L'infirmière Magazine n° 272 du 01/02/2011

 

ACTUALITÉ

CHRONIQUE

En devenant infirmier, je ne pensais pas qu’il faudrait taper sur un clavier pendant des heures… Le but de toute institution n’étant pas de remplir sa mission, mais de justifier son existence à l’aide de moyens statistiques et comptables, on n’a pas fini de pianoter. Entre nous, le scénario est identique à Pôle emploi ou dans les commissariats. Là-bas, ils appellent ça la « batonnite » : mettre des bâtons dans des cases pour alimenter les chiffres de la délinquance. Facile ! Un dealer arrêté avec cinq doses, ce n’est pas une affaire résolue, mais cinq délits solutionnés. En revanche, dix voitures vandalisées au même endroit ne font qu’un seul cas de dégradation. Elle est pas belle, la vie ? J’avoue, je suis un scélérat ; moi aussi j’ai pactisé avec la batonnite pour avoir la paix. Dans ma carrière, j’ai parfois cédé à la pression. Il faut faire du chiffre, les gars ! Cliquez rusé : la santé des gens, on s’en tape, le service rendu, on s’en cogne. Les restrictions budgétaires, la T2A, tout ça tout ça. Et je ne parle pas de l’accréditation, cette invention bizarre, entre écran de fumée et sodomisation des mouches…

J’avais déjà quitté les urgences, saoûlé par les papiers. Les blessés ont mal ? On va déjà s’occuper des formulaires, et s’il nous reste du temps, on leur filera un antalgique. Ne rigolez pas, c’est du vécu. L’administratif tuera le soin, une infirmière passant communément la moitié de son temps au téléphone ou devant son ordi. Pour une meilleure efficacité, au service du patient. Et ta sœur, elle compte les poux sur la tête du facteur ? Marre d’inverser les priorités ! De voir des collègues se ramasser une méga soufflante pour une erreur de paperasses, alors que certains comportements très limites ne déclenchent pas le moindre courant d’air. Ne rigolez pas, c’est encore du vécu. Le jour où vous serez hospitalisé, là, vous aurez le droit de pleurer…