RÉANIMATION NÉONATALE
DOSSIER
Les services de néonatalogie proposent des projets relatifs à la place des parents. Certaines interventions de soins leur sont confiées dans le but de favoriser le développement des bébés.
« L’hospitalisation de mon fils en réanimation néonatale ? Deux scènes me viennent immédiatement à l’esprit. Ma première matinée dans le service, ce sentiment terrible de me retrouver plongée dans un monde de science-fiction, un univers peuplé de machines, sondes, tubes, capteurs lumineux, électrodes… Et puis, l’émotion intense ressentie quelques jours plus tard, lors du premier “peau à peau” avec mon enfant. Huit cents petits grammes, la tiédeur de son torse posé contre le mien par une infirmière », raconte Camille, maman de Raphaël, 18 mois, aujourd’hui en pleine forme. Commentaire de Martine, sa propre mère, assise à ses côtés : « Quand j’ai accouché avant terme, il y a quarante ans, c’était une autre histoire. J’ai dû te voir quelques heures pendant deux mois. Puis, on t’a remise à moi, sans un mot, comme un ballot. » L’attention des équipes de la spécialité se serait-elle, en l’espace d’une génération, déplacée du tout au tout, focalisée sur le relationnel parent-enfant après l’avoir été sur l’intensité des dispositifs nécessaires à la survie des nourrissons ? N’allons pas trop vite ! Certes, la réanimation néonatale n’est plus un monde clos ; la diffusion des connaissances en matière de psychologie des nouveau-nés – les risques de souffrance des jeunes enfants, nés des angoisses de séparation – est passée par là. Mais certains services limitent encore la présence parentale à des horaires de visite stricts, et pas toujours aménageables, et n’accordent parfois qu’une place infime aux pères et mères durant le déroulé des soins.
Les équipes sont cependant de plus en plus nombreuses à développer de véritables projets relatifs à la place des parents, souvent par volonté de faciliter l’établissement du lien parent-enfant. Car, en réanimation, nombre d’éléments peuvent venir le perturber : le vécu douloureux de la naissance prématurée, l’extrême fragilité des enfants, la lourdeur du dispositif de soins, les incertitudes quant à l’avenir des nouveau-nés. « Je vais lui faire mal. Il va désaturer. Au départ, les parents ont souvent peur ne serait-ce que de toucher leur enfant. Peur de s’attacher à lui aussi, parfois », explique Virginie Meau-Petit, pédiatre en réanimation néonatale et pédiatrique à l’hôpital Trousseau.
Penser la place des parents et, pour cela, leur ouvrir les portes des services. En 2003, une enquête du GFRUP (Groupe francophone de réanimation et urgences pédiatriques) indiquait que plus de la moitié des unités de réanimation néonatale affichaient des horaires de visite totalement libres pour les parents, père et mère pouvant être présents 24 heures sur 24. D’autres ont suivi, comme le service de Trousseau, qui a abandonné ses 13 heures-21 heures pour le 24 heures sur 24 en 2006. « Afin que chacun puisse s’approprier cette nouvelle organisation, nous l’avons au préalable réfléchi en équipe, précise Marie-Christine Nanquette, cadre de pôle et ancienne cadre de santé du service. Nous avions constitué un groupe de travail sur la prématurité, un autre a suivi, sur la place des parents, avec le souci d’entendre la parole de chacun, qui s’est traduit par l’envoi de questionnaires aux parents et à tous les membres de l’équipe. » Les portes des services restent, en revanche, toujours moins ouvertes aux autres membres de la famille, fratrie et grands-parents compris.
Quid de l’implication des parents durant la réalisation des soins ? En la matière, le degré de technicité du soin reste, pour les équipes de réanimation néonatale, comme dans l’immense majorité des services pédiatriques, un critère majeur de possibilité de présence parentale ou non. Si l’importance de la participation des parents aux soins de nursing apparaît essentielle pour les soignants, selon l’enquête du GFRUP, les deux tiers des unités refusaient la présence des parents pour des soins techniques courants (perfusion, aspiration trachéale), et quasi toutes les faisaient sortir lors des soins stériles, type pose de cathéter central. Commentaire de Marie-Christine Nanquette : « Je sais que quelques services de réanimation néonatale acceptent que les parents soient présents pour un massage cardiaque. Nous, on en est loin. »
« La question du rôle et de la place des parents pendant les soins continue cependant à évoluer dans les services, notamment en ce moment, à la faveur de la diffusion des “soins de développement” », précise-t-elle. “Soins de développement” Une définition unique du concept n’existe pas, différents programmes s’en réclamant, mais sur le fond, il s’agit d’un ensemble d’interventions destinées à favoriser le développement des nouveau-nés : observation de leurs rythmes naturels, de leurs réactions, réduction des nuisances sensorielles… et la reconnaissance des parents comme acteurs essentiels à leur développement. Virginie Meau-Petit, chef de clinique pendant un an dans un service londonien où existait ce type de soins (programme NIDCAP), en souligne l’intérêt, y compris comme modalité de prise en charge de la douleur : « Là-bas, je n’ai pas eu une seule fois à utiliser de la morphine ! » Fabienne Grillère, infirmière en réa néonatale au CHU de Grenoble, est enthousiaste. Son service se lance actuellement dans la démarche : « Formation des nouveaux arrivants de l’équipe à l’observation attentive du nouveau-né, développement des échanges olfactifs et tactiles entre parents et enfants, organisation des soins, pour le moment, quand cela nous est possible, en fonction du rythme de sommeil de l’enfant et du désir des parents d’y assister… »
Reste que la dimension de l’association des parents au soin se comprend aussi, en réanimation néonatale, en termes d’association à la décision, et ce, notamment, quand se pose l’éventualité d’une décision de limitation et arrêt de traitement (LAT) de l’enfant. Selon différentes études, cela concerne la moitié des décès dans ce type de service. La loi Léonetti, dans son article consacré aux patients non communicants, pose l’impératif d’entendre la volonté des proches, ici les parents, dans le cas d’une telle décision. Entendre les parents sur l’opportunité de la décision, même si celle-ci reste médicale, et collégiale ; consigner leur acceptation dans le dossier médical de l’enfant… Sur le principe, c’est une évidence pour nombre de soignants. « C’est même essentiel, insiste Sylvain Renolleau, chef de service à Trousseau. On ne va pas les déposséder de la fin de vie de leur enfant ! » Certes. « Mais il ne faut pas oublier, souligne un confrère, que pendant longtemps, les équipes ont considéré que les parents devaient être “épargnés” des décisions de LAT… La pratique a-t-elle disparu ? » Et puis, ajoute-t-il, il y a le fait que ce qui est “déraisonnable” pour une personne ne l’est pas nécessairement pour une autre. » Comment, alors, entendre la parole de parents qui refusent que l’on cesse les traitements de leur enfant, même si ses séquelles neurologiques sont gravissimes ? Ou de ceux qui refusent le handicap de leur enfant, pourtant estimé « acceptable » par l’équipe ? « Il faudrait suivre le vœu des parents. C’est eux qui vivront avec l’enfant », estiment quelques soignants. « Non, c’est à l’équipe médicale de trancher, c’est la loi », leur répondent les autres.
Encore une fois, le dialogue peut permettre de dénouer les choses. Reste que la prise en considération de l’avis des parents demeure variable d’une équipe à l’autre. Les positions mêmes des équipes aussi, d’ailleurs.