DOSSIER
PRISE EN CHARGE
Des antidépresseurs à la stimulation magnétique transcrânienne, tour d’horizon des traitements contre la dépression, et notamment celles des personnes âgées.
Connaître les grandes lignes du diagnostic permet d’orienter les personnes identifiées comme potentiellement déprimées vers une prise en charge adéquate. L’examen psychiatrique contribue à distinguer un trouble dépressif caractérisé d’un trouble mineur, d’éliminer des causes organiques ou toxiques susceptibles d’expliquer la symptomatologie, de situer la dépression dans la trajectoire de vie du sujet et de décider des modalités thérapeutiques à adopter. Le traitement de fond ambulatoire d’un épisode dépressif majeur repose sur l’administration d’antidépresseurs – associés ou non à d’autres traitements symptomatiques (anxiolytiques, hypnotiques, sur une très courte durée…) – et sur une prise en charge psychothérapique. Cette dernière aidera à identifier les facteurs explicatifs éventuels de la maladie, à accompagner la guérison, et à prévenir les récidives. Certaines situations, notamment les dépressions résistantes, invitent à des traitements spécifiques, comme une électroconvulsivothérapie.
Petit rappel physiopathologique : la dépression est liée à une altération des systèmes de neurotransmission au niveau cérébral. Elle s’accompagne, notamment, d’une diminution des taux de monoamines (noradrénaline, dopamine et sérotonine) dans la synapse neuronale et de perturbations dans l’homéostasie glutamatergique. Pour compenser ces effets, des antidépresseurs sont prescrits qui ont tous le même but : renforcer le tonus monoaminergique cérébral. Sept familles d’antidépresseurs sont à la disposition du prescripteur. Les plus utilisées en pratique sont les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) ; les antidépresseurs dits d’action duale car ils inhibent la recapture de la sérotonine et celle de la noradrénaline (IRSNa) ; et les tricycliques. On dispose aussi des inhibiteurs des monoamines-oxydases (IMAO) ; des antagonistes adrénergiques présynaptiques et, depuis peu, des agonistes mélatoninergiques et antagonistes des récepteurs 5-HT2c. En pratique, le choix de l’antidépresseur est adapté au patient en fonction de sa puissance d’action, de son côté plutôt stimulant ou sédatif, des pathologies associées, de l’efficacité de traitements antidépresseurs antérieurs… Si l’efficacité des antidépresseurs est réduite dans la dépression légère, elle est prouvée dans les formes modérées à sévères. Comme on s’en doute, moins les effets indésirables du traitement sont gênants, meilleure est l’observance.
Un traitement antidépresseur peut, si la clinique le justifie, être accompagné de la prise d’autres médicaments psychoactifs de façon temporaire (anxiolytiques, hypnotiques) ou prolongée, lorsque la dépression se révèle un symptôme de bipolarité (thymorégulateurs, certains antipsychotiques).
Le Dr Nuss, psychiatre (hôpital Saint-Antoine, Paris), rend compte des effets secondaires les plus fréquents des antidépresseurs :
→ la prise de poids, en raison des modifications de l’appétit ou de la satiété qu’il induit ;
→ la somnolence : elle disparaît généralement à l’arrêt de la dépression ;
→ la baisse de la libido, du plaisir, et le retard de l’éjaculation peuvent être dus au traitement mais il est fréquent que le traitement de la dépression améliore l’activité sexuelle ;
→ la constipation est fréquente, indépendamment du traitement ; ces derniers l’aggravent ;
→ la sécheresse buccale est fréquente ;
→ les effets de l’hypotension orthostatique, beaucoup plus fréquente que l’hypertension, peuvent être limités grâce à un lever en deux temps ;
→ les troubles de l’accommodation (flou visuel), qui disparaissent souvent en cours de traitement ;
→ un syndrome de distanciation, se traduisant par l’impression de ne plus être en contact avec le réel, qui peut être observé lors de la prise de traitement ; cette impression d’éloignement des choses peut être jugée comme inadéquate car incompatible avec le désir de lutte personnelle pour la guérison. Si les effets indésirables sont un frein à l’observance, il faut inciter le patient à consulter son médecin.
Le Dr Richard, pharmacologue (hopital psychiatrique, Poitiers) rappelle qu’il faut distinguer trois étapes au cours du traitement.
→ Le traitement d’attaque (phase aiguë), habituellement prescrit en monothérapie, vise l’obtention d’une rémission partielle de l’épisode en deux à quatre semaines puis complète en environ six à huit semaines. Si cette dernière n’est pas atteinte, la stratégie doit être réadaptée (molécule, dose…).
→ Le traitement de consolidation dure six à douze mois. Il vise à prévenir une rechute de l’épisode ayant justifié le traitement.
→ Le traitement prophylactique des récidives (ou récurrences), en cas de dépression chronique (3 EDM en quatre ans), peut être poursuivi jusqu’à deux ou trois ans après la disparition des signes cliniques.
L’arrêt du traitement doit être progressif, sur une durée d’autant plus importante (de quelques semaines à quelques mois) que le traitement aura été long.
Face à une dépression résistante malgré un traitement bien suivi (30 % des patients), la stratégie vise à remplacer la molécule initialement prescrite par une autre, à associer un traitement potentialisateur (thymorégulateurs ou autre antidépresseur…) ou à recourir à l’électroconvulsivothérapie (ECT).
L’électroconvulsivothérapie (ECT ou sismothérapie), comme le rappelle le Dr Nuss, est « le traitement antidépresseur le plus puissant et le plus rapide ». Elle est indiquée dans les cas de dépression sévère, douloureuse et résistante et de dépression mélancolique faisant courir un risque vital. L’ECT consiste à générer un courant électrique transcrânien libérant, notamment, des catécholamines. En pratique, le choc dure quelques millisecondes et doit provoquer une crise d’épilepsie perceptible sur un électroencéphalogramme. Il s’effectue sous anesthésie générale, de façon à relâcher complètement les muscles et à éviter les blessures provoquées par leur contraction excessive lors de la crise d’épilepsie. Pendant le traitement et trois heures après le réveil, un infirmier est présent aux côtés du patient. Certains traitements devant être suspendus lors de l’ECT, il y a lieu d’être attentif aux modifications de prescription éventuelles.
En général, il faut, comme l’explique le Dr Nuss, de sept à quinze séances espacées de deux à trois jours pour obtenir un résultat. Chez les personnes qui ne répondent bien qu’aux ECT et rechutent rapidement à leur arrêt, des sismothérapies d’entretien (une par mois) peuvent s’avérer utiles. L’ECT a très peu de contre-indications (tumeur cérébrale, contre-indications à l’anesthésie) et peu d’effets secondaires. Les plus fréquents sont l’apparition de céphalées (un cas sur deux), d’une désorientation, d’une confusion et de troubles de la mémoire récente passagers (moins de deux mois).
Ce nouveau traitement, à l’attention des personnes résistantes ou intolérantes aux antidépresseurs, consiste à appliquer une impulsion magnétique brève et très focalisée en un point du crâne ; le choix de la zone et de la fréquence de l’onde magnétique variant selon la forme de la dépression. La TMS dure trente minutes et est administrée cinq jours par semaine sur deux semaines. Ses effets sont moins puissants que ceux de la sismothérapie mais elle a l’avantage de ne nécessiter ni hospitalisation ni anesthésie.
Les plus de 65 ans, qui représentaient moins de 10 % de la population en 1950, sont aujourd’hui 17 % et pourraient dépasser les 30 % en 2060 ; de quoi occuper quelques générations de gérontopsys…, et ce, rien qu’avec la dépression. Le Pr Hardy (chef de service en psychiatrie au CHU Bicêtre), souligne que 9,5 à 19,8 % des personnes âgées de plus de 60 ans et 15,9 % de celles qui ont plus de 65 ans souffrent de cette maladie. Le pic de dépression dans la population générale se situe entre 60 et 80 ans.
Le suicide, qui en est une des conséquences possibles, est particulièrement fréquent chez les hommes âgés. Chez ceux qui ont plus de 85 ans, le taux atteint 141,3 pour 100 000 habitants alors qu’il est de 23,9 pour 100 000 habitants en population générale.
La clinique de la dépression chez le sujet âgé présente quelques singularités par rapport au tableau classique : tristesse masquée, signes somatiques prédominants (amaigrissement, troubles du sommeil, par ex.) ; préoccupations somatiques d’allure hypocondriaque, troubles du caractère, voire tableaux pseudo-démentiels se traduisant par des décompensations cognitives (troubles du raisonnement allant jusqu’à la confusion) ou délirantes (sentiment de persécution) transitoires.
« Chez les “déments”, il y a lieu d’être particulièrement attentif aux changements de comportements inexpliqués ou à l’apparition d’un syndrome délirant », souligne le Dr Pellerin (chef du service de psychiatrie de la personne âgée à l’hôpital Charles-Foix d’Ivry-sur- Seine). Ce dernier insiste, par ailleurs, sur la reconnaissance de deux points qu’il considère comme fondamentaux. Le premier, c’est que toutes les personnes âgées sont en situation de deuil. Elles se retrouvent toutes, en effet, confrontées à des pertes, que ce soit celle de leur autonomie ou celle de personnes chères, ces événements étant susceptibles de déclencher des réactions dépressives. Ces pertes se surajoutent au vécu de perte éprouvé lors de « véritables » dépressions, apparues de novo, ou lors de récidives de troubles de l’humeur plus anciens. Le second point tient au fait qu’il y a, chez les soignants, un déni de la dépression de la personne âgée ; en clair, « une tendance à négliger, sinon ignorer, la douleur psychique des vieillards ».
Pour ce qui concerne les traitements, sauf s’il existe une insuffisance rénale ou une dénutrition majeure, ce sont les mêmes que chez l’adulte : « Pas de demi- doses ou de “pseudomédicaments” ; en la matière, le plus, c’est le mieux, précise le Dr Pellerin. L’hospitalisation est justifiée dans les cas où les patients dépressifs ont des idées suicidaires avérées et sont psychiquement dépendants d’un produit (l’alcool…) ou d’une personne (un fils, une épouse…). Dans tous les autres cas, il est préférable de l’éviter dans la mesure où, d’un côté, elle génère une situation de dépendance chez ceux qui n’en souffraient pas, et, de l’autre, s’accompagne souvent d’un isolement qui prédispose au passage à l’acte. Quant aux familles, il faut savoir composer avec elles sans faire alliance “face au patient”, bref, les intégrer au dispositif de soins en veillant à garder sa neutralité. »
→ Psychothérapie et antidépresseurs sont indispensables et complémentaires.
→ Poursuivre le traitement pendant au moins 4 à 6 mois après amélioration des symptômes.
→ S’inquiéter des prises trop longues de traitements anxiolytique ou hypnotique (risque de dépendance).
→ Ne jamais arrêter brutalement le traitement afin d’éviter la réapparition de signes dépressifs ou de sevrage.
→ En cas de tremblements, de comportement agressif, de nausées sous IRS, premiers signes d’un syndrome sérotoninergique, s’interroger sur l’existence de comédications.
DR AYMERIC REYRE PSYCHIATRE PH À L’HÔPITAL AVICENNE
Le Dr Aymeric Reyre considère que la dépression est une crise existentielle qui vient dire quelque chose de la vie psychique du patient à un moment donné de son parcours et qu’il y a lieu, pour dépasser cette crise, d’amener le patient à modifier quelque chose de son « économie psychique ». Les antidépresseurs ne peuvent donc rien à ce niveau : ils ont une action plus symptomatique que curative. Ils agissent en créant une sorte d’anesthésie affective qui permet aux patients de « se détacher » de la douleur de la dépression, ce qui ne veut pas dire qu’ils la guérissent. La psychothérapie est donc incontournable.
Le Dr Reyre souligne par ailleurs le fait que les classifications actuelles (CIM10 - DSMIV), en « simplifiant » la définition de la dépression – autrefois considérée comme un syndrome révélateur d’une crise chez un névrosé ou un psychotique et non comme une maladie à part entière –, ont contribué à augmenter « artificiellement » le nombre des patients considérés comme dépressifs. Il insiste sur la nécessité de différencier la réaction de douleur normale face aux événements difficiles de la vie d’authentiques dépressions témoignant de moments de crise liés à une fragilité interne profonde. Il différencie encore les dépressions exogènes, faisant écho à des pertes douloureuses et objectivables (décès, maladie, chômage…), des dépressions endogènes sans facteur causal évident.