La santé en terrain précaire - L'Infirmière Magazine n° 271 du 15/01/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 271 du 15/01/2011

 

HAÏTI

REPORTAGE

Un an après le tremblement de terre qui a sévèrement touché Port-au-Prince, près d’un million d’Haïtiens vivent toujours dans des camps de déplacés. L’ONG Zanmi Lasante a installé une polyclinique mobile à la lisière du parc Jean-Marie Vincent, où 52 000 personnes survivent.

Comment ça va aujourd’hui, chérie ? Et les enfants ? », s’enquiert auprès d’une jeune femme Jean-Michel Evens Olivier, un des agents de santé recrutés par l’ONG Zanmi Lasante/Partners in Health en Haïti. L’objectif de l’équipe est de sensibiliser aux risques sanitaires et aux principes d’hygiène la population installée dans le parc Jean-Marie Vincent de Port-au-Prince depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Penchée sur la bassine où elle fait sa lessive, l’interpellée répond avec un sourire rassurant. « Tout le monde va bien, pas de malade cette semaine. » Les quatre hommes cheminent entre les abris de fortune constitués généralement d’une ossature en bois rudimentaire, recouverte d’une bâche grise ou bleue, la couleur des camps de déplacés haïtiens. Parfois, une porte en contreplaqué ou en tôle ondulée, doublée d’un voilage, vient clore le tout. Plus loin, une femme vient à leur rencontre pour s’encquérir d’un lieu où elle pourrait faire vacciner ses enfants. Une autre s’approche en expliquant qu’elle souffre de douleurs abdominales fortes et de règles très abondantes depuis quelques jours… « Va à la clinique, lui propose Jean-Robet Saturnin, l’un des agents de santé. Le gynécologue est encore là… »

Camp de déplacés

L’équipe fait en effet partie d’un dispositif centré autour d’une clinique mobile mise en place par Zanmi Lasante/Partners in Health, une organisation non gouvernementale haïtienne qui se caractérise par une approche communautaire de la santé fondée sur les besoins de la population mais aussi sur les ressources et les compétences disponibles. Ainsi, une bonne partie de son personnel (plus de 200 personnes au total) a été recruté dans le camp même où la clinique est implantée : agents de santé et assistants (support staff) notamment. Le médecin qui la dirige est également originaire des environs. « Je suis né là-bas, de l’autre côté du camp, explique ainsi le Dr Dubique Kobel, en pointant du doigt un bâtiment. Tout de suite après le séisme, le 12 janvier 2010, et après que ma maison a été détruite, je suis revenu ici, chez mes parents. » Très vite, à ce moment-là, la population sinistrée se rassemble sur des terrains ouverts comme le parc Jean-Marie Vincent, un stade, qui reste aujourd’hui l’un des plus grands camps de déplacés de la capitale haïtienne avec quelque 50 000 habitants. « Avec ma femme, qui est également médecin, et vingt brigadistes (des secouristes formés par le ministère de la Jeunesse et des Sports), nous avons commencé à donner des soins comme nous pouvions, dans une tente que j’avais installée avec mon frère et qui nous servait d’abri pendant la nuit. Au début, une pharmacie nous fournissait des médicaments, ainsi que la Croix-Rouge haïtienne et la Croix-Rouge dominicaine. » Au bout de deux semaines, le Dr Kobel rencontre l’ONG Zanmi Lasante/Partners in Health, qui cherche des sites où implanter des cliniques mobiles. « Je leur ai dit “venez voir, il y a des gens qui souffrent par ici”. Ils sont arrivés dans l’après-midi et ont pris la décision de s’installer. »

Pénurie de médecins

La petite clinique improvisée s’est donc organisée. L’établissement est installé sous une dizaine de tentes militaires à la lisière du parc. Trois font office de salles d’attente pour les patients qui arrivent chaque matin à partir de 8 h 30. Ici, une infirmière prend d’abord leur tension et s’enquiert de leur demande avant de les orienter vers une consultation ou une autre. Médecine générale, gynécologie-obstétrique, analyses biologiques, soins dentaires, pharmacie, consultations de nutrition et écoute psycho-sociale sont disponibles. « Au plus fort de la crise, nous avons donné jusqu’à 30 000 consultations mensuelles, explique Nadège Bélizaire, médecin généraliste et épouse du Dr Kobel. Nous étions alors dix médecins généralistes. » Ils ne sont désormais plus que cinq… Par rotations, des spécialistes tels que des pédiatres, un orthopédiste, un psychologue, un pneumologue, un dermatologue sont également présents. Mais les soins sont aujourd’hui davantage centrés sur les conséquences des conditions de vie précaires dans le camps : « Les adultes présentent de l’hypertension artérielle, de l’asthme, du diabète, des infections sexuellement transmissibles, des infections vaginales et urinaires, résume Dubique Kobel. Les enfants sont atteints de symptômes grippaux, d’infections respiratoires aigües, d’infections dermatologiques, et certains ont des parasites intestinaux… »

Insécurité et choléra

Car les conditions de vie dans le camp restent difficiles. Une partie des cinq secteurs qui le composent a été recouverte de gravier, en avril dernier, par l’armée américaine afin de stabiliser le sol, mais les autres secteurs restent exposés à l’humidité et à la boue. « De toutes façons, même avec le gravier, je me suis réveillée dans l’eau avec les pluies de cette nuit », explique Bienaimée Dienez, une mère de deux enfants malades qui dormait à même le sol pour leur laisser le lit. Certaines installations sanitaires du camp ont été détruites. Et les toilettes sont en nombre insuffisant. « Les gens font leurs besoins dans des boîtes en carton qui sont ensuite jetées ici ou là… Avec l’épidémie de choléra, c’est dangereux, souligne Jacky Coutia, membre de la coordination du site. Nous avons besoin d’une meilleure sanitation. » Les agents de santé soulignent aussi que les habitants se plaignent de l’insécurité : 24 cas de viol ont été officiellement référés. « Mais il y en a bien plus, probablement 70 depuis que nous sommes installés ici, explique encore Jacky Coutia. Les femmes n’osent pas porter plainte par peur des représailles. »

La malnutrition dépistée

Ce matin-là, à la clinique, les patients ne sont pas très nombreux. Quelques professionnels de santé aussi manquent à l’appel. La faute aux troubles politiques (le premier tour des élections présidentielles et législatives a eu lieu le 28 novembre dernier et le second tour n’est pas encore planifié) et aux manifestations qui ont bloqué la capitale la semaine précédente. Les fortes pluies de la nuit ont également contribué à une moindre fréquentation : les intempéries en Haïti sont souvent synonymes d’inondation et donc signe de danger. Or, les patients viennent parfois de loin pour bénéficier des soins et des médicaments gratuits que peut proposer la clinique. « Notre attention n’est pas réservée aux résidents de ce camp, mais à tous ceux qui souffrent et qui n’ont pas les moyens de se soigner sans nous », résume le Dr Kobel.

Devant la petite baraque qui abrite la consultation nutrition des enfants de plus d’un an, une trentaine de parents et de bambins attendent déjà, tous apprêtés avec coquetterie et dignité. Les assistants récupèrent les petits carnets de santé créés par l’équipe – de simples cahiers d’écolier coupés en deux dans le sens de la largeur –,qui permettent d’identifier les patients, et d’organiser leurs parcours entre les différentes consultations de la polyclinique, le laboratoire d’analyse ou la pharmacie. Ici, on pèse et on mesure les enfants. Le périmètre brachial est également enregistré. « Au début, nous trouvions entre 10 et 15 enfants par jour (sur 50 à 100 consultations quotidiennes) souffrant de malnutrition, explique Alexandra Millien, l’infirmière responsable de la consultation nutrition. Je ne sais pas si cela est une conséquence du tremblement de terre car je ne travaillais pas dans cette zone auparavant. Mais, ce que je note, c’est que l’alimentation est inadaptée. On donne souvent pour repas des cookies, des bonbons même parfois, parce que la famille n’a pas les moyens d’acheter autre chose… » Si besoin, un complément alimentaire sous forme de préparation à base d’arachide (le manba) est donc distribué. Certains jours, on offre également des couches, de la bouillie ou un gobelet-biberon. Une deuxième consultation nutrition est réservée aux enfants de moins d’un an. Éronide Joseph, l’infirmière qui la gère, insiste auprès des mères pour le maintien de l’allaitement maternel exclusif jusqu’à l’âge de 6 mois. « Mais malheureusement, beaucoup abandonnent très tôt », note le Dr Kobel. C’est qu’il leur faut souvent « chercher la vie » et trouver de quoi subvenir aux besoins de leur famille quand le compagnon n’est pas présent, qu’il ait disparu lors du séisme ou bien qu’il ne soit pas en mesure d’entretenir sa progéniture…

Pas de roulette…!

L’unique construction de bois de la clinique abrite également le cabinet du dentiste. Ce jour-là, c’est Rose Dina Premier qui officie. Elle est présente deux jours par semaine et relayée par un confrère les deux jours suivants. « Les gens viennent souvent lorsqu’il est trop tard, note-t-elle. Alors, nous faisons beaucoup d’extractions… » L’installation est plutôt rudimentaire : un fauteuil de dentiste bien fatigué, pas d’électricité… Heureusement, la forte luminosité extérieure permet, la plupart du temps, d’intervenir avec une bonne visibilité. « Jusqu’à présent, nous n’avons pas pu installer le compresseur qui permettrait de faire fonctionner une roulette, explique la jeune femme. Il y a trop d’insécurité et de vols sur ce site. » Même difficulté pour l’installation d’un autoclave. Du coup, les instruments médicaux sont stérilisés dans un autre établissement de Zanmi Lasante et livrés chaque matin…

Pendant ce temps, les agents de santé ont entrepris une autre tournée. Ils commencent systématiquement par cette marchande dont la jambe est gravement brûlée de la cheville jusqu’au genou mais qui refuse les soins médicaux depuis deux semaines. Elle explique que c’est un thérapeute traditionnel qui l’a ainsi blessée, alors qu’elle le consultait pour une douleur… « Tu devrais vraiment aller voir le médecin maintenant, lui enjoint Jean-Robert Saturnin. Mais la blessée refuse, et brandit quelques plantes médicinales avec lesquelles elle envisage de soulager sa jambe… À contre-cœur, les agents s’éloignent. Ils doivent aussi composer avec les croyances populaires et le système de santé traditionnel. Ils reviendront demain, pour tenter encore une fois de la convaincre.

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