L'infirmière Magazine n° 271 du 15/01/2011

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

S’arrêter de fumer est un parcours d’obstacles qui entraîne bien des craintes. Une aventure pourtant grandement facilitée par l’aide des professionnels en tabacologie.

Les trois étapes du parcours de sevrage peuvent se décliner ainsi : la prise de conscience des risques du tabac et de la diminution de la qualité de vie qu’il entraîne ; le stade décisionnel (le fameux déclic); l’arrêt. L’accompagnement par des professionnels compétents aide notablement à un sevrage confortable.

1. LES MÉTHODES

Il n’y a qu’à faire un court séjour sur Internet pour le constater : on propose pléthore de méthodes pour arrêter de fumer. Seules trois thérapeutiques sont agréées par l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) : les substituts nicotiniques ; les médicaments de sevrage (type Champix ou Zyban), tous deux aidant à gérer le manque ; les thérapies cognitives et comportementales, menées par des professionnels reconnus, utilement proposées en complément des traitements pharmacologiques. L’acuponcture ne fait pas partie des méthodes agréées, mais les tabacologues recommandent parfois d’y avoir recours.

Nouvelles approches

S’agissant des stratégies d’arrêt du tabac, les tabacologues préconisent de plus en plus souvent « un sevrage confortable ». Cette approche admet, avant l’arrêt définitif, une étape de réduction progressive de la consommation de tabac, sous substituts nicotiniques oraux. L’objectif est de limiter la frustration, qui est un facteur de rechute et de prise de poids. S’il est considéré efficace durant les deux premières semaines, passé cette période, l’usage de ces substituts a cependant été remis en question par une étude du professeur Jean-Pol Tassin. Le président du conseil scientifique de la Mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie estime, en effet, que le sevrage à la nicotine est, à ce moment-là, complètement acquis.

À noter que des études visant à la création d’un vaccin anti-nicotine sont en cours. Celui-ci serait principalement destiné aux adolescents non fumeurs , ce qui pose un problème éthique, fumer n’étant pas considéré comme une maladie.

Méthodes peu orthodoxes

En marge des méthodes agréées, on entendra souvent témoigner d’anciens fumeurs de l’aide que leur ont apportée des techniques moins orthodoxes, qui peuvent parfois même mener jusqu’au remplacement de l’addiction par une dépendance sectaire. Il convient donc de faire une recherche approfondie avant de se lancer dans pareille démarche, comme en témoigne Roger Gonnet (http://www.antisectes.net), un ancien cadre supérieur de la scientologie : « Les stages de “purif” sont censés vous désintoxiquer de tout. Le coût est d’environ 2 000 euros, mais certains paient jusqu’à 30 000 euros… Le processus dure entre 8 et 15 jours, le temps pour les fumeurs de devenir “accros” à la secte, sans être débarrassés de la cigarette. »

2. LA CONSULTATION DE TABACOLOGIE

Pour bénéficier d’un suivi par un tabacologue, il y a deux façons de procéder : contacter directement un spécialiste ou faire appel à Tabac info service. Dans le premier cas, les tarifs vaient selon le praticien, dans le second, c’est entièrement gratuit. L’apport spécifique du tabacologue, selon le Dr Annie-Claire Sadania, exerçant à Aix-en-Provence, c’est « plus de temps dédié à chaque consultation et le bénéfice de connaissances scientifiques et relationnelles spécifiques ».

Entretien individuel

Toutes les consultations en tabacologie débutent par un entretien individuel qui permet de compléter le dossier de suivi et d’évaluation. « Nous essayons de détecter les points de fragilité de la personne, une anxiété, des symptômes dépressifs sous-jacents ou encore d’autres addictions associées, comme l’alcoolisme », explique le Dr Annie-Claire Sadania.

Batterie de tests

Après l’étape du dialogue visant à féliciter et à encourager le patient, le tabacologue trouve dans le dossier de l’Inpes toute une série de tests dont le premier permet d’évaluer le niveau de dépendance du sujet (test de Fagerström – voir encadré ci-contre). Chez les adolescents, le test de Honc vise à mettre en évidence la perte de contrôle vis-à-vis de la consommation pour des jeunes persuadés de ne pas être “accros”. S’ensuivent, éventuellement, un questionnaire sur la peur de la prise de poids et un autre concernant l’intensité de l’activité physique. La consommation de boissons alcoolisées ou de cannabis est également évaluée, afin de mettre en place un double suivi si nécessaire. Mais, parmi les questionnaires essentiels, l’échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale) est souvent utilisée afin d’éliminer l’éventualité de l’existence d’une pathologie dépressive, qui constitue une contre-indication à l’arrêt du tabac.

Pluridisciplinarité

Ces consultations sont souvent pluridisciplinaires, incluant un nutritionniste, un psychologue comportementaliste et, parfois, une infirmière. Cependant, le rôle de celle-ci reste encore très variable même si elle a obtenu un diplôme de tabacologie, comme le confirme Catherine Minot, coordinatrice Tabac info service : « Dans certaines consultations, les infirmières tabacologues ne font que remplir les dossiers avec les patients. Dans d’autres, elles peuvent mener les entretiens d’un bout à l’autre. Cela dépend entièrement du responsable de la consultation » (voir article p. 38).

Adolescence : quand tout commence

Philippe Gutton, psychiatre, professeur des universités et directeur de la revue Adolescence, explique : « Pris par ses inquiétudes et par la métamorphose qu’il expérimente, l’adolescent est à la recherche de produits qui le calment et l’excitent à la fois. Le tabagisme participe de ces mécanismes. Or, si on considère qu’il n’y a pas de véritable phénomène addictif durant l’adolescence, c’est l’âge où les véritables addictions s’installent. » Il poursuit : « Après l’âge de 17 ou 18 ans, en raison d’un certain nombre de changements physio– logiques, le produit, qui n’était qu’une sorte de complément, devient biologiquement nécessaire. » La bonne nouvelle : un adolescent pourra arrêter de fumer facilement pourvu qu’il le fasse tôt. Comment faire, alors, pour limiter les risques d’addiction à cet âge de toutes les tentations ? « Il n’y a pas de véritable moyen, insiste le spécialiste, la seule zone véritable de dialogue se situe dans la vie quotidienne. On peut, par exemple, insister sur le désagrément subi au sein de la famille et demander à l’adolescent de ne pas fumer à l’intérieur de la maison ou en famille pour ne pas gêner les autres. » Et quid des campagnes de prévention à destination des collégiens et des lycéens ? Là encore, le spécialiste se place à contre-courant des idées reçues : « Ces campagnes pointent, en général, le danger sur la santé et la vie. Mais les ados s’en fichent complètement ! Au contraire, vivre un risque leur paraît plutôt attirant. Les parents et les professeurs ne s’en rendent pas compte, mais l’adolescent ne s’inquiète pas fondamentalement pour son avenir. S’il a commencé à fumer, on essaiera, au mieux, de lui faire comprendre que ce qu’il peut y avoir d’agréable avec le tabac, c’est de fumer modérément. La méthode répressive, face aux jeunes, est complètement inefficace. »

3. TABAC, MATERNITÉ ET ALLAITEMENT

Il est loin le temps où l’arrêt du tabac pendant la grossesse n’était qu’une recommandation. Aujourd’hui, c’est la consigne « zéro cigarettes » qui prévaut. Selon l’Inpes, presque un tiers des fumeuses continueraient pourtant durant leur grossesse et, même en cas de diminution de leur consommation, « les quelques cigarettes autorisées seront fumées avec plus d’intensité et seront tout aussi nocives que les 20 cigarettes fumées précédemment ». La problématique de ces femmes est augmentée par le fait qu’elles ne peuvent pas bénéficier de tous les traitements proposés aux autres fumeurs. Il est à noter, cependant, que les substituts nicotiniques, qui leur avaient été longtemps interdits, sont désormais autorisés. On estime, en effet, que la nicotine qu’ils diffusent est moins nocive pour le fœtus que l’ensemble des toxiques présents dans la cigarette. Au sujet de l’allaitement, les spécialistes de cet institut préconisent l’abstention tabagique, étant donné que « la nicotine passe dans le lait maternel ». Fumer diminuerait aussi la quantité de lait. Il est tout de même précisé que « le lait maternel d’une mère fumeuse sera toujours meilleur pour le développement de son bébé qu’un lait industriel, même maternisé ».

4. LA HANTISE DE LA PRISE DE POIDS

« La cigarette a tendance à “booster” le métabolisme dans le sens du déstockage ; on brûle plus de calories plus vite », explique le Dr Sandrine Chantelot, nutritionniste à Aix-en-Provence. La prise de poids est la première crainte exprimée par les aspirants au sevrage tabagique. Ce n’est pourtant pas une fatalité. On estime à un tiers la proportion de fumeurs qui ont pu arrêter sans prendre de poids. Et, parmi les plus courageux, on en trouve même qui ont tellement bien su gérer leur nutrition qu’ils sont parvenus à perdre des kilos superflus. Parmi ceux-ci, Laurence Lacroix témoigne : « Lorsque j’ai décidé d’arrêter, je me trouvais déjà trop grosse. Estimant avoir dix kilos à perdre, j’ai entrepris tous les changements en même temps : le sevrage doublé d’une modification drastique de mon hygiène de vie. C’est en analysant les associations que je faisais avec la cigarette que j’ai obtenu les meilleurs résultats ; en m’apercevant, par exemple, que je fumais plus volontiers lorsque je sortais et que je buvais de l’alcool. Finalement, je ne vais pas dire que cela a été facile, mais j’ai perdu dix kilos en arrêtant de fumer et je ne les ai jamais repris. » Ce témoignage, bien sûr, est extrême. Selon la nutritionniste, « une prise de poids de deux à trois kilos est à considérer comme un succès dans la mesure où ce léger surpoids est facile à perdre ». Elle recommande donc à ses patients de procéder à une analyse de leurs dérives nutritionnelles avant de cesser de fumer : « Il ne s’agit pas forcément de manger moins, mais de manger mieux. Il est parfaitement possible d’installer des collations au cours de la journée pour éviter l’effet grignotage, mais il faut que celles-ci soient inscrites dans un programme nutritionnel quotidien. De cette manière, on se sent rassasié et capable d’attendre le prochain repas », insiste Sandrine Chantelot. Autre conseil : ne pas passer à un régime exclusivement constitué de produits allégés, déprimants. « L’essentiel est de limiter les frustrations. Il est primordial de continuer à prendre du plaisir à manger. On ne parle pas de régime mais de rééquilibrage », termine-t-elle. Un rééquilibrage dont la ration calorique quotidienne pourra varier entre 1 200 et 1 800 calories selon le sexe, l’âge et la morphologie du patient. En général, un suivi nutritionnel lié à l’arrêt de la cigarette se déroule sur trois à six mois.

THÉRAPIES AGRÉÉES

Modes d’action

→ Les substituts nicotiniques

Ils sont prescrits pour limiter le syndrome de manque lié à l’arrêt ou à la diminution de l’apport de nicotine par la cigarette. Ils existent sous forme orale et de patchs. Leur efficacité varie selon le mode d’absorption et le degré de dépendance nicotinique du sujet. Les formes à sucer ou à mâcher perdent, en effet, une partie de leur principe actif en passant par l’étape hépatique.

→ Les médicaments du sevrage

– Zyban (bupropion) : antidépresseur proche des amphétamines, qui renforce le tonus dopaminergique. L’association aux substituts de la nicotine est parfois possible. Le traitement s’échelonne sur 7 à 9 semaines, avec arrêt du tabac entre le 7e et le 14e jour. Effets secondaires courants : insomnies, céphalées et sécheresse buccale.

– Champix (varénicline) : antagoniste partiel d’un récepteur cholinergique nicotinique. Il fait disparaitre le plaisir de fumer. L’association aux substituts nicotiniques n’est pas recommandée. Le traitement est prévu sur 12 semaines, renouvelable une fois, avec arrêt du tabac une à 2 semaines après le début progressif. Effets secondaires courants : nausées, troubles du sommeil, céphalées, flatulences. Mise en garde de l’Afssaps : risques de dépression et d’idées suicidaires.

→ La thérapie cognitive comportementale

Elle vise à analyser, évaluer et modifier les facteurs individuels et comportementaux influant sur le comportement des fumeurs. Elle est fondée sur l’idée que le fumeur a appris à fumer et qu’il peut donc « désapprendre » en remplaçant le comportement à faire disparaitre par un autre, qui sera défini avec le thérapeute.

Test de Fagerström

1. Le matin, combien de temps après votre réveil fumez-vous votre première cigarette ?

• Dans les 5 minutes 3

• Entre 6 à 30 minutes 2

• Entre 31 à 60 minutes 1

• Après 60 minutes 0

2. Trouvez-vous difficile de vous abstenir de fumer dans les endroits où c’est interdit ?

• Oui 1

• Non 0

3. À quelle cigarette de la journée vous sera-t-il plus difficile de renoncer ?

• La première, le matin 1

• N’importe quelle autre 0

4. Combien de cigarettes fumez-vous par jour, en moyenne ?

• 10 ou moins 0

• 11 à 20 1

• 21 à 30 2

• 31 ou plus 3

5. Fumez-vous à un rythme plus soutenu le matin que l’après-midi ?

• Oui 1

• Non 0

6. Fumez-vous lorsque vous êtes si malade que vous restez au lit presque toute la journée ?

• Oui 1

• Non 0

De 0 à 2 : vous n’êtes pas dépendant de la nicotine. Vous pouvez arrêter de fumer sans avoir recours à des substitutifs.

De 3 à 4 : vous êtes faiblement dépendant de la nicotine

De 5 à 6 : vous êtes moyennement dépendant. L’utilisation de substituts nicotiniques va augmenter vos chances de réussite.

De 7 à 10 : vous êtes très dépendant ou très fortement dépendant de la nicotine. L’utilisation de substituts nicotiniques est recommandée pour vous aider à surmonter cette dépendance. Le traitement doit être utilisé à dose suffisante et adaptée.

INFIRMIÈRE TABACOLOGUE

UN SUIVI DE BOUT EN BOUT

Ces dernières années, l’importance du rôle des infirmières tabacologues s’est énormément accrue. « En 1998, à l’époque où j’ai passé mon DU de tabacologie, explique Catherine Minot, les missions de l’infirmière en consultation de tabacologie n’étaient pas du tout perçues. » Devenue coordinatrice de la ligne Tabac info service, l’infirmière participe à la formation des écoutants et également à des processus de double écoute des médecins tabacologues de la ligne afin de les aider à perfectionner leur méthodologie et leur qualité d’écoute.

Maryline Le Dretonnic, quant à elle, est infirmière tabacologue au centre hospitalier de Vannes. Sa mission transversale l’amène à rencontrer tous les patients fumeurs des services de cardiologie et de pneumologie, voire de neurologie. « Mon premier objectif est d’aider ces patients à vivre le sevrage tabagique imposé par leur hospitalisation de manière sereine. Et lorsque c’est possible, de les encourager à poursuivre leur parcours après leur retour chez eux », explique-t-elle. Un objectif rendu possible par l’existence, en parallèle, d’une consultation externe, où elle exerce également avec une collègue. Toutes deux sont autonomes dans leur exercice et assument le suivi des fumeurs de bout en bout, sous la supervision d’un médecin référent. En un an, les deux infirmières auront ainsi mené quelque 3 000 consultations. « Nous commençons toujours par un entretien motivationnel dont le but essentiel est d’être rassurant et non culpabilisant. Puis, nous leur apportons des informations sur la possibilité d’un sevrage confortable. Tout au long de la procédure, le dossier de suivi tabacologique de l’Inpes constitue notre trame de travail principale. En cas de besoin, nous pouvons également nous appuyer sur un réseau extérieur, constitué d’addictologues, d’alcoologues, de psychologues, etc. La plupart du temps, nous sommes bien reçues par les patients hospitalisés. Notre position transversale nous place en dehors des pathologies, la relation est différente », termine Maryline Le Dretonnic, qui exerce aussi des responsabilités au sein de l’Afit(1). Si on ajoute à cela des sessions de formation en Ifsi, à l’école d’aides-soignantes, et auprès des généralistes et des pharmaciens, on comprendra aisément que les journées d’une infirmière tabacologue peuvent être aussi riches que variées.

1– Afit (Association française des infirmières tabacologues), 4, rue Albert 1er, 56000 Vannes Tél. : 02 97 01 47 26.