L'infirmière Magazine n° 270 du 01/01/2011

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

L’enfant Tristan A., grand prématuré, est né à 28 semaines d’aménorrhée (SA) pour prééclampsie, avec un poids de 935 g. Un tableau de communication inter-auriculaire est découvert à 8 semaines (poids : 2 440 g) devant des problèmes alimentaires d’apparition secondaire (dyspnée à l’effort) et un souffle systolique intermittent. Un traitement digitalo-diurétique est instauré : digoxine : 10 µg/kg/j ; furosémide : 1 mg/kg/j, aboutissant à une nette amélioration clinique.

Deux semaines plus tard, de nombreux malaises avec bradycardie et désaturation évoquent une intoxication massive par digitalique. Un dosage de digoxine 4 heures après la dernière prise révèle un taux à 23.30 µg/L pour des valeurs de référence comprises entre 0.8 et 2 µg/L.

Un contrôle réalisé 7 h 30 après la dernière prise retrouve un taux à 8.87 µg/L, avec une hyperkaliémie à 6.1 mmol/L.

L’électrocardiogramme réalisé retrouve un aspect d’imprégnation digitalique avec un segment ST en cupule ; il n’y a pas d’anomalie du rythme cardiaque, en particulier pas de bloc auriculo–ventriculaire.

Devant ce tableau d’intoxication mettant en jeu le pronostic vital à court terme, une administration d’antidote (fragments Fab d’anticorps anti-digoxine) est réalisée à la dose de 5 mg/kg sur 30 minutes, ce qui entraîne une amélioration clinique immédiate.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

La prescription initiale du médecin comportait « Digoxine buvable 50 µg/ml : 0.25 ml × 2/jour ». Le recopiage de la prescription sur la feuille de surveillance infirmière a abouti au raccourci : « Digoxine 0.25 ml × 2 ; 8 h-20 h ». Au cours de deux administrations par une même infirmière, la forme injectable a, par erreur, été utilisée, à la place de la forme gouttes buvables, alors que sa concentration est cinq fois plus élevée que la forme buvable.

La prescription initiale comportait les informations nécessaires à la bonne administration du traitement. Au niveau de l’administration, le recopiage de la prescription médicale sur les feuilles de surveillance et l’utilisation de celle-ci pour administrer le médicament ont conduit à une dérive de la retranscription, avec des raccourcis et des abréviations, notamment sur la forme galénique et, par conséquent, à l’erreur d’administration qui a provoqué le surdosage.

2. DIGOXINE : RAPPELS

Les digitaliques sont des médicaments utilisés depuis plus de deux siècles. Leur action cardiotonique est bien connue, mais leur maniement reste délicat (risques de sur– ou de sous-dosage). Ce sont des médicaments à marge thérapeutique étroite.

La digoxine intervient au niveau de la cellule myocardique en facilitant l’entrée du potassium dans la cellule et la sortie du sodium. En second lieu, l’échange calcium-sodium permet une augmentation des concentrations intracellulaires de calcium. Ce mécanisme se traduit par un effet :

→ inotrope + : augmentation de la force contractile et de la vitesse de contraction ;

→ chronotrope – : ralentissement du rythme ;

→ dromotrope – : ralentissement de la conduction ;

→ bathmotrope + : augmentation de l’excitabilité au niveau ventriculaire.

Indications

Les indications de la digoxine sont :

→ l’insuffisance cardiaque chronique : c’est l’indication privilégiée, en particulier en fibrillation auriculaire rapide ;

→ les troubles du rythme supra ventriculaires : en particulier l’accès de tachycardie jonctionnelle chez l’enfant.

Posologies

La digoxine existe sous forme de comprimés à 0,25 mg et 0,125 mg, en solution buvable à 50 µg /ml et sous forme injectable en ampoule de 0,5 mg/2ml.

→ Posologie orale : la posologie habituelle est de 0,25 mg (1 cp à 0,25) à 0.5 mg (2cp) par jour pendant une semaine puis 0,25 mg par jour. En cas d’insuffisance rénale, la dose est réduite en fonction de la clearance à la créatinine.

→ Posologie injectable : la forme injectable est utilisée à la dose de 0,5 à 1 mg/j (1 à 2 ampoules) en dose d’attaque et 0,25 à 0,5 mg/j (1/2 à 1 ampoule/j) en dose d’entretien.

→ Chez l’enfant : on utilise le soluté oral de digoxine (50 microgrammes/ml) en adaptant la posologie en fonction du poids (10 à 12 microgrammes/kg/jour en moyenne). La pipette doseuse du flacon est graduée en 1/20 de ml.

→ Vérification de la digoxinémie : chez le sujet âgé, l’insuffisant rénal et le nouveau-né, un dosage de la digoxine plasmatique est nécessaire pour adapter la posologie, notamment vers la fin de la première semaine, et si des signes évoquent un surdosage (anorexie, nausées, vomissements, diarrhée), un sous–dosage (non-contrôle de l’insuffisance cardiaque) ou si des anomalies électriques l’exigent.

Effets indésirables

Les effets indésirables induits par la digoxine traduisent généralement une intoxication. Ils sont de trois types :

→ troubles digestifs : anorexie, vomissements…;

→ troubles du rythme cardiaque : dépistés par l’électrocardiogramme (bradycardie, tachycardie atriale ou ventriculaire, extrasystoles, voire fibrillation);

→ troubles visuels et troubles neurologiques (vertiges, céphalées…).

Surveillance

La surveillance biologique est effectuée par le contrôle des taux plasmatiques : le taux thérapeutique est situé entre 0.8 et 1.6 ng/ml 8 heures après la dernière prise.

Une surveillance accrue de la kaliémie et de la créatinémie doit être mise en œuvre.

Surdosage – intoxication

L’intoxication digitalique est une complication dont la létalité est potentiellement élevée. Les signes d’intoxication sont l’anorexie, les nausées, les vomissements, et des signes neurologiques. Les signes spécifiques sont l’arythmie cardiaque.

Devant ces signes, il convient d’arrêter le traitement, de corriger les troubles hydro-électrolytiques, d’administrer de l’atropine en cas de bradycardie excessive, et de procéder à une immunothérapie spécifique par les anticorps anti-digitaliques (Digidot), réservés aux intoxications majeures avec pronostic vital engagé.

Interactions médicamenteuses

→ Le calcium IV, le sultopride, la midodrine, et le millepertuis (en vente libre en pharmacie, pour les états dépressifs légers) sont formellement contre-indiqués.

→ Les quinidiniques, le verapamil, l’amiodarone, le diltiazem, les hypokaliémiants sont déconseillés.

→ Il faut espacer d’au moins deux heures les prises d’antiacides, de charbon actif, de cholestyramine.

→ Quant à la carbamazépine, aux macrolides, aux antifongiques azolés, au ritonavir, ils modifient la concentration plasmatique de la digoxine et nécessitent une surveillance clinique particulière, de même qu’une surveillance de la digoxinémie.

3. EN PRATIQUE

La vigilance est de rigueur dans la retranscription des prescriptions, notamment lorsqu’il s’agit de médicaments à zone thérapeutique étroite, ou de traitements pédiatriques.

ATTENTION !

→ La retranscription, le recopiage sont une source d’erreurs d’administration. L’exécution d’une prescription médicamenteuse doit absolument être réalisée à partir de la prescription médicale originale.

→ Il faut une vigilance accrue en cas de médicaments à marge thérapeutique étroite (rapidement toxiques) : la vérification des différents calculs de doses et des dilutions éventuelles est essentielle. Principaux médicaments à marge thérapeutique étroite : les anticoagulants oraux, les digitaliques, les héparines, les antiépileptiques, les anticancéreux, le lithium, les hypoglycémiants, les antiarythmiques…

→ Une grande vigilance est également nécessaire en pédiatrie et en néonatologie. Le petit poids des patients, les modes d’administration différents, l’absence d’AMM pour de nombreux médicaments entraînent fréquemment des erreurs médicamenteuses qui ont de graves conséquences. Chez le nouveau-né, la vitesse de résorption intestinale est réduite, les réactions de métabolisation sont immatures et la filtration glomérulaire rapportée à la surface corporelle correspond à 30 % de celle de l’adulte ; les doses des médicaments à élimination rénale importante doivent être espacées.

→ Les injectables ne sont pas toujours buvables. Beaucoup de médicaments prévus pour être administrés par voie intra-veineuse sont donnés per os au nouveau-né, en l’absence de présentation adaptée. Cette attitude est très aléatoire dès lors qu’il n’existe pas d’étude de biodisponibilité après administration par voie orale des formes injectables ni, au minimum, de données sur la stabilité de la solution en milieu acide (estomac). Le mode d’administration doit être systématiquement validé.