IVG
SUR LE TERRAIN
ENQUÊTE
En France, quatre femmes sur dix auront recours à l’interruption volontaire de grossesse à un moment ou à un autre de leur vie. Dans quelles conditions ? Fermetures de centres, disparités territoriales, refus de prise en charge… Malgré la loi Aubry, votée il y a bientôt dix ans, qui représentait une belle avancée en matière de droits des femmes, l’IVG est-elle aujourd’hui en danger ?
Le 4 juillet 2001, l’Ancic (Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception), la Cadac (Coordination des associations pour le droit à la contraception et à l’avortement) et le Planning familial applaudissaient. Ce jour-là, la loi Aubry était votée, allongeant le délai de recours à l’IVG, porté de 12 à 14 semaines d’aménorrhée, autorisant l’IVG médicamenteuse en ville, supprimant l’obligation d’autorisation parentale pour les mineures…
Dix ans plus tard, les trois associations sont amères : la loi de 2001 reste mal appliquée. À tel point qu’elles ont lancé, à la mi-janvier, un recours gracieux au Premier ministre François Fillon, lui demandant de « faire cesser, dans les plus brefs délais, ces illégalités ». Amères, et inquiètes. « Car les difficultés rencontrées par les femmes pour avoir recours à l’IVG persistent, et même se complexifient, dans le sillage de la fermeture de nombreux centres d’IVG », relève Maya Surduts, présidente de la Cadac. Discours militant ? Pas seulement. Même la studieuse Inspection générale des affaires sociales (Igas) constatait, dans un rapport rendu l’année dernière, combien « la prise en charge de l’IVG a[vait] marqué des progrès réels, mais qui demeurent fragiles ».
Des « progrès réels » ? Certes. Pour mal appliquée qu’elle soit, la loi du 4 juillet 2001 a au moins le mérite d’exister. À présent, dans l’ensemble, relève ainsi l’Igas, « l’accès à l’IVG est moins un parcours du combattant systématique ». Les mineures ont désormais un accès, gratuit, à l’IVG, et ce sans obligation d’autorisation parentale, pourvu qu’elles soient accompagnées d’un adulte. L’allongement du délai de recours à l’IVG à 14 semaines semble avoir permis de réduire quelque peu la durée s’écoulant entre le premier appel et la réalisation de l’acte : neuf jours en 2003, à peu près une semaine en 2006, selon un rapport d’information parlementaire cité par l’Igas. Quant à l’introduction de l’IVG médicamenteuse en ville, elle constitue pour les femmes une nouvelle voie d’accès à l’IVG, encore réduite (9 % des quelque 210 000 IVG réalisées en France en 2009), mais non négligeable.
Sauf qu’à y regarder de plus près, les difficultés apparaissent vite. Diminution du délai moyen de prise en charge ? Certes, mais de façon très inégale selon les établissements. Il reste supérieur à quinze jours dans un établissement sur vingt, la situation étant tout particulièrement préoccupante dans deux régions : Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur, où les délais peuvent grimper à quinze jours-trois semaines dans certains établissements. Développement de l’IVG médicamenteuse en ville, dans les cabinets de généralistes et gynécologues ayant signé une convention avec un établissement hospitalier ? Oui, mais de façon encore limitée. Et en gardant bien à l’esprit que l’IVG n’est possible en ville que jusqu’à sept semaines d’aménorrhée. Accès à l’IVG facilité pour les mineures ? Oui, mais pas dans tous les établissements. Refus de certains anesthésistes d’intervenir sur les mineures sans autorisation parentale, non-respect de l’anonymat et de la confidentialité, pressions pour que la jeune fille paie une intervention censée être gratuite… Les dysfonctionnements demeurent.
Quant à l’accès à l’IVG pour les femmes entre 12 et 14 semaines d’aménorrhée, il reste difficile. Le rapport de l’Igas note sobrement que « ces IVG “tardives” ne sont pas prises en charge partout ». Résultat, selon les estimations du Planning familial, entre 4 000 et 5 000 femmes par an sont toujours contraintes d’aller à l’étranger pour pouvoir avorter (majoritairement aux Pays-Bas)… à supposer qu’elles en aient les moyens financiers. Une enquête de la Drass d’Ile-de-France, publiée en 2008, indiquait à ce propos que trois Franciliennes sur dix ayant avorté hors de l’Hexagone avaient fait une demande d’IVG en France dans le délai légal. Faute de place, ou par refus de l’établissement de les prendre en charge au-delà de 12 semaines d’aménorrhée, leur demande était restée sans réponse.
Nombre de médecins font en effet jouer la clause de conscience qui les autorise à ne pas pratiquer d’IVG « pour des raisons personnelles ou morales », sans toujours orienter vers un confrère, comme la loi les y oblige pourtant. « Échographes qui montrent aux femmes les fœtus, accueils acides du type “Vous savez, à douze semaines, on commence à voir ses bras, ses jambes”… Les témoignages que certaines femmes nous envoient montrent bien que les réticences d’ordre religieux ou idéologique freinent toujours l’accès à l’IVG », souligne Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Planning familial.
Mais l’inquiétude des défenseurs du droit à l’avortement ne s’arrête pas là, car l’accès à l’IVG est aujourd’hui attaqué par une autre face : la fermeture des structures pratiquant l’acte. « Or, qui dit fermeture de centre dit complexification de l’accès à l’IVG, commente Laurence Danjou, médecin au CIVG de l’hôpital Bicêtre (94). Selon la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, ministère de la Santé), en 2000, la France comptait 729 centres IVG, il n’en restait plus que 624 en 2007 alors que, dans le même temps, le nombre d’IVG en France restait relativement stable, légèrement au-dessus de 210 000 par an. » Comme l’explique l’Igas dans son rapport, ce chiffre en baisse résulte essentiellement de l’abandon de l’activité IVG par de « petits » établissements (moins de 250 IVG dans l’année). Mais elle traduit aussi un très net désengagement du secteur privé à but lucratif, notamment en région parisienne, lié à l’absence de rentabilité de cet acte, payé au forfait, à un taux que le ministère reconnaît sous-évalué. L’année dernière, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, avait d’ailleurs promis par deux fois qu’elle allait augmenter ce forfait de 50 %. Mais rien ne s’est fait.
Aujourd’hui, le secteur public assure les trois quarts de l’activité d’IVG (contre 60 % en 1990). Mais, souligne Jean-Claude Magnier, responsable du CIVG de l’hôpital Bicêtre et coprésident de l’Ancic, l’impératif de rentabilité ayant pénétré l’hôpital public, « la réduction du nombre de lieux de soins s’y poursuit, à la faveur des regroupements hospitaliers engagés depuis le vote de la loi HPST ». Le ministère argue que regroupement n’est pas synonyme de fermetures. Michel Teboul, lui, en est persuadé, « en la matière, un plus un, cela fait rarement deux » ! Ce médecin, ancien responsable du CIVG de l’hôpital Broussais (Paris), qui a fermé pour fusionner avec celui de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, a observé et fait ses calculs : « Les départs à la retraite sont très difficilement remplacés, et les deux équipes réunies réalisent aujourd’hui à peu près 2 600 IVG par an, soit quelque 200 IVG de moins que ce qu’elles faisaient, séparément, avant le regroupement. Donc, 200 IVG en moins à la faveur d’un seul regroupement… Ce n’est pas une mince affaire pour les femmes qui pourraient avoir voulu y recourir. »
Sans compter que les fermetures-regroupements des structures IVG ont une autre conséquence, particulièrement visible en milieu rural : une moindre proximité des soins. « De plus de 1 200 maternités au début des années 1980, nous sommes passés à moins de 600 aujourd’hui. Et les logiques de regroupement réduisent encore l’offre de soins. Résultat, à la campagne, certaines femmes sont à plus d’une heure d’un centre d’IVG… Trop loin, pour beaucoup d’entre elles, sans voiture, sans trop d’argent, isolées. Trop loin aussi, selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), pour qu’une IVG médicamenteuse en ville soit possible, en termes de sécurité des soins en cas de complication ! », observe Françoise Nay, médecin et vice-présidente du Comité national de défense des hôpitaux et des maternités de proximité. « À imaginer même qu’un médecin libéral, généraliste ou gynécologue, ait signé une convention pour pratiquer des IVG. Dans certains départements, il n’y en a encore aucun… »
« La mise à mal de l’accès de proximité à l’IVG ne touche d’ailleurs pas que le milieu rural, tient à préciser Françoise Nay. Elle touche aussi les villes, Paris, notamment. Même si l’on a l’impression, en regardant le plan du métro, d’être toujours à côté d’un hôpital, encore faut-il que son service IVG n’ait pas migré ailleurs à l’occasion d’un regroupement ! »
Autre motif d’inquiétude, aux dires même de l’Igas, une « tendance à la restriction des modes de prise en charge de l’IVG » et donc de la possibilité de choix des femmes entre IVG médicamenteuse et IVG par aspiration. La méthode médicamenteuse, qui représente aujourd’hui 43 % des IVG réalisées en France (dont 9 % en ville), « est une avancée indubitable, dans la mesure où elle ouvre une alternative nouvelle », mais ce ne sera pas le cas « si, au lieu de s’ajouter aux méthodes existantes, elle tend à s’y substituer », pointe son rapport. « Or, dans certains établissements, certaines régions, au premier rang desquelles l’Alsace, c’est presque devenu la seule méthode proposée aux femmes, et ce jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée…, quand les recommandations de la HAS la déconseillent – surtout en raison du risque de douleurs ventrales – au-delà de 7 semaines ! »
« Globalement, ce que je crains, poursuit-elle, c’est que la logique de restructuration actuelle ne piétine la question de la qualité de l’accès à l’IVG pouvant être offerte aux femmes. À cet égard, je suis tout particulièrement préoccupée par la tendance des restructurations à supprimer les centres d’IVG autonomes et les unités fonctionnelles d’IVG, dont le personnel et les locaux sont dédiés à cette activité, pour les noyer dans les services de gynécologie-obstétrique, où l’IVG est parfois la dernière des préoccupations. » Infirmière au CIVG de l’hôpital Bicêtre, Chrystel Mathurin a les mêmes doutes. Jean-Marc Magnier, son chef de service, coprésident de l’Ancic, doit bientôt partir à la retraite. « La direction a décidé de rattacher le CIVG au service de gynéco-obstétrique. La pratique de l’IVG se fera-t-elle une place au milieu des autres activités du service ? Aurai-je toujours la possibilité, le temps, de véritablement accueillir et accompagner chacune des femmes venant pour une IVG ? Je ne sais pas. » Craintes injustifiées ? Incertitudes légitimes ? Il est vrai que jusqu’à aujourd’hui, la pratique de l’IVG reposait pour une large part sur une génération militante de médecins et de soignants. Leur prochain départ à la retraite pose le problème de la relève, notamment celle apportée par les jeunes médecins, qui n’ont pas connu la période des avortements clandestins. L’IVG durant leurs études ? Pour les jeunes généralistes, c’est souvent deux-trois heures de cours tout au plus durant le cursus de médecine. Pour les jeunes gynécologues-obstétriciens, c’est souvent le souvenir de leur bizutage de début d’internat : « Cela donne, généralement “C’est toi le petit nouveau ? alors c’est toi qui te tapes les IVG !” ça vous donne une idée de combien l’activité est valorisée et valorisante ! », témoigne Lucie. L’accès à l’IVG serait-il promis à des heures irrémédiablement sombres ces prochaines années ? Lucie a adoré son bizutage. Alors…
1– À consulter : wwwhas-sante.fr/portail/jcms
CHRISTINE MAUROIS
INFIRMIÈRE AU CIVG DU CENTRE HOSPITALIER D’ARMENTIÈRES (NORD)
« Chaque CIVG a une organisation qui lui est propre, le rôle infirmier peut donc varier de l’un à l’autre. Mais notre base commune, c’est accueillir, accompagner, du premier appel à la visite de contrôle. Il faut parvenir à nouer un lien sur des temps très courts, mais intenses. Et ce dès leur premier appel, souvent pétri d’angoisse.
On n’est donc pas du tout là pour donner deux comprimés de prémédication et puis basta, ou pour tenir mollement une main au bloc (historiquement d’ailleurs, ici, ce n’est pas moi mais la conseillère conjugale qui y va). Mais pour être aux côtés des femmes, à leur écoute, en dehors de tout jugement, avant, pendant, et après la réalisation de l’IVG. Nous menons souvent un travail de déculpabilisation. Nous donnons aussi la possibilité d’engager, de réajuster une contraception. Ou l’occasion de dépister une violence conjugale. Enfin, c’est un travail d’équipe très fort, avec des temps communs tous les matins… »
Le CIVG de l’hôpital Tenon devrait rouvrir !
La victoire a des airs d’anachronisme à l’heure des restructurations en cours à l’AP-HP, mais c’est officiel, « le principe de remise en route » du CIVG de l’hôpital Tenon, fermé en juillet 2009 par l’AP-HP, est acté ! Cette fermeture avait créé un vif émoi dans le 20e arrondissement. Un collectif de soutien à sa réouverture s’était immédiatement mis en place, et n’avait cessé, depuis, de multiplier les actions pour se faire entendre.
« Nous ne baissons pas la garde pour autant. Nous restons mobilisés. Nous voulons : un vrai centre d’orthogénie, avec un accueil par des personnels formés, des consultations, l’accès aux différentes formes d’IVG, un suivi des femmes concernées », prévient Marie-Josée Pépin, membre du collectif. Rendez-vous est pris avec la direction de Tenon pour ce mois de février.
→ Le site du collectif : http://collectifivgtenon.-wordpress.com/-category/le-collectif-unitaire-20eme/
→ À lire :
Le rapport de l’Igas sur la mise en œuvre de la loi du 4 juillet 2001 : www.igas.gouv.fr/spip.php?article94
Les interruptions volontaires de grossesse en 2007, Drees, Études et résultats n° 713, décembre 2009, disponible sur www.sante.gouv.fr
→ À consulter :
Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception : www.ancic.asso.fr
Planning familial : www.planning-familial.org
Association des sages-femmesorthogéniques : www.sages-femmes-orthogeniques.com