ROYAUME-UNI
SUR LE TERRAIN
INITIATIVE
Depuis 2007, la Grande-Bretagne teste un programme élaboré aux États-Unis et destiné à accompagner des mères adolescentes en difficulté, pendant et après leur grossesse.
Elles ne partent jamais en visite sans leur poupon, qui leur sert à mimer des actions devant les jeunes mères. Tina Maker et Victoria Daukoya – deux des six infirmières de l’équipe de Southwark, un quartier du sud-est de Londres – et Rachel Bartlett, la superviseur de cette équipe, travaillent sans relâche depuis l’implantation, en 2007, du Family Partnership Program. En phase de test en Angleterre, ce dernier a été créé aux États-Unis dans les années 1970 par le Pr David Olds, pédiatre et psychiatre. Témoin des difficultés touchant les enfants nés dans des familles défavorisées, ou en difficulté passagère (dépression post-natale, problèmes avec la famille, le partenaire…), il met en place une démarche innovante, consistant à aider de façon soutenue les mères adolescentes à leur domicile. Résultat : leur santé, leur bien-être et la gestion de leur vie s’améliorent.
En Angleterre, tout commence lorsqu’une jeune femme de moins de 19 ans tombe enceinte pour la première fois et consulte son médecin généraliste. Celui-ci contacte le superviseur d’un des centres pilotes, évoque le programme avec l’adolescente et lui conseille de le suivre. Parfois, les équipes sont sollicitées par les services sociaux. Il arrive aussi que de jeunes mères contactent elles-mêmes un des centres, notamment dans le cas ou ses parents n’ont pas accepté sa grossesse et l’ont mise à la porte, ou bien si elle rencontre des problèmes avec son partenaire (alcool, drogue…).
Le programme s’étend sur toute la grossesse, et jusqu’à deux ans après la naissance de l’enfant. Il consiste en des visites hebdomadaires d’environ deux heures. « Nous leur rendons visite chez elles ou ailleurs, dans le cas ou les visites à leur domicile ne leur conviennent pas. Elles choisissent le lieu qu’elles préfèrent, car l’approche du Family Nurse Partnership est avant tout orientée sur les jeunes mères. Nous leur donnons le choix, c’est souple et pensé d’une manière très intelligente, explique Tina Maker. Dans un premier temps, nous faisons connaissance, puis nous définissons leurs buts, et, enfin, nous travaillons avec elles à leur concrétisation. »
Un des points forts du programme réside dans le suivi régulier et sur le long terme des mères adolescentes venant d’un milieu social souvent défavorisé. Elles sont accompagnées lors de moments cruciaux de leur vie (la grossesse, l’accouchement, le retour chez soi…). Actuellement, un quart des jeunes femmes suivies par les infirmières du centre de Southwark vivent dans un foyer, un autre quart, avec leur partenaire, ou bien seules, et les autres, avec leurs parents. La plus jeune a 13 ans, et l’âge moyen est de 16 ans. « C’est un programme basé sur la confiance. Or, certaines jeunes mères n’en ont plus trop, notamment envers leurs parents ou bien leur partenaire », souligne Rachel Bartlett.
Elle continue : « Notre but est d’établir cette relation de confiance, dès les premiers mois de leur grossesse. Nous leur insufflons des valeurs, comme l’attachement à leur futur bébé. Pour cela, nous leur montrons, en nous servant de la poupée, comment installer le bébé sur ses genoux et lui chanter une chanson en le berçant. » Ce lien de confiance est pérennisé même si les jeunes mères déménagent dans un autre quartier de Londres, car elles peuvent être suivies par la même infirmière.
Chaque visite permet d’évoquer la santé de la mère et de son enfant, de discuter avec elle de ses projets d’avenir, de sa vie sociale et/ou familiale, et de son rôle de mère. « Lors de nos visites, nous mettons systématiquement l’accent sur trois notions clés : le jeu, l’écoute et l’amour », raconte Rachel Bartlett. Et l’interactivité. « Nous leur demandons, par exemple, de penser à un moment qui les a rendu heureuses : “avec qui étiez-vous ?”, “et qu’avez-vous ressenti ?” “comment le reproduire ?”. » Le programme va vraiment en profondeur. « Vous partagez du temps et des émotions ensemble, et cela permet de faire bouger les choses. Vous faites un bout de chemin avec ces jeunes mamans. Elles apprennent à devenir mères – ce qui n’est pas toujours facile à leur âge –, les bons gestes à adopter avec leur enfant, par exemple quand il s’agit de donner le sein. »
D’autres points sont soulevés pendant les visites, comme celui de la télévision. Certaines mères ne l’éteignent que rarement, et les enfants se retrouvent collés devant dès 2 ans… L’alimentation est aussi un sujet de discussion. Certaines des jeunes mamans ont des habitudes alimentaires très mauvaises ; elles mangent très peu de fruits et de légumes.
L’aide précieuse de ces infirmières permet aussi de réunir des familles. Cette année, quatre bébés ont quitté les services sociaux et sont revenus vivre avec leur mère.
Au fil des mois, la relation de confiance grandit entre l’infirmière et la maman. « Nous devenons une sorte de guide, un point de référence pour elles. De plus, quand vous les rencontrez au début de leur grossesse, il existe un réel potentiel de changement », témoigne Tina Maker. Résultat : les mères adolescentes sont beaucoup plus engagées dans l’éducation de leur enfant. Le Family Partnership Program va donc plus loin que toutes les autres formes d’aide existantes. Les « visiteurs de santé » – des psychologues qui aident à lutter contre la dépression post-natale – n’accompagnent pas les jeunes mères sur le long terme. « Parfois, elles voient plusieurs professionnels, une sage-femme, une assistante sociale ou un “visiteur de santé”… Avec le FNP, il s’agit d’une seule personne. Vous avez plus de temps pour leur expliquer ce que vous essayez de faire avec elles, pour leur santé et celle de leur enfant. Du coup, ce service a beaucoup plus de sens à leurs yeux », conclut Rachel Bartlett.
Par ailleurs, un premier rapport sur le FNP met l’accent sur le fait que les pères, quand ils sont présents, attachent de l’importance au programme et s’investissent beaucoup.
En 2007, nombre de sages-femmes et d’infirmières se sont tournées vers le Family Nurse Partnership, intéressées par cette nouvelle démarche. La formation pour être apte à dispenser ce programme est intense et continue, théorique et pratique. « Vous devez être chaleureuse, ne pas juger et être particulièrement intéressée par les adolescents », précise Rachel Bartlett. Chaque semaine, les infirmières font le point sur les adolescentes suivies avec leur superviseur, qui voit un psychologue une fois par mois. « Si elles ont une question, un problème, un blocage avec l’une d’elles, elles viennent directement me voir et on en parle », commente-t-elle.
Implanté dans dix sites pilotes en Angleterre, le FNP est perçu de façon très positive dans l’ensemble, et peu de jeunes femmes l’abandonnent. Certaines continuent de manifester leur reconnaissance après la fin du programme. Une des protégées de Tina Maker lui envoie des cartes postales. La dernière était accompagnée d’une photo d’elle et de sa fille, près de la mer, à Dover.
GEMMA BINÈS, 21 ans, maman d’Eleanor, 3 ans
Mon médecin généraliste m’a parlé du programme FNP (Family Nurse Partnership). Il m’a dit qu’il serait mieux pour moi d’être suivie régulièrement après mon accouchement. Quand je suis tombée enceinte, j’avais 17 ans, et je me suis retrouvée toute seule. J’ai suivi le programme après la naissance de ma fille et jusqu’à ses 2 ans.
Cela m’a permis de me rendre compte qu’être une jeune mère constitue un challenge difficile à relever. L’infirmière, Victoria m’a apporté un soutien remarquable. Je me suis vraiment bien entendue avec elle, c’est une des seules personnes à qui je pouvais tout dire. Elle a toujours été présente quand j’ai eu besoin d’elle. Et sans son aide, je ne sais pas comment j’aurais fait… Mon projet, aujourd’hui, est de reprendre des études. J’ai arrêté trop jeune. J’aimerais m’occuper d’enfants. Et le Family Partnership Program m’a influencé dans ce choix !