Un toit aux vieux jours - L'Infirmière Magazine n° 269 du 15/12/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 269 du 15/12/2010

 

AUTISME

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Le « Village de Sésame » accueille, près de Lyon, des personnes autistes vieillissantes. Un lieu de vie sur mesure, où les besoins de chacun comptent.

En ce début d’après-midi, l’heure est à la sieste pour les résidents de la maison 50, l’une des quatre maisons individuelles du « Village de Sésame », structure dédiée à l’accueil de personnes autistes vieillissantes. Certains se sont retirés dans leurs chambres, Daniel (1) et Agathe somnolent dans le salon… Philippe, lui, s’agite. Gérard, coordinateur de la maison, et Emmanuel, aide médico-psychologique (AMP), lui proposent de s’asseoir avec eux. Philippe semble ne pas entendre. Il arpente le salon d’un pas hésitant, gratte ses cheveux grisonnants. Soudain, il file, puis revient les bras chargés d’une grande grue de plastique jaune et d’un panier d’osier rempli de dépliants de supermarché, ses « trésors », explique Gérard. Philippe en est très fier. D’une main tremblante, il pose le tout sur la table et sourit. « Grue… grue… », répète-t-il en désignant l’objet. Puis, il saisit ses dépliants, les tend à Gérard, articulant quelques mots connus de lui seul et pointant du doigt les photos de sucreries. « Non, aujourd’hui, c’est Liliane qui est partie faire les courses, lui explique Gérard. On ira demain si tu veux. C’est d’accord ? » Philippe soupire, son regard se perd.

Être au monde… à une activité, une parole, un regard. Pour les personnes comme Philippe, atteintes de troubles autistiques, le cheminement est complexe, et souvent douloureux. Et lorsque, qui plus est, l’âge s’en mêle, l’accompagnement doit s’y adapter. C’est qu’à partir de 40 ans, les traitements, notamment pour les troubles associés comme les troubles sensoriels ou l’épilepsie, pèsent. Et puis, l’âge venant, tous ne sont plus capables de « tenir le rythme », celui des foyers pour adultes, du levers à heure fixe, des ateliers, celui du travail parfois… Pour eux, quel lieu de vie – et quelle vie – à l’heure où l’autonomie va en diminuant ? Quand les familles ne sont plus là, ou se font très âgées ? Généralement, l’équation paraît insoluble. C’est pour y répondre que l’association Sésame Autisme Rhône-Alpes s’est lancée dans la création d’une structure d’accueil dédiée, le Village de Sésame, qui a ouvert ses portes cet été à Messimy, une petite ville de la grande banlieue lyonnaise.

L’établissement – qui a le statut de foyer d’accueil médicalisé – est le premier du genre en France. Il dispose de 36 places, dont 4 dédiées à l’accueil temporaire, et est ouvert 365 jours par an. « Nos 32 résidents permanents, âgés de 42 à 66 ans, vivaient auparavant en proportions équivalentes soit avec leurs parents, soit en foyer pour adultes, soit à l’hôpital psychiatrique, explique Alexandre Thon, directeur des lieux. L’idée était de leur offrir cadre de vie et prise en charge adaptés, en mettant l’accent sur le prendre-soin au sens global, sur le respect du rythme de chacun ».

Respect du rythme de chacun

Premier atout de la structure : son architecture. A quelques pas du centre-ville, le Village de Sésame a des airs de mini-lotissement : une grande rue centrale avec son kiosque, bordée de quatre maisons de plain-pied accueillant chacune huit résidents, et d’une cinquième abritant les services communs telles l’infirmerie et la salle de psychomotricité, et des pièces de réception pour les familles. Dans chaque maison, les vastes chambres individuelles s’organisent autour des lieux de vie commune… « Il fallait anticiper les possibilités de déplacement à venir, liées au vieillissement. Et offrir un espace de vie, une maison, à dimension humaine, où le repérage soit adapté aux difficultés des personnes autistes à appréhender l’espace », explique Isabelle Makrides, chef de service.

Le Village de Sésame, c’est aussi une équipe nombreuse et pluridisciplinaire. Chaque maison a son équipe, constituée d’un coordinateur, d’un animateur, et de quatre aides-soignantes ou AMP. S’y ajoutent une chef de service, deux infirmières, une psychomotricienne, deux animateurs, une psychologue, une assistante sociale… sans oublier un médecin et une kiné qui passent régulièrement. « Nous sommes presque aussi nombreux que les résidents ! C’est un luxe, qui nous permet de prendre du temps avec chacun », souligne Isabelle, aide-soignante. Ici, chacun se lève quand il le désire, à 7 heures ou à 10 heures, peut faire la sieste après le repas ou sortir faire un tour, participer ou non, et à sa mesure, aux activités qui se mettent en place – jardinage, marche, chant, équitation, piscine, etc.

« Les troubles autistiques, précise Isabelle, imposent un accompagnement serré si l’on veut favoriser le bien-être de chacun. Même une toilette se pense, s’accompagne. » Eva refusait de se laver, parce que le savon était à gauche et non à droite de la baignoire, perturbant l’ordonnancement du monde qu’elle s’était construit. Michel était mal à l’aise sous la douche, il chantonnait fébrilement, jusqu’à ce qu’Isabelle, après en avoir parlé avec la psychologue, se mette à chantonner avec lui. Prendre le temps, savoir observer…, c’est essentiel, confirme Aurore, psychomotricienne. « Ainsi de mon travail avec Louise. Au départ, elle criait chaque fois qu’elle me voyait. Parce que j’étais étrangère à son monde. J’ai commencé par être présente tous les matins à 10 heures lors du petit café que, dans son rituel, elle prend dans le bâtiment administratif. Je suis aussi passée régulièrement dans sa maison lui dire bonjour. Louise a accepté une balade, puis une autre… Aujourd’hui, je peux travailler avec elle son vécu de chute, une angoisse corporelle qu’elle apprend à mieux vivre. »

Douleur muette

Auprès des résidents, l’équipe est moins dans l’incitation que dans la suggestion. Ici, Jean plie du linge avec une animatrice, tandis qu’à ses côtés, Marie déambule, Daniel dessine. « Nous ne sommes pas, comme nous le serions avec des plus jeunes, dans une dynamique d’apprentissage. Cela ne veut pas dire que nous considérons que les résidents sont “au bout de quelque chose” ! Chacun est sollicité, pour participer à la vie de la maison, pour des activités, mais son rythme et ses besoins priment », commente Gérard. « Et cela explique le nombre des soignants dans l’équipe, et le travail fait en étroite collaboration avec les hôpitaux psychiatriques voisins », ajoute Alexandre Thon. Leur présence est une façon d’anticiper les pathologies qui surviendront avec l’avancée en âge des résidents. Mais, dès à présent, elle est signe de vigilance face à la souffrance. « Une douleur qui est rarement dite, la plupart des résidents ne parlant pas », précise Delphine, infirmière.

« Repérer la douleur d’un résident ou ce qui le fait sourire, l’exercice n’a rien d’évident tant les troubles de l’autisme nous sont toujours étrangers », souligne Carole, aide-soignante. À cet égard, commente la jeune femme, la complémentarité des regards que permet le travail en équipe pluridisciplinaire est un atout précieux. « Tout comme le fait que nous ayons tous bénéficié d’une formation adaptée, et qu’une psychologue soit présente à plein temps pour soutenir les équipes », ajoute-t-elle. Le Village de Sésame en est encore à ses premiers pas. Mais déjà, Monique et Jean, les parents de Valérie, sourient. « Ici, notre fille semble apaisée. Elle a pris ses repères, elle apprivoise son lieu de vie à elle. Pour nous, qui un jour ne serons plus là, c’est un soulagement. »

1- La plupart des prénoms ont été modifiés.

CONTACTS

Le Village de Sésame 11, chemin La Font 69510 Messimy 04 37 22 14 20 villagedesesame@orange.fr.

TÉMOIGNAGE

« On apprend à décoder »

DANIÈLE INFIRMIÈRE

« Pour moi, qui viens de gériatrie, être infirmière ici, cela bouscule mes habitudes de soignante tant le rapport à leur corps des personnes autistes est complexe. Comment repérer une douleur lorsque le langage est absent ? Ce peut être, au terme d’échanges en équipe, réaliser que si Nadine crie sans cesse, c’est parce qu’elle a mal aux dents. Comment soigner une plaie lorsque la personne refuse de se laisser toucher ? Ce peut être expliquer à Lydia, qui avait des soucis dermatologiques, que ce n’était pas moi, mais la compresse qui la touchait. Il faut apprendre à décoder le langage corporel de chacun, car si la plupart des résidents du Village ne parlent pas, leurs attitudes nous disent beaucoup. Mon travail est avant tout relationnel, nourri des échanges en équipe, en grande partie synonymes d’observation vigilante, d’apprivoisement, de réassurance. »

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