INTERVIEW : ARNAUD BASDEVANT, chef du service de nutrition de la Pitié-Salpêtrière et professeur à l’Université Pierre-ET-Marie-Curie
DOSSIER
Maladie liée aux évolutions des modes de vie, l’obésité augmente chez l’adulte dans toutes les tranches d’âge, favorisant l’occurence d’autres pathologies. Attention et prévention sont au cœur de l’accompagnement infirmier.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : En quoi l’obésité est-elle une maladie ?
ARNAUD BASDEVANT : L’obésité expose à des complications somatiques, psychologiques, et peut avoir un retentissement social. En ce sens, elle peut être considérée comme une maladie. L’ Organisation mondiale de la santé la considère comme telle. Les principales conséquences physiques sont l’hypertension artérielle, le diabète, les maladies cardio-respiratoires et certains cancers. Sur le plan psychologique, l’excès de poids peut être mal accepté, d’autant plus qu’il existe une stigmatisation entretenue par l’« idéal minceur ». Enfin, les personnes obèses souffrent de discrimination, en particulier à l’embauche.
L’I. M. : Pourquoi l’obésité progresse-t-elle l’obésité dans la population adulte française ?
A. B. : La progression de l’obésité s’observe actuellement dans presque tous les pays du monde. La France est relativement protégée de l’obésité si l’on compare nos chiffres à ceux de la Grande-Bretagne, par exemple : 15 % contre 25 %. Mais il est vrai que chez l’adulte, l’obésité continue de progresser, en particulier chez les femmes, dans les populations en difficulté sociale. Ce sont les formes les plus graves qui progressent le plus.
L’I. M. : Comment s’explique le recul des chiffres de l’obésité pour les enfants et adolescents ?
A. B. : C’est un constat, il n’y a pas d’explication nette pour l’instant. La France n’est pas la seule à constater cette inflexion, la Suisse et le Danemark l’observent également. On peut penser à un effet des campagnes de prévention, sans en avoir la preuve. Il va être important de suivre cette tendance pour voir si elle se confirme.
L’I. M. : Quelles projections peut-on faire pour l’avenir ?
A. B. : Nous constatons une augmentation de la fréquence de l’obésité chez l’adulte dans toutes les tranches d’âge. Les études indiquent que la fréquence augmente chez les sujets de plus de 65 ans et bien au-delà de 75 ans. Sans doute parce que les facteurs de risques tels que l’hypertension artérielle, le diabète, les dyslipidémies sont maintenant bien pris en charge, préservant, pour une grande part, des accidents vasculaires précoces.
L’I. M. : L’obésité favorise encore d’autres pathologies ?
A. B. : Il faut penser à des complications moins connues mais fréquentes, tels les problèmes urinaires, l’incontinence, et le reflux gastro-oesophagien. Les conséquences de la stéatose hépatique sont également un sujet actuel de préoccupation. Mais il faut certainement insister sur les apnées du sommeil et les conséquences respiratoires de l’obésité qui peuvent s’observer chez de jeunes gens obèses. Sans oublier de signaler que l’excès de poids peut à son tour aggraver les conséquences d’une maladie associée. L’exemple le plus courant est représenté par les effets aggravants de l’obésité sur les maladies articulaires, sur les handicaps neurologiques ou autres.
L’I. M. : Dans votre service, quelles réponses apportez-vous ?
A. B. : Nous pensons que l’obésité est une situation très hétérogène dans ses origines et dans ses conséquences. Il faut donc faire une analyse individuelle des situations, et aider au cas par cas.
L’I. M. : Quel peut être, alors, le rôle particulier de l’infirmière ?
A. B. : D’abord, reconnaître la souffrance provoquée par certaines obésités. Considérer la personne obèse comme toute personne qui souffre et qui a recours au système de soins. Ensuite, porter une attention particulière aux difficultés pratiques, à la fois pour les soins et pour la vie quotidienne. Enfin, contribuer à la prévention et au traitement par des conseils déculpabilisants. Il faut aussi faciliter les traitements quotidiens du diabète et de l’hypertension.
L’I. M. : L’obésité est-elle une pathologie de demain ?
A. B. : Oui, c’est une maladie qui est liée aux évolutions des modes de vie, des facteurs économiques. En ce sens, c’est une maladie de demain. Mais, l’environnement et les modes de vie peuvent changer radicalement, et, avec eux, les maladies liées à la nutrition peuvent évoluer.