GÉRONTOTECHNOLOGIES
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Appartements « intelligents », services de téléassistance, bracelets électroniques… Les gérontechnologies, conçues pour les personnes âgées, sont en plein essor. Sont-elles utiles, à domicile ou en institution… et à quelles conditions ?
Fin octobre, la secrétaire d’État aux Aînés Nora Berra appelait au « respect du libre choix des Français, qui est, pour une majorité de nos concitoyens, de terminer leur vie chez eux ». « Il nous faudra adapter certaines politiques publiques », ajoutait-elle, notamment au travers du « développement à grande échelle des gérontotechnologies »
Les gérontotechnologies essaiment déjà un peu partout en France. À Saint-Étienne, Suzanne, 86 ans, fait l’expérience de la vie « dans un appartement intelligent ». Derrière sa porte d’entrée, fixée au mur, elle montre sa « H2Box » vocale : « Ils m’appellent par là parfois… », dit-elle. Suivant les conseils de son médecin traitant, et de sa fille, aide-soignante, « que ces machines rassurent », Suzanne habite l’un des premiers appartements pilotes de la Loire, équipés de boutons d’appel et de capteurs (voir photos p. 23). Cette expérience est le fruit d’un partenariat établi entre le conseil général, le pôle des technologies médicales de Saint-Étienne
Les appels parviennent à la plateforme H2AD (qui gère, en France, 24 000 dossiers de patients, dont certains en hospitalisation à domicile). Son président, le médecin Paul Verdiel, explique qu’une équipe de « permanenciers régulateurs, “formés maison”, répond 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Dans 75 % des cas, la personne âgée a seulement besoin d’être rassurée, ou elle souffre de solitude… Si cela semble plus grave, l’appel est transféré à l’un de nos médecins, qui travaillent dans un local fermé distinct. Nous faisons partie des premières sociétés agréées en qualité d’hébergeur de données de santé à caractère personnel. » « Pour chaque patient, complète Magali Cueille, nos médecins ont accès à un dossier médical participatif sécurisé, rempli avec le médecin traitant. Je suis chargée de le réactualiser tous les six mois ou chaque fois que survient un nouvel événement médical. Les informations les plus importantes doivent être lisibles au premier regard. » Selon la nature du problème diagnostiqué, la plateforme alerte un réseau de proximité, allant du conjoint jusqu’aux secours, dans les cas les plus graves.
Pour leur part, les informations transmises par les capteurs parviennent à un logiciel d’analyse comportemental, qui donne l’alerte si, en croisant des données, surgissent des « anomalies » (ce système fonctionne pour une personne vivant seule à domicile). « Par exemple, explique Magali Cueille, on peut savoir si la personne dort dans son lit ou pas ! Une mauvaise qualité de sommeil induit un risque de chute plus élevé, et un affaiblissement de sa condition générale. Si elle s’isole, en sortant moins, on s’en rend également compte. En cas de modification inquiétante de son comportement, je peux alors contacter sa famille, ses soignants, pour envisager des solutions. Nous ne sommes pas là pour remplacer les autres professionnels de terrain, mais comme un maillon complémentaire dans la chaîne du maintien à domicile. »
Cependant, l’installation d’un tel équipement « de surveillance » à domicile ne fait pas toujours l’unanimité. « Notre comité d’éthique a refusé ces technologies qui enregistrent les habitudes de vie de la personne, jugées trop intrusives », témoigne ainsi Sophie Graviou, chef du projet IDA (Innovation domicile autonomie) auprès de l’Assad du pays de Rennes (une association spécialisée dans les services à domicile). Après des tests, « seules » une dizaine de solutions technologiques sur 60 produits ont été retenues
Divers équipements ont également été mis au point concernant la maladie d’Alzheimer. Link Care Services propose ainsi une analyse comportementale à base de caméras et de capteurs sonores
Ce bracelet fonctionne grâce à l’installation de bornes dans l’habitation. Sa batterie est autonome durant quarante heures. « Nous conseillons de la recharger durant la nuit. » Hors domicile, l’appareil a une autonomie de douze heures sur mode GPS, ce qui permet de localiser la personne partout où elle circule « en plein ciel » (mais pas dans les bâtiments, par exemple…). « Un nouveau progrès vient d’être accompli, informe Laurent Levasseur. Là où se trouve une couverture GMS (donc partout où passe le téléphone portable), il est désormais possible de repérer la personne dans une zone à 50 mètres près, par un système de triangulation. » Mais s’ils sont laissés seuls chez eux, les malades ne peuvent-ils pas se mettre en danger ? « Nous aurons besoin de l’aide des intervenants à domicile (aide-soignante, infirmière, psychologue…) pour, justement, ne pas atteindre de situations trop stressantes. Ces expériences valideront les limites de notre dispositif industriel. »
L’association France Alzheimer a rédigé un document interne qui n’approuve ni ne condamne l’utilisation de la géolocalisation, tout en indiquant que « la réflexion à mener doit surtout permettre d’évaluer la relation que le malade peut établir avec cet outil, afin qu’il se sente à la fois protégé et respecté. » À Dijon, le gériatre Pierre Pfitzenmeyer fait partie de l’espace « Bourgogne-Franche-Comté », qui réfléchit à ces questions d’éthique et de santé. « On a tendance à ne plus tolérer le droit au risque en favorisant l’ordre social et l’absence d’inquiétude des proches. Un outil est valable s’il est accepté, adapté aux possibilités de compréhension du malade, s’il favorise son autonomie, ses centres d’intérêt. Je me méfie d’une utilisation généralisée, où l’on imposerait plus qu’on ne proposerait… La technique ne doit pas non plus remplacer l’aide humaine. Elle est encore parfois imparfaite : par exemple, dans une communication virtuelle, comme l’image transmise est plane, avec une tonalité de voix possédant moins d’affect, il est difficile de rassurer une personne angoissée ou ayant perdu une partie de ses capacités sensorielles. » À l’inverse, l’utilisation de certains microcapteurs lui semble « ouvrir des dimensions préventives intéressantes. Personnellement, en Ehpad, avoir une caméra dans ma chambre me gênerait. Une puce placée dans un pyjama me paraît davantage acceptable. » Tout équipement devrait aussi faire l’objet « d’une décision collégiale éclairée » et s’accompagner d’une formation des soignants…
Il paraît aussi urgent de ne pas financer n’importe quelle recherche, de favoriser la collaboration entre les ingénieurs, le monde de la santé et les personnes âgées. D’ores et déjà, se pose le problème des conseils généraux, qui poursuivent chacun de leur côté des recherches sans mutualisation des expériences déjà menées. Ne faudrait-il pas une labellisation nationale ? « Je suis favorable à la mise en place d’observatoires, avec une évaluation médico-économique », soutient, pour sa part, Paul Verdiel, d’H2AD. Le coût de ces gérontechnologies fait aussi débat : seront-elles réservées aux plus riches ? Va-t-on recourir à l’assurance privée ? Enfin, n’y a-t-il pas le danger que les responsables politiques financeurs, par souci d’économies, ne recourent trop au maintien à domicile, aux dépens de la construction de maisons de retraite médicalisées ou spécialisées par pathologies, toujours indispensables une fois certaines limites médicales atteintes ?
1– Discours au congrès de l’Assemblée des départements de France, 20 octobre 2010. Nora Berra est actuellement secrétaire d’État à la Santé.
2– Tapez www.pole-medical.com (rubriques recherche et développement, maintien à domicile) pour des informations sur l’opération de la Loire.
3– Plateforme H2AD (Tél : 0 820 22 44 16 et www.h2ad.net).
4– Sur www.ida-autonomie.fr, rubrique « restitution des travaux d’IDA », télécharger « le rapport final remis aux participants », qui explique en détail les choix et les refus de produits.
6– Vidéovigilance sur linkcareservices.com.
Dans Prendre soin du grand âge vulnérable
En parallèle avec les évolutions technologiques, la société n’aurait-elle pas une révolution mentale à mener ? C’est ce que ce gériatre humaniste suggère, au travers d’une analyse de l’évolution du rapport humain à la vieillesse, de l’Antiquité à nos jours.
1– L’Harmattan, novembre 2010, 118 pages, 11 €.
Si elle donne bien l’heure, la montre développée par la société Vivago est loin de s’y limiter… « Elle analyse l’activité physiologique en enregistrant la température cutanée et ambiante, la conductibilité de la peau et jusqu’aux micromouvements », explique Didier Jardin, président de Vivago. En cas d’anomalie, une alarme automatique se déclenche. « C’est très utile pour les équipes de surveillance de nuit. La téléalarme n’empêche pas les gens de mourir, mais elle raccourcit le temps d’intervention des secours. Vivago affine aussi la pratique médicale. Quand un malade se plaint d’insomnie, en consultant les graphiques enregistrés, le soignant reconnaît les phases de sommeil… Des médecins utilisent ces données pour mieux doser leurs prescriptions de morphine ou d’anxiolytique, ils savent quand la douleur ou l’angoisse sont revenues. » La montre peut aussi servir d’antifugue. « Notre force, estime Didier Jardin, est de proposer un objet aux options paramétrables, activables ou pas, individu par individu. Une porte d’entrée d’un établissement peut ne se fermer automatiquement que devant certains résidents. Mieux encore : le personnel est averti que tel malade entre dans une zone à risques, et il l’autorise ou non à en sortir… Dans une maison de retraite de la Vienne, on a créé un mur radio virtuel dans le jardin. Quand un patient s’approche à moins de 50 mètres de la rivière, une alarme (textuelle ou vocale) est transférée sur le téléphone d’un soignant. »