L'infirmière Magazine n° 269 du 15/12/2010

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

Le soignant procède à des entretiens où il évalue l’intensité et l’évolution de la dépression d’un patient. Il privilégie l’information et le soutien moral envers ce dernier et s’efforce d’observer un certain nombre de bonnes pratiques qui participent du traitement.

1. PRISE EN CHARGE DU PATIENT DÉPRESSIF

Le rôle de l’infirmière peut s’inscrire à plusieurs étapes de la prise en charge du patient dépressif, comme l’explique Didier Morisot (IDE, CH des Chanaux, Mâcon) : lors de l’entretien infirmier à domicile ou sur un lieu de soins (hôpital, CMP); lors de la consultation avec le médecin ; ou bien encore dans un contexte d’activités thérapeutiques (CATTP, par ex.), de démarches à visée sociale ou administrative ou de réunions cliniques destinées à dégager des pistes de soins pour les patients.

Au fil des entretiens

Lors de l’entretien d’accueil, l’infirmière se doit, à partir d’une évaluation clinique, d’apprécier l’intensité de la dépression, le contexte dans lequel elle survient et le risque suicidaire, afin de déterminer l’urgence avec laquelle le patient devra être confié à un psychiatre. Dans les cas où le patient est suivi et traité par un médecin généraliste pour sa dépression, une orientation directe vers un psychologue ou une assistante sociale pourra être discutée. « Quoi qu’il en soit, l’infirmier ne travaille jamais en franc-tireur, insiste Didier Morisot, et doit faire valider ses décisions par un médecin. »

Au fil des entretiens, il s’agira d’apprécier l’évolution de la symptomatologie et d’aider le patient à mieux connaître sa maladie. Si les premiers temps de la prise en charge sont marqués par la réassurance, ceux qui suivent visent à l’amener à trouver en lui les ressources susceptibles de l’aider à « aller mieux » pour pouvoir se projeter dans l’avenir, comme l’explique S. Santier (IDE, hôpital H. Ey, Paris). Le retour à un équilibre hygiéno-diététique correct participe également du rétablissement du patient (voir encadré).

Information et soutien

Didier Morisot insiste sur la nécessité de travailler l’adhésion au traitement en aidant le patient à exprimer ses réticences et ses craintes, en repérant les idées reçues (« Les antidépresseurs, ça rend dépendant, ça fait perdre la virilité… ») et en privilégiant l’information et le soutien moral. Il souligne, par ailleurs, tout comme S. Santier, la nécessité de « travailler » avec les familles en les écoutant et en les déculpabilisant au besoin (elles ont parfois l’impression « d’abandonner » leur proche à l’hôpital psychiatrique), en leur donnant des informations quant à la dépression ou en les mettant en lien avec le psychiatre.

Préparer la sortie

La période d’hospitalisation, quant elle est nécessaire, n’étant souvent que l’amorce des soins, il y a lieu de préparer la sortie afin d’éviter une éventuelle rechute. Pour qu’elle se passe dans de bonnes conditions, des aides au quotidien sont parfois nécessaires (visites d’un infirmier « psy » à domicile pour écouter, stimuler et accompagner les personnes, aide-soignant pour les soins corporels, aide-ménagère pour éviter une dégradation trop grande des conditions de vie…).

2. LA DEPRESSION DANS LES SERVICES SOMATIQUES

Des mouvements dépressifs profonds peuvent être générés par les maladies somatiques. Corps et psyché étant intimement liés, ces affections – notamment celles qui sont de mauvais pronostic – ne manquent pas d’induire des bouleversements identitaires majeurs liés, entre autres, à une interruption des capacités de projection vers l’avenir et à une perte d’idéal massive, comme l’explique le Dr Reyre, psychiatre PH à l’hôpital Avicenne de Bobigny.

Face aux douleurs psychiques

À l’occasion des soins techniques ou indépendamment, les infirmiers sont invités à accueillir la parole de ces derniers et à repérer les expressions d’angoisse ou de dépression. Mais, en pratique, beaucoup limitent les échanges verbaux et cantonnent leurs actions aux gestes techniques car la détresse des patients est parfois difficile à supporter, et ce d’autant qu’elle peut faire écho à des problématiques personnelles douloureuses.

Pour ceux qui acceptent d’entendre la souffrance des patients, le fait de pouvoir en parler au sein d’une équipe « contenante » est positif. Cela leur permet de ne pas se laisser déborder par l’émotion et d’éviter de réagir par des attitudes inappropriées d’abandon ou de rejet, comme l’explique le Dr Reyre. Le but est de garder la distance thérapeutique nécessaire pour faire face aux douleurs psychiques des patients. Il est aussi de déterminer s’il y a lieu ou non d’envisager de faire appel au « psy » de liaison (le psychologue est plutôt indiqué en cas de troubles de l’adaptation ; le psychiatre dans les cas où un traitement psychotrope est déjà prescrit, où il y a des antécédents de dépression, une rupture nette avec le comportement antérieur ou des idées suicidaires).

Appel au spécialiste

Quand il apparaît qu’il faut faire appel au spécialiste pour prendre en charge les difficultés psychiques du patient, il faut toujours – sauf impératif majeur (idées de mort prégnantes notamment) – que les inquiétudes de l’équipe soient dites au patient et que celui-ci soit préparé à l’arrivée du « psy » de liaison de façon à ce qu’il puisse accueillir son aide. Le Dr Reyre insiste sur le fait qu’il est souvent très violent pour un patient de voir arriver dans sa chambre un psychiatre sans en avoir été prévenu car la présence de ce dernier expose au devant de la scène une détresse qu’il croyait avoir réussi jusqu’alors à masquer ou à canaliser.

Le suivi « psy » ne doit pas se limiter à la période de soins, il doit perdurer au-delà, souligne le Dr Guilibert, psychiatre de liaison (Hôpital européen Georges– Pompidou, à Paris). La reprise du travail ou la période qui suit l’arrêt des soins (sortie de réanimation, fin d’une période de chimiothérapie…) est une période à risque d’effondrement psychique alors même que les événements extérieurs laissent à croire que tout va mieux, car le patient se sent seul, sans le « filet protecteur » que représentent les soins et l’institution.

Les symptômes

Les symptômes auxquels le Dr Guilibert recommande d’être particulièrement attentif :

→ l’anhédonie (manque d’envie même pour des choses qui faisaient plaisir auparavant) ;

→ les troubles somatiques (perte de poids, troubles du sommeil) ;

→ l’anesthésie affective (« tout m’est égal ») ;

→ l’alexythymie (les émotions sont cachées) ;

→ la rupture des soins ;

→ les réactions émotionnelles inappropriées (ex. : pleurs au cours d’un soin habituel) ;

→ la passivité ou l’irritabilité ;

→ la rupture du fonctionnement antérieur avec l’entourage (soignants, famille, proches, collègues) ;

→ le projet d’interruption des activités professionnelles (démission sans autre perspective).

1- Remerciements aux infirmiers de l’unité d’accueil de l’hôpital H. Ey et du secteur 75G19 et notamment à P. Belmadi (IDE), P. Courtaud (IDE), P. Gruet (cadre infirmier), P. Leterrier (ISP), S. Santier (ISP), E. Billerac (ISP) et F. Vacher (cadre).

ANALYSE

Vision institutionnelle du soin

Si l’on considère, comme le fait le Dr Reyre (psychiatre, hôpital Avicenne, 93), que la psychothérapie est un soin formalisé et dispensé dans un cadre défini, les infirmiers, quel que soit leur investissement, ne font pas de psychothérapie mais participent de l’effet thérapeutique, ils sont du côté des soins institutionnels. Au-delà des actions individuelles, l’équipe, dans son ensemble, et à travers son fonctionnement (sa capacité à discuter, à échanger, à élaborer des règles…) et le cadre institutionnel dans lequel elle opère, participe des soins. Lorsque les équipes « fonctionnent bien », l’avis de l’aide-soignant sur un patient peut être entendu tout autant que celui de l’assistante sociale ou du médecin chef, et le simple fait de parler d’un patient en synthèse influe sur la qualité de sa prise en charge. Dans ce contexte, chaque infirmier porte quelque chose du fonctionnement de l’équipe lorsqu’il s’entretient avec le patient.

→  Aller plus loin

Du fait de leurs qualités relationnelles personnelles, de la proximité qu’ils ont avec les patients au quotidien, de la moindre distance sociale qui les sépare d’eux, parfois, certains infirmiers peuvent être très investis par les patients et aller loin dans le soin sous réserve, comme le souligne le Dr Reyre, « d’être formé à la santé mentale et d’être soutenus par une équipe “suffisamment bonne” », comme le disait Winnicott. S’ils peuvent parler de ce qu’ils reçoivent à une équipe à l’écoute et trouver un relai possible lorsqu’ils sont débordés, les infirmiers supporteront l’investissement du patient et la violence de son expression symptomatique. Cas contraire, ils sont susceptibles de le vivre comme une charge émotionnelle trop intense, capable de les envahir ou de conduire à des attitudes rejetantes ».

CHECK-LIST DES BONNES PRATIQUES

Conseils pratiques et réflexions de l’équipe d’infirmiers(1) du secteur psychiatrique du 17e arrondissement parisien (service du Dr Bertrand – Hôpital H. Ey, Paris).

Instaurer une relation de confiance

– Se présenter… Rien n’interdit d’être souriant.

– Nommer les personnes par leur nom (et non par celui de la maladie ou de la chambre).

– Les dépressifs sont peu demandeurs d’entretien, leur culpabilité, leur mauvaise estime d’eux-mêmes, leur désespoir, parfois, les tiennent éloignés des autres. Il faut donc les solliciter et, en cas de refus, leur dire que l’équipe se tient à leur disposition s’ils ont envie de parler.

– Opter pour une écoute bienveillante.

– Accepter d’être touché tout en gardant la « bonne distance » thérapeutique : ne sombrer ni dans le débordement émotionnel ni dans le rejet défensif.

– Valoriser l’empathie, mais se méfier de la sympathie ou de la compassion, qui remettent en question la nécessaire limite soignant-soigné…, privé-public

– Ne pas porter de jugement.

– Ne pas non plus s’apitoyer.

– Prendre le temps de l’écoute (même au détour d’un soin somatique).

Revaloriser l’estime de soi

→ Lorsque le patient est au plus profond de sa dépression :

– Ne pas le « brusquer » mais le stimuler régulièrement (pour parler, pour effectuer les actes du quotidien…).

– S’adapter à ses possibilités et, éventuellement, à ses rythmes : « À ce stade, un peu de maternage ne nuit pas », précise une infirmière.

– Éviter les « bons conseils », qui ne servent à rien chez des patients abouliques (sans énergie vitale).

– Accepter d’entendre les plaintes du patient.

– Valoriser ses actes (ex.: être sorti de son lit, s’être lavé sans qu’il ait été besoin de lui rappeler cette nécessité…)

→ Lorsque l’état psychique du patient s’améliore :

– Savoir le « bousculer » un peu, rappeler les éléments de réalité (respect du cadre et des règles : horaires de repas, hygiène…)… au risque de la frustration ou du mécontentement.

– S’informer sur ses centres d’intérêt pour l’aider à parler de ce qui était connoté positivement pour lui, raviver les bons souvenirs, aller jusqu’à mettre en lumière certaines possibilités de reconstruction.

Favoriser les échanges

– Faire un geste technique n’interdit pas d’entrer en relation avec le patient. Le simple fait de prendre les constantes peut être un moment d’échange.

– Sortir du cadre des soins (CMP, hôpital…) incite souvent à une plus grande liberté de parole. L’abandon de la blouse blanche, qui, au début d’une hospitalisation est un signe de reconnaissance visuelle mais aussi une façon de renforcer l’image d’une institution qui se veut soignante, participe d’un rapport moins contraint et moins « autoritaire ».

– Favoriser les temps de partage autour d’une activité (pâtisserie, peinture…).

– Aller boire un café avec le patient hors de l’établissement peut le rassurer quant à sa capacité à « être en société ».

Soutenir sa vigilance

– Veiller à ce que le patient, souvent très peu demandeur de soins, ne passe pas ses journées au lit. Pour ceux qui ne sortent pas, prendre le prétexte du ménage à effectuer ou de la chambre à aérer pour les inciter à quitter leur lieu de réclusion.

– Inciter les patients à prendre soin d’eux sur le plan corporel, leur proposer de l’aide, et valoriser ce qui est fait. Il est préférable de mettre l’accent sur l’importance de l’hygiène plutôt que sur les nécessités esthétiques (l’image qu’ils ont d’eux-mêmes est souvent trop péjorative pour que ce critère fasse écho).

– Pour ceux qui ont du mal à se motiver pour la douche, le bain peut être une solution appréciée car moins « agressive » et plus relaxante.

– Privilégier, en journée, le port de vêtements de ville plutôt que celui d’un pyjama ou d’un peignoir.

– Ne pas se substituer au patient pour faire son lit mais l’aider à le faire.

– Préférer, au début de l’hospitalisation, les chambres individuelles, sauf pour les patients suicidaires, pour qui le fait d’être avec un tiers est rassurant.

– Éviter de laisser les patients seuls dans leur chambre face à leur plateau-repas, ils mangent mieux quand ils sont en compagnie.

– Repérer les patients qui ont des troubles du sommeil et les signaler.

EXPRESSION CULTURELLE DE LA DÉPRESSION

L’exemple guyanais

Quand le soignant est en situation « d’étranger » immergé dans un lieu où la référence culturelle prédominante est éloignée de la sienne, l’infirmier est placé dans une situation nécessitant une approche particulière. Diane Vernon, anthropologue, est installée comme psychologue au CMP de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), où 70 % de la population est composée de Noirs marrons. Pour aider ces populations, elle a choisi, comme de nombreux soignants, d’apprendre à parler le « businenge » et de se familiariser avec leur culture. « Chez eux, explique-t-elle, il n’y a pas de mot pour traduire “dépression”, et les manifestations cliniques de la maladie n’ont pas grand-chose à voir avec celles décrites dans le DSM IV. Elle prend le masque d’un épisode délirant interprété comme une possession de l’esprit. Nos antidépresseurs viennent en complément des traitements proposés par les guérisseurs traditionnels qui, en cas d’échec des bains de plantes et après avoir cherché les causes surnaturelles de la crise, utilisent des techniques pour contenter, exorciser ou domestiquer l’esprit qui a investi le sujet. Il y a encore quelques années, il n’était pas rare de voir s’édifier à côté de la maison du guérisseur (“l’obieman”) des constructions de fortune où ses clients venaient s’installer jusqu’à leur guérison.

Pour que l’adhésion aux traitements allopathiques soit effective, D. Vernon insiste sur l’intérêt des visites à domicile. Outre la distri­bution de médicaments, elles permettent de tisser un lien avec les familles (la maladie est toujours prise en charge par le groupe familial, l’individu atteint est passif), de suivre l’évolution des troubles et de comprendre certains arrêts de traitement (les effets secondaires des médicaments sur la libido en sont souvent la cause).