Bien-être ou surveillance ? - L'Infirmière Magazine n° 271 du 15/01/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 271 du 15/01/2011

 

GÉRONTOTECHNOLOGIES

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Appartements « intelligents », services de téléassistance, bracelets électroniques… Les gérontechnologies, conçues pour les personnes âgées, sont en plein essor. Sont-elles utiles, à domicile ou en institution… et à quelles conditions ?

Fin octobre, la secrétaire d’État aux Aînés Nora Berra appelait au « respect du libre choix des Français, qui est, pour une majorité de nos concitoyens, de terminer leur vie chez eux ». « Il nous faudra adapter certaines politiques publiques », ajoutait-elle, notamment au travers du « développement à grande échelle des gérontotechnologies »(1). Fruit de la rencontre de la gérontologie et des technologies, ces applications visent à l’amélioration de la vie des personnes âgées, via des services adaptés à leurs besoins, capacités et handicaps (en termes de santé, logement, mobilité, communication, loisirs). « C’est un domaine où les technologies explosent, mais où il reste beaucoup à faire pour déterminer les vrais besoins des personnes âgées », assurent Maribel Pino et Grégory Legouverneur. Ces deux psychologues participent depuis un an, avec l’hôpital Broca et l’université Paris-Descartes, à un observatoire au sein du laboratoire Lusage, qui teste différents objets, en prenant particulièrement en compte leur « acceptabilité et utilisabilité » par les personnes âgées. Par exemple, expliquent-ils, « au premier semestre 2011, nous allons révéler les résultats d’une étude portant sur l’usage d’un téléphone portable simplifié avec GPS. En collaboration avec des neuropsychologues, nous testons aussi un logiciel qui propose à domicile, via Internet, des exercices de stimulation cognitive à des malades souffrant de la maladie d’Alzheimer (portant sur le langage, l’orientation). Le but est de s’adapter au cas par cas, en fonction des besoins et de la personnalité de chaque patient, en faisant notamment appel à ses connaissances et à ses centres d’intérêt antérieurs. »

Appartement pilote

Les gérontotechnologies essaiment déjà un peu partout en France. À Saint-Étienne, Suzanne, 86 ans, fait l’expérience de la vie « dans un appartement intelligent ». Derrière sa porte d’entrée, fixée au mur, elle montre sa « H2Box » vocale : « Ils m’appellent par là parfois… », dit-elle. Suivant les conseils de son médecin traitant, et de sa fille, aide-soignante, « que ces machines rassurent », Suzanne habite l’un des premiers appartements pilotes de la Loire, équipés de boutons d’appel et de capteurs (voir photos p. 23). Cette expérience est le fruit d’un partenariat établi entre le conseil général, le pôle des technologies médicales de Saint-Étienne(2), une mutuelle, des bailleurs sociaux et la plateforme d’appel d’urgence H2AD(3). C’est là que travaille Magali Cueille, l’infirmière coordinatrice. « En télémédecine comme en téléassistance médicalisée, la plupart des abonnements passent par du relationnel, des réseaux, observe-t-elle. Les personnes âgées craignent les changements d’habitude. L’installation de nouvelles technologies chez elles passe souvent par une mobilisation de la famille et des aidants. » « Je ne pensais pas avoir autant de machines, intervient Suzanne. Au début, ça m’a cassé les pieds. » Un an plus tard, elle semble s’être bien habituée à ces capteurs, situés dans un placard, vers le frigo et dans sa chambre. « S’il n’y a pas de mouvement, ils s’inquiètent. Ma fille est aux anges… »

Dossier médical participatif

Les appels parviennent à la plateforme H2AD (qui gère, en France, 24 000 dossiers de patients, dont certains en hospitalisation à domicile). Son président, le médecin Paul Verdiel, explique qu’une équipe de « permanenciers régulateurs, “formés maison”, répond 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Dans 75 % des cas, la personne âgée a seulement besoin d’être rassurée, ou elle souffre de solitude… Si cela semble plus grave, l’appel est transféré à l’un de nos médecins, qui travaillent dans un local fermé distinct. Nous faisons partie des premières sociétés agréées en qualité d’hébergeur de données de santé à caractère personnel. » « Pour chaque patient, complète Magali Cueille, nos médecins ont accès à un dossier médical participatif sécurisé, rempli avec le médecin traitant. Je suis chargée de le réactualiser tous les six mois ou chaque fois que survient un nouvel événement médical. Les informations les plus importantes doivent être lisibles au premier regard. » Selon la nature du problème diagnostiqué, la plateforme alerte un réseau de proximité, allant du conjoint jusqu’aux secours, dans les cas les plus graves.

Pour leur part, les informations transmises par les capteurs parviennent à un logiciel d’analyse comportemental, qui donne l’alerte si, en croisant des données, surgissent des « anomalies » (ce système fonctionne pour une personne vivant seule à domicile). « Par exemple, explique Magali Cueille, on peut savoir si la personne dort dans son lit ou pas ! Une mauvaise qualité de sommeil induit un risque de chute plus élevé, et un affaiblissement de sa condition générale. Si elle s’isole, en sortant moins, on s’en rend également compte. En cas de modification inquiétante de son comportement, je peux alors contacter sa famille, ses soignants, pour envisager des solutions. Nous ne sommes pas là pour remplacer les autres professionnels de terrain, mais comme un maillon complémentaire dans la chaîne du maintien à domicile. »

Cependant, l’installation d’un tel équipement « de surveillance » à domicile ne fait pas toujours l’unanimité. « Notre comité d’éthique a refusé ces technologies qui enregistrent les habitudes de vie de la personne, jugées trop intrusives », témoigne ainsi Sophie Graviou, chef du projet IDA (Innovation domicile autonomie) auprès de l’Assad du pays de Rennes (une association spécialisée dans les services à domicile). Après des tests, « seules » une dizaine de solutions technologiques sur 60 produits ont été retenues(4). Pour des raisons diverses : « Il est important que ces dispositifs soient acceptés par la personne âgée. Nos choix ont été plus basiques, pour la laisser sujet de son maintien à domicile. Des outils de détection physiologiques intéressants, de type Vivago [ci-dessous] ou Twitoo(5) [service de télésurveillance médicale à domicile], n’ont malheureusement pas pu être validés pour des questions de coût. » Le public visé allait de GIR 5 à 3 (grille d’évaluation de la dépendance) et vivait en logement social. « Nous avons, en revanche, approuvé la sécurisation des trajets nocturnes, via l’allumage de bornes automatiques. » Et comme « les personnes âgées tenaient absolument à conserver leurs clés », les plaques de rue et les accès aux logements ont intégré des codes dits intelligents (créés par un logiciel, ils sont communiqués aux différents intervenants par courriel ou par SMS). L’expérience a aussi pointé plusieurs défaillances de la télé-assistance classique non médicalisée (médaillon non porté ou non activé…). « Des améliorations simples sont possibles, remarque Sophie Graviou. Comme le déport d’interphonie (pour porter le son dans tout l’appartement), ou l’équipement des tirettes des douches. » Durant notre enquête, divers intervenants ont cependant émis d’autres critiques envers la télé-assistance classique. Ce serait « un système qui ne fait que de la gestion d’abonné qui n’appelle pas… ». Il emploierait « du personnel non formé, incapable de qualifier la gravité des appels », « engorgeant de ce fait les secours d’urgence »

Caméras et capteurs sonores

Divers équipements ont également été mis au point concernant la maladie d’Alzheimer. Link Care Services propose ainsi une analyse comportementale à base de caméras et de capteurs sonores(6). Quand le logiciel d’analyse détecte une anomalie comportementale, des images, transmises de façon cryptée, s’affichent sur les écrans des équipes de surveillance spécialement formées… Par ailleurs, Laurent Levasseur, directeur général de la société Bluelinea(7), ambitionne de mener en 2011 une expérimentation « en fournissant un bracelet électronique à 5 000 patients, gratuitement, dans cinq régions. L’aidant l’activera durant des moments de répit choisis, et pendant la nuit. Ce dispositif devrait permettre de retarder les entrées en institution, de limiter les cas de maltraitance (conjoint attaché au lit…) ou l’arrivée aux urgences d’aidants complètement épuisés. » Laurent Levasseur espère s’attirer la collaboration des Clic (centres locaux d’information et de coordination, destinés aux personnes âgées) pour localiser ces patients à des stades modérés d’Alzheimer, vivant à domicile avec leur conjoint. « Les alarmes seront transmises 24 heures sur 24 à H2AD, de manière à alerter le conjoint, un voisin, une association… Nos protocoles compteront au minimum trois référents de proximité à contacter avant les secours d’urgence. »

Ce bracelet fonctionne grâce à l’installation de bornes dans l’habitation. Sa batterie est autonome durant quarante heures. « Nous conseillons de la recharger durant la nuit. » Hors domicile, l’appareil a une autonomie de douze heures sur mode GPS, ce qui permet de localiser la personne partout où elle circule « en plein ciel » (mais pas dans les bâtiments, par exemple…). « Un nouveau progrès vient d’être accompli, informe Laurent Levasseur. Là où se trouve une couverture GMS (donc partout où passe le téléphone portable), il est désormais possible de repérer la personne dans une zone à 50 mètres près, par un système de triangulation. » Mais s’ils sont laissés seuls chez eux, les malades ne peuvent-ils pas se mettre en danger ? « Nous aurons besoin de l’aide des intervenants à domicile (aide-soignante, infirmière, psychologue…) pour, justement, ne pas atteindre de situations trop stressantes. Ces expériences valideront les limites de notre dispositif industriel. »

Questions éthiques

L’association France Alzheimer a rédigé un document interne qui n’approuve ni ne condamne l’utilisation de la géolocalisation, tout en indiquant que « la réflexion à mener doit surtout permettre d’évaluer la relation que le malade peut établir avec cet outil, afin qu’il se sente à la fois protégé et respecté. » À Dijon, le gériatre Pierre Pfitzenmeyer fait partie de l’espace « Bourgogne-Franche-Comté », qui réfléchit à ces questions d’éthique et de santé. « On a tendance à ne plus tolérer le droit au risque en favorisant l’ordre social et l’absence d’inquiétude des proches. Un outil est valable s’il est accepté, adapté aux possibilités de compréhension du malade, s’il favorise son autonomie, ses centres d’intérêt. Je me méfie d’une utilisation généralisée, où l’on imposerait plus qu’on ne proposerait… La technique ne doit pas non plus remplacer l’aide humaine. Elle est encore parfois imparfaite : par exemple, dans une communication virtuelle, comme l’image transmise est plane, avec une tonalité de voix possédant moins d’affect, il est difficile de rassurer une personne angoissée ou ayant perdu une partie de ses capacités sensorielles. » À l’inverse, l’utilisation de certains microcapteurs lui semble « ouvrir des dimensions préventives intéressantes. Personnellement, en Ehpad, avoir une caméra dans ma chambre me gênerait. Une puce placée dans un pyjama me paraît davantage acceptable. » Tout équipement devrait aussi faire l’objet « d’une décision collégiale éclairée » et s’accompagner d’une formation des soignants…

Il paraît aussi urgent de ne pas financer n’importe quelle recherche, de favoriser la collaboration entre les ingénieurs, le monde de la santé et les personnes âgées. D’ores et déjà, se pose le problème des conseils généraux, qui poursuivent chacun de leur côté des recherches sans mutualisation des expériences déjà menées. Ne faudrait-il pas une labellisation nationale ? « Je suis favorable à la mise en place d’observatoires, avec une évaluation médico-économique », soutient, pour sa part, Paul Verdiel, d’H2AD. Le coût de ces gérontechnologies fait aussi débat : seront-elles réservées aux plus riches ? Va-t-on recourir à l’assurance privée ? Enfin, n’y a-t-il pas le danger que les responsables politiques financeurs, par souci d’économies, ne recourent trop au maintien à domicile, aux dépens de la construction de maisons de retraite médicalisées ou spécialisées par pathologies, toujours indispensables une fois certaines limites médicales atteintes ?

1– Discours au congrès de l’Assemblée des départements de France, 20 octobre 2010. Nora Berra est actuellement secrétaire d’État à la Santé.

2– Tapez www.pole-medical.com (rubriques recherche et développement, maintien à domicile) pour des informations sur l’opération de la Loire.

3– Plateforme H2AD (Tél : 0 820 22 44 16 et www.h2ad.net).

4– Sur www.ida-autonomie.fr, rubrique « restitution des travaux d’IDA », télécharger « le rapport final remis aux participants », qui explique en détail les choix et les refus de produits.

5– www.vivago.fr, www.twitoo.org.

6– Vidéovigilance sur linkcareservices.com.

7– Bluelinea.com

À LIRE

Dans Prendre soin du grand âge vulnérable(1) le Pr Pfitzenmeyer dénonce certains maux de la gériatrie actuelle (ratio d’encadrement humain parfois trop faible, épuisement des aidants familiaux, etc.) et s’indigne du regard souvent « misérabiliste » adressé aux aînés handicapés.

En parallèle avec les évolutions technologiques, la société n’aurait-elle pas une révolution mentale à mener ? C’est ce que ce gériatre humaniste suggère, au travers d’une analyse de l’évolution du rapport humain à la vieillesse, de l’Antiquité à nos jours.

1– L’Harmattan, novembre 2010, 118 pages, 11 €.

EN INSTITUTION

Vigilance à chaque seconde

Si elle donne bien l’heure, la montre développée par la société Vivago est loin de s’y limiter… « Elle analyse l’activité physiologique en enregistrant la température cutanée et ambiante, la conductibilité de la peau et jusqu’aux micromouvements », explique Didier Jardin, président de Vivago. En cas d’anomalie, une alarme automatique se déclenche. « C’est très utile pour les équipes de surveillance de nuit. La téléalarme n’empêche pas les gens de mourir, mais elle raccourcit le temps d’intervention des secours. Vivago affine aussi la pratique médicale. Quand un malade se plaint d’insomnie, en consultant les graphiques enregistrés, le soignant reconnaît les phases de sommeil… Des médecins utilisent ces données pour mieux doser leurs prescriptions de morphine ou d’anxiolytique, ils savent quand la douleur ou l’angoisse sont revenues. » La montre peut aussi servir d’antifugue. « Notre force, estime Didier Jardin, est de proposer un objet aux options paramétrables, activables ou pas, individu par individu. Une porte d’entrée d’un établissement peut ne se fermer automatiquement que devant certains résidents. Mieux encore : le personnel est averti que tel malade entre dans une zone à risques, et il l’autorise ou non à en sortir… Dans une maison de retraite de la Vienne, on a créé un mur radio virtuel dans le jardin. Quand un patient s’approche à moins de 50 mètres de la rivière, une alarme (textuelle ou vocale) est transférée sur le téléphone d’un soignant. »

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