L'infirmière Magazine n° 272 du 01/02/2011

 

MALADIES CHRONIQUES

DOSSIER

Une bonne relation soignants-parents permet de délimiter le rôle de soignant investi par les parents dont l’enfant est atteint d’une affection chronique.

« Quand je rencontre les parents des élèves atteints de maladies chroniques, je fais souvent profil bas. Bien sûr, c’est moi la soignante. Mais eux, ils accompagnent leur enfant malade depuis des années. Ils connaissent leur enfant, mais aussi ses pathologies. Certains peuvent me donner les détails de leurs traitements à la virgule près. » Infirmière scolaire dans un lycée de l’est de la France, Roberte le dit, elle n’est qu’une partenaire occasionnelle de la prise en charge de ces enfants dans la durée. Mais ce qu’elle dit est repris par tous : lorsque la maladie s’installe dans la durée, surtout si elle est chronique, elle vient bousculer la relation parents-soignants. Pourquoi ? « Eh bien parce que dans ces situations, nous avons véritablement besoin des parents ! », explique Florence Delepoulle, pédiatre allergologue au centre hospitalier de Dunkerque. Pourquoi ce besoin ? Avant tout parce qu’une maladie de longue durée se vit et à l’hôpital et, essentiellement même, à domicile. Or, à la maison, qui est présent auprès de l’enfant ? Qui doit surveiller les évolutions de son état de santé, voire même accomplir certains gestes qui, en milieu hospitalier, seraient évidemment effectués par un soignant ? Ses parents. « Surveillance de l’alimentation, tests de glycémie capillaire, analyse d’urine… Auprès des enfants souffrant de diabète, des tout-petits en particulier, le rôle des parents est capital, souvent vital. La vigilance est quotidienne, et il faut savoir adapter le traitement à l’insuline si nécessaire », commente Marie-Thérèse, infirmière référente diabète à l’hôpital de Dunkerque. La maladie impose même parfois aux parents de réaliser des gestes lourds, tout au moins pour un père ou une mère. Ainsi de ces parents qui doivent savoir changer la canule de trachéotomie de leur enfant.

Un nécessaire apprentissage

Être ainsi investi d’un rôle majeur dans le soin de son enfant, cela ne s’improvise pas, bien sûr. Cela s’apprend. Les équipes hospitalières suivant ces enfants au long cours ont donc tout un travail d’éducation thérapeutique (labellisé comme tel ou non) à mener auprès de parents et enfants. « Les parents d’un enfant atteint de drépanocytose doivent ainsi apprendre à déceler les signes cliniques de complication grave de sa maladie : infection grave, repérée en tâtant sa rate, anémie, évaluée en observant ses conjonctives et les paumes de ses mains, crise douloureuse, qui peut être due au manque d’eau, au froid, à la diminution de l’oxygénation du sang, que l’on repère à une respiration anormale », explique Assia Mahjoubi, infirmière du Centre de drépanocytose de l’hôpital Robert-Debré, coordonnant le suivi et la prise en charge des enfants drépanocytaires de l’hôpital. « Ceux d’enfants asthmatiques doivent apprendre à connaître le matériel nécessaire à leur enfant en cas de gêne respiratoire, ou de crise d’asthme, identifier les facteurs déclenchant des crises de chacun…, pour mieux comprendre et gérer la maladie et les traitements, essentiel quand on sait qu’en France, seuls 50 % des patients asthmatiques prennent régulièrement leur traitement, et que parmi eux un quart le prennent mal », souligne, quant à elle, Sabine Fardel, infirmière coordinatrice du Relais éducation pour enfants asthmatiques de Dunkerque.

Accepter d’endosser ainsi un rôle de responsable de l’état de santé de leur enfant est loin d’être évident pour les parents. Quelle que soit la « gravité » de la pathologie, sa gestion à domicile fait logiquement peur à la grande majorité des parents. Elle effraye, et peut rebuter, particulièrement en cas de gastrostomie ou de trachéotomie. « Pour véritablement former les parents à la nécessaire maîtrise des techniques de nutrition entérale – apprentissage des soins, utilisation du matériel, conduite à tenir en cas de problèmes –, il faut donc accepter de prendre le temps nécessaire à chacun. Il y a des parents que la sonde n’impressionne pas, et qui “chopent le tour de main” très rapidement. D’autres qui seront tétanisés pendant des mois avant d’accepter de se lancer. Il faut laisser à chacun le temps d’encaisser le choc du diagnostic, entendre ses craintes, le guider pas à pas, par exemple à l’aide d’un poupon, puis auprès de leur enfant… Les limites des uns et des autres ne sont pas toujours les mêmes, le contexte familial et social n’étant d’ailleurs pas neutre en la matière », insiste Véronique, infirmière à l’hôpital des enfants Margency, près de Paris, auprès d’enfants souffrant de pathologies digestives ou respiratoires sévères.

Risque de confusion des rôles

Accepter les limites de ces parents, à qui l’on demande parfois d’en faire tellement que le risque de confusion des rôles est parfois très fort, aussi bien de la part des équipes de soins que du côté des parents. « Or, mêmes si les maladies de longue durée imposent aux parents de remplir des rôles très lourds en termes de surveillance des soins, il est essentiel qu’ils puissent rester pleinement parents », souligne Agnès Suc, pédiatre algologue responsable du réseau douleur et soins palliatifs pédiatriques au CHU de Toulouse. « Et les équipes soignantes ont un rôle à jouer en la matière », poursuit-elle. À l’hôpital, ce peut être en insistant, même si l’accueil est possible 24 heures sur 24 dans l’unité, sur l’importance de souffler, de conserver sa vie de mère, de père, qui est aussi une vie de femme, une vie d’homme. Au domicile, ce peut être en organisant une prise en charge dans laquelle la possibilité de se décharger existe : réseaux de coordination des soins, HAD, soignants libéraux…

Elles peuvent aussi avoir un rôle dans l’acceptation d’un certain lâcher-prise des parents par rapport à leur enfant, notamment à l’adolescence. Ce n’est pas que le rôle de surveillance dont les parents ont été investis soit moindre à cette période, bien au contraire d’ailleurs, vu les risques forts de non-compliance aux traitements à cet âge-là. Seulement, un adolescent c’est très vite un adulte. « Une adolescente de 16 ans, atteinte d’une maladie neuromusculaire dégénérative, aujourd’hui en fauteuil, doit-elle continuer, à chaque fois qu’elle va aux toilettes, à y être accompagnée par son père, y compris au collège ? C’est une des choses dont nous discutons avec elle, et avec son père », explique Yves Grenouillet, cadre de santé en hôpital de jour pédiatrique de rééducation au CHU de Grenoble.

BIBLIOGRAPHIE

Textes de référence

→ La circulaire de 1983 relative à l’hospitalisation des enfants et celle de 1998 sur l’amélioration des conditions d’hospitalisation des adolescents : www.droit-medical.com/-textes-de-reference

→ La Charte de l’enfant hospitalisé, élaborée en 1998 : www.sersante.com/-charte-enfant/

Livres

→ Enfants, parents, soignants, comment vivre ensemble ? Quinze mois dans trois services pédiatriques, éd. Sparadrap, de Céline Penet

→ Au chevet de l’enfant malade. Parents/professionnels, un modèle de partenariat ? Éd. Armand Colin, un livre de la sociologue Sarra Mougel

Sites et associations

→ Association Sparadrap, pour guider les enfants dans le monde de la santé. www.sparadrap.org/

→ Association Apache, pour l’amélioration des conditions d’hospitalisation des enfants : www.-apache-france.com

→ Groupe de recherche et de réflexion « Parents et soignants face à l’éthique en pédiatrie » de l’Espace éthique de l’AP-HP : www.espace-ethique.org/fr/gr_pediatrie.php

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