en quatre et un tableau de commandes pourvu d’ordinateurs, de micros et d’un téléphone. De l’autre, la salle de simulation reconstituant l’espace de déchoquage d’un hôpital avec lit, perche, scope, chariot d’urgence équipé et placards pourvus de tout le matériel nécessaire. Trois caméras fixées en hauteur, dont les images sont retransmises en direct sur l’écran de la salle d’à côté, ainsi que des micros dissimulés dans les murs, permettent aux personnes qui sont dans la salle de debriefing de ne pas perdre une miette des gestes et interactions verbales des soignants qui se prêtent à l’exercice de simulation. Même les indications du scope, branché sur un mannequin SimMan 3G figurant le patient, sont retransmises en direct sur l’écran. À chaque simulation, un binôme infirmière-aide-soignante œuvre sous le regard attentif des autres stagiaires et des formateurs, dont la prise de notes alimentera le debriefing.
Avant la première mise en situation, un échange informel entre stagiaires et formateurs s’instaure. Désignant le mannequin allongé sur le lit d’hôpital, le formateur infirmier s’adresse à l’une des stagiaires : « Ce patient vient d’arriver aux urgences. Tu lui parles, mais il ne répond pas. Qu’en déduis-tu ?
- Qu’il est inconscient ?, ose, du bout des lèvres, Annaïck, IDE de 31 ans.
- Bien ! N’aie pas peur de te tromper : l’erreur, c’est le meilleur outil pour enseigner », assure Yvon.
Le formateur invite ensuite les stagiaires à pratiquer une compression thoracique sur le mannequin. Tandis que Kevin, IDE de 27 ans, s’y colle, Yvon demande à Patrick, aide-soignant de 56 ans, à quel rythme il convient de masser. « Honnêtement, je ne sais plus », souffle, mal à l’aise, le doyen des stagiaires. « Je vais vous donner un tuyau », annonce Yvon, l’œil malicieux. « Tout le monde a vu Travolta dans La Fièvre du samedi soir ? Eh bien, pour avoir le bon rythme, le meilleur moyen, c’est de chanter dans sa tête Stayin’ Alive, des Bee Gees », triomphe-t-il, mimant le geste en chantonnant « Ah, ah, ah, ah, stayin’ alive, stayin’ alive [rester en vie, ndlr] ». Hilarité générale chez les soignants, qui en oublient d’un coup leur stress. « Qu’est-ce qui tue dans un arrêt cardiaque ? », enchaîne le formateur. La réponse se faisant attendre, l’Iade vole au secours des stagiaires : « C’est le “no flow”. C’est-à-dire que le sang ne circule pas. Vous voyez, nous n’allons pas nous contenter d’appliquer des procédures, je vous oblige à raisonner sur ce que vous faites. »
De scénario en scénario, les situations de simulation proposées, invariablement ponctuées d’un arrêt cardiaque suivi d’une réanimation, balaient un large spectre de connaissances théoriques et techniques, et permettent de rappeler les bonnes pratiques. Après un premier cas « simple » (patient de 47 ans hospitalisé pour douleur thoracique, profil tabagique), les situations se complexifient. Un homme hospitalisé pour forte douleur au ventre après une chute de vélo et qui présente une faible tension offre l’occasion de revoir la définition de la détresse respiratoire, et de rappeler qu’il vaut toujours mieux doubler le scope d’une prise de pouls en direct. Un autre, gravement brûlé au visage (maquillage du mannequin très crédible…) après une explosion, permet d’utiliser l’échelle d’évaluation de la douleur, de réviser les indications de doses de morphine et de faire une petite revue pharmacologique des morphiniques à disposition.
Il s’avère que ce « patient » présentait un œdème à la gorge, induit par ses brûlures internes. S’ensuit donc, en guise de pause dans le rythme soutenu des simulations, une petite formation sur l’intubation : le Pr Erwan L’Her, venu pour cette occasion, rappelle l’utilité du score de Mallampati pour appréhender par observation anatomique le degré de difficulté d’une intubation, avant de présenter tous les types de matériel actuellement sur le marché. Les stagiaires manipulent les canules de Guédel, comparent les différentes tailles de lames et de sondes avant de s’entraîner à les poser sur les mannequins.
Si l’intubation relève de la compétence médicale, Maryline, aide-soignante de 29 ans, n’en est pas moins enthousiaste : « Même si ce n’est pas à nous de le faire normalement, c’est génial de pouvoir s’exercer et de comprendre ce que fait le médecin, de manière à être plus efficace quand on l’assiste », note-t-elle. Au fur et à mesure des debriefings s’impose « la feuille de route à respecter face à toute urgence vitale » : le fameux ABCD, pour Airway, Breathing, Circulation and Deficit
De pourquoi en comment, les questions incessantes des formateurs font « phosphorer » dur les cerveaux des stagiaires. Leurs visages, concentrés et empourprés au sortir de la salle de simulation, s’éclairent quand le brainstorming collectif finit par avoir raison d’un tableau clinique d’apparence impénétrable, comme celui d’un patient de 33 ans hospitalisé pour une fracture ouverte à la jambe après une chute de vélo. A priori pas très inquiétant… Mais ce patient voit sa tension chuter dramatiquement, à cause d’une allergie à l’Augmentin qui lui dilate les artères. Loin de décrier la « perversité » des auteurs de ce scénario retors, les stagiaires en redemandent. Et l’équipe de formateurs est là pour leur en donner ! Aux gestes connus de la réanimation (massage cardiaque, ventilation, choc électrique) viennent se greffer diverses complications environnementales : un médecin incompétent ou un brancardier envahissant décontenancent ou parasitent tour à tour les stagiaires.
De quoi travailler sur la communication. Car, hormis quelques accidents de parcours liés au stress, comme une tubulure oubliée lors de la pose d’une voie veineuse périphérique, la plupart des dysfonctionnements constatés en simulation relèvent de transmissions défaillantes entre les professionnels. Des consignes qui ont été données à la cantonade, que personne ne s’approprie et qui, restant lettre morte, entraînent un retard dans le protocole de soins. Ou un aide-soignant que l’équipe a appelé en renfort et qui finit par repartir faute de s’être vu attribuer une tâche par ses collègues, trop occupés.
« N’hésitez pas à verbaliser ce que vous faites à voix haute », conseille le Dr Jaffrelot. « Plus c’est grave, plus il faut énoncer ce que vous faites et être précis dans les consignes que vous donnez », développe-t-il, encourageant les soignants à « intégrer » les personnes appelées en renfort, voire à « aider le médecin à prendre son leadership » si celui-ci, nouveau dans le service ou peu sûr de lui, peine à endosser son rôle.
Lorsque l’IDE Annaïck n’ose pas, en l’absence du médecin, choquer un patient dont le cœur fibrille car, admet-elle, « le choc électrique, ça a une forte connotation », la formatrice Yolande lui fait observer qu’en tant que médecin, si elle avait reçu un coup de fil faisant état de la gravité de la situation, elle lui aurait demandé de choquer sans hésiter. « Qu’est-ce que tu risques à choquer un mort ? », renchérit Yvon.
D’abord déstabilisés par ces encouragements aux initiatives, les soignants finissent par y prendre goût. À la fin de la formation, les commentaires sont unanimement positifs. Avec une mention spéciale pour la méthode pédagogique de la simulation : « C’est super intéressant de se mettre en danger et de réfléchir après. On retient beaucoup mieux », se félicite, ainsi, Kevin.
Pour l’heure, le Cesim n’a fonctionné que dans le cadre de la formation continue, mais, forte de ce succès, l’équipe encadrante envisage de former, cette année, une promotion entière de l’Ifsi du CHU de Brest à la transfusion sanguine.
1- Voies aériennes, respiration, circulation et déficit neurologique.