Les antivitamines K - L'Infirmière Magazine n° 272 du 01/02/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 272 du 01/02/2011

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Monsieur C., 72 ans, est adressé le 15/12 aux urgences après une chute sur la voie publique. Il est sous Kardégic 160 et Tahor 10. Le 17/12, le patient fait une fausse route avec fièvre et désaturation, justifiant l’instauration d’un traitement antibiotique par Rocéphine, et anti-inflammatoire par Solupred.

Le 23/12, l’ECG montrant une arythmie complète par fibrillation auriculaire, le cardiologue propose un traitement anticoagulant et une tentative de réduction de la fibrillation par Cordarone (anti-arythmique) à dose de charge. Le traitement anticoagulant est débuté par Calciparine 0,2 ml (5 000 UI) × 2 avec relais le jour même par un antivitamine K, Préviscan.

Le 25/12, l’INR est à 1,1. Le 28/12, il est de 4.1, le TCA à 42s (témoin = 29s), et le patient présente une hémorragie digestive basse avec chute de tension autour de 60 et douleurs abdominales, motivant son transfert en réanimation.

À l’entrée en réanimation, le patient reçoit 1 Voluven, est transfusé de 2 culots globulaires en complément de Kaskadil (4 flacons) pour corriger l’INR, et la Calciparine est antagonisée par sulfate de protamine 5000 unités. Le patient présente un méléna à plusieurs reprises. Il passe alors une fibroscopie oeso-gastro-duodénale qui retrouve un ulcère duodénal très creusant. Un traitement par Inexium en dose de charge 80 mg en IV puis 8 mg/heure est mis en place.

Le 02/01, le patient fait une récidive hémorragique extrêmement sévère avec hypotension, hématémèse importante avec inhalation de sang et de caillots à l’origine d’une détresse respiratoire aiguë.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Un surdosage en antivitamine K (AVK) s’est manifesté chez ce patient, objectivé par un INR > 4, suite à une interaction médicamenteuse entre Cordarone et AVK. Le métabolisme de l’AVK a été inhibé par l’antiarythmique d’autant plus que la Cordarone était prescrite à la dose de charge de 6 cp/j.

Le risque hémorragique a été grandement majoré par la prise d’héparine non fractionnée (Calciparine), d’acide acétylsalicylique (Kardégic), de corticoïde (Solupred) et de statine (Tahor) associés au Previscan. Il a aussi été augmenté par l’administration d’une céphalosporine de 3e génération (Rocéphine), responsable de la destruction d’une partie de la flore digestive qui synthétise la vitamine K endogène.

Enfin, ce patient souffrait d’un ulcère duodénal évolutif méconnu, ce qui est une situation à risque hémorragique lors de la mise en place d’un traitement anti-coagulant.

2. LES ANTIVITAMINES K : RAPPELS

Classe thérapeutique

Deux familles chimiques composent cette classe pharmacologique :

→ les dérivés coumariniques : warfarine (Coumadine) et acénocoumarol (Sintrom, Minisintrom);

→ les dérivés de l’indanedione : fluindione (Préviscan).

Leur action débute 48 à 72 heures après la première administration. C’est pour cela qu’une héparine non fractionnée ou une HBPM (héparine de bas poids moléculaire) dont l’action est immédiate, est administrée tant que l’AVK n’est pas pleinement efficace. L’effet anticoagulant des AVK est prolongé car ils empêchent la synthèse des formes actives de certains facteurs nécessaires à la chaîne de coagulation. La vitamine K provient de 2 sources : elle est fournie par l’alimentation et synthétisée dans l’intestin par les bactéries saprophytes.

Indications

Les AVK sont indiqués principalement :

→ dans les cardiopathies susceptibles de provoquer des embolies ;

→ en prévention des complications thrombo-emboliques de certaines fibrillations auriculaires, certaines valvulopathies mitrales, ou suite à la pose de prothèses valvulaires ;

→ et, surtout, en traitement préventif ou curatif des thromboses veineuses profondes (« phlébites ») et de l’embolie pulmonaire et en prévention des thromboses sur cathéter.

Posologie

Les AVK s’administrent en une prise unique quotidienne, de préférence le soir, afin de pouvoir modifier la posologie dès que possible après les résultats de l’INR obtenus dans la journée. En raison d’une importante variabilité interindividuelle, il est indispensable d’adapter leur posologie individuellement à chaque patient, au quart de comprimé près pour Previscan et Sintrom (Coumadine existe en deux dosages : 2 mg et 5 mg, avec des comprimés sécables en deux), en fonction des résultats biologiques. Minisintrom est équivalent d’un quart de comprimé de Sintrom.

Surveillance

→ INR ou TP ?

L’INR, ou International Normalized Ratio, est un mode d’expression du taux de prothrombine (TP), qui tient compte de la sensibilité du réactif utilisé pour réaliser le test. Il est donc préférable d’utiliser l’INR et non le TP.

→ Valeur cible de l’INR

En dehors de tout traitement par AVK, l’INR est de 1. Dans la majorité des situations, un INR compris entre 2 et 3, avec une valeur cible de 2,5, est recherché. À savoir : en cas de valvulopathies mitrales, de prothèses valvulaires), l’INR recherché peut être de 3 à 4,5. Un INR inférieur à 2 reflète une anticoagulation insuffisante, un INR supérieur à 3 traduit un excès d’anticoagulation et, dans tous les cas, un INR supérieur à 5 sera associé à un risque hémorragique.

Effets indésirables

Les accidents hémorragiques surviennent en cas de traumatisme, de saignement d’une lésion méconnue (ulcère, fibrome, anévrisme) ou de surdosage. Les manifestations cliniques les plus fréquentes sont l’hémoptysie, l’hématémèse et les hématomes du psoas (muscle qui relie les vertèbres au fémur).

Surdosages

En cas d’hémorragie grave, la restauration d’une hémostase normale (objectif INR < 1,5) doit être réalisée en quelques minutes. Outre l’arrêt des AVK, il est recommandé d’administrer en urgence du PPSB (Kaskadil) en association à de la vitamine K (10 mg) par voie orale ou intraveineuse lente, quel que soit l’INR de départ. La réalisation d’un INR dans les 30 minutes suivant l’administration du Kaskadil est recommandée.

Contre-indications

→ Les AVK sont tératogènes et font courir un risque hémorragique pour le fœtus. Une contraception est donc souhaitable lors de l’utilisation d’AVK. En cas de poursuite d’antivitamines K pendant la grossesse, le passage à l’héparine s’impose à partir de la 36e semaine d’aménorrhée.

→ Concernant l’allaitement, la coumadine est le seul AVK administrable à la femme allaitant car il ne passe qu’en très faible quantité dans le lait maternel.

→ Toutes les lésions susceptibles de saigner viennent contre-indiquer les AVK. Les injections IM sont également contre-indiquées chez un patient sous anticoagulant.

Interactions médicamenteuses

De très nombreux médicaments interagissent avec les AVK. L’utilisation concomitante d’aspirine (> 3g/j), de miconazole (Daktarin), y compris en gel buccal, d’orlistat (Alli) ou de millepertuis est strictement contre-indiquée. Quant aux antiagrégants plaquettaires, ils majorent le risque hémorragique.

L’ajout ou l’arrêt de tout nouveau médicament nécessite de faire un contrôle de l’INR 3 jours plus tard.

3. EN PRATIQUE

→ Quand contrôler l’INR ? : le premier contrôle doit s’effectuer dans les 48 heures après la première prise d’antivitamine K, pour dépister une hypersensibilité individuelle. Le deuxième contrôle s’effectue en fonction des résultats du précédent, pour apprécier l’efficacité anticoagulante (entre 3 et 6 jours après la première prise). Les contrôles ultérieurs doivent être pratiqués tous les 2 à 4 jours jusqu’à stabilisation de l’INR, puis avec un espacement progressif jusqu’à un intervalle maximal de 1 mois.

→ En cas de changement de posologie : le premier contrôle doit être fait 2 à 4 jours après une modification de dose et les contrôles doivent être répétés jusqu’à stabilisation tous les 4 à 8 jours.

→ En cas d’oubli du comprimé : le comprimé oublié peut être pris dans les 8 heures. Au-delà, la prise est supprimée (prévenir le médecin). Ne jamais doubler la dose.

ÉDUCATION DU PATIENT

→ Il est primordial d’éduquer le patient sur la prise régulière de l’AVK, sur les modalités de contrôle de l’INR, sur l’importance de ne pas prendre d’autre traitement sans avis médical, et de prévenir le médecin en cas de saignement (gencives, ecchymoses, urines rouges…). Compléter l’anamnèse recueillie par le médecin en posant au patient des questions sur ses habitudes de vie : sport, prise de médicaments, douleurs… Inutile de le focaliser sur le régime alimentaire : le patient peut manger de tout, mais en évitant les « à-coups » de légumes riches en vitamine K (tous les légumes à feuilles vertes : brocolis, choux, choux de Bruxelles, cresson, épinards…).