Un investissement de conviction - L'Infirmière Magazine n° 273 du 15/02/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 273 du 15/02/2011

 

ANIMATION EN EHPAD

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Longtemps domaine réservé des animatrices, l’animation en Ehpad requiert de plus en plus une action collective de l’ensemble du personnel au contact des résidents. Les infirmières, à travers les soins prodigués et le suivi d’une prise en charge individualisée, ont un rôle important à jouer.

Accompagner des résidents d’une maison de retraite à la fête foraine toute proche pour se distraire et manger une barbe à papa… L’idée peut paraître banale quand on ne connaît pas le monde des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (Ehpad). Mais, quand on connaît le sous-effectif patent qui frappe l’ensemble de ces structures, on mesure mieux l’organisation qu’une telle activité demande… Avec, en moyenne, 0,5 personnel pour un résident – alors que le Plan solidarité grand âge 2007-2012 préconise un ratio de un pour un-difficile de dégager le temps et l’énergie nécessaires pour effectuer ce type de sortie.

Pourtant, à la maison de retraite Saint-Joseph à Nantes, plusieurs soignants ont proposé cette animation durant l’hiver. Six résidents, dont trois en fauteuil roulant, y ont participé. Y compris des personnes souffrant de problèmes de déglutition. Fort heureusement, l’équipe a pu bénéficier d’un renfort en moyens humains, grâce au passage à un mode de financement global de l’établissement. Une augmentation du budget a ainsi permis l’embauche de plusieurs aides-soignantes, d’une ergothérapeute, d’une infirmière et de passer le médecin coordonnateur de 0,2 équivalent temps plein à 0,8.

Mais, au delà de la question des moyens, cette action, plutôt nouvelle pour cet Ehpad, est surtout remarquable au sens où elle sort l’animation de la seule compétence des trois animatrices y exerçant pour en faire un enjeu collectif. Elle est aussi le signe de la volonté de la direction d’orienter vers ce type d’investissement qualitatif. « Nous sommes très attentifs aux initiatives des salariés qui vont dans ce sens, souligne Karine Gagneron, infirmière responsable du pôle soins. Nous avons d’ailleurs entamé, ces derniers mois, une réflexion qui va nous conduire à élaborer un projet par service, au sein duquel sera formalisé un projet d’animation. » Une démarche que les Ehpad sont de plus en plus nombreuses à adopter.

Vers un projet global

Le concept d’animation a en effet largement évolué ces dernières années. Hubert Falco, ancien secrétaire d’État aux personnes âgées, résume(1) : « D’abord conçue et pratiquée comme une succession d’activités destinées à lutter contre l’ennui, voire à participer à la rééducation, l’animation en gérontologie s’oriente aujourd’hui vers des réponses visant l’intégration des personnes et leur participation à la vie sociale. Elle ne peut être conçue à partir de modèles généraux plaqués uniformément, elle doit se construire sur les attentes des individus, à partir des aspirations de chacun. » Autrement dit, ce qui compte, ce ne sont pas tant les activités en elles mêmes, ni même leur nombre – atelier cuisine, sorties, jeux de société, atelier mémoire… – mais la capacité à répondre aux attentes des résidents, à susciter en eux une envie de vivre, à mobiliser une équipe autour d’un objectif pour contribuer à faire de l’Ehpad un lieu de vie et pas seulement un lieu de soins. N’oublions pas que le mot animation vient du terme latin animare qui signifie : mettre de la vie ! »

« Ces dernières années, cette transversalité est de mieux en mieux prise en compte par les infirmières référentes, notamment, note Dominique Samson, formateur consultant et responsable de la formation animateur en Ehpad à l’institut Meslay à Montaigu (Vendée). Les soignants ont de plus en plus une autre vision des personnes âgées, pas seulement « technique », mais qui va au-delà des seules missions sanitaires dérivant de l’hôpital. On se dirige progressivement de l’animation occupationnelle à une animation plus construite et intégrée dans un projet global.

D’ailleurs, pour ce formateur, tout projet d’animation doit s’inscrire dans un cadre légal, notamment la loi du 2 janvier 2002 sur l’action sociale et médico-sociale. L’article 12 stipule ainsi que : « Il est élaboré un projet d’établissement ou de service qui définit ses objectifs, notamment en matière de coordination, de coopération et d’évaluation des activités et de la qualité des prestations, ainsi que ses modalités d’organisation et de fonctionnement ». Et pour qu’animations et soins se conjuguent, s’interpénètrent et profitent aux résidents comme aux soignants, il faut donc que « l’animation soit une déclinaison du projet d’établissement », précise Dominique Samson. L’objectif recherché pourra être ainsi connu de tous. Sinon, comme cela arrive fréquemment, l’animation n’est vue que comme une mission secondaire, n’impliquant en aucun cas, ni de près ni de loin les soignants.

Disponibilité réduite

Dans un environnement comme celui-là, les soignants, à commencer par les infirmières qui ont un rôle de coordination et une capacité d’impulsion forte dans les Ehpad, seront-ils portés à intégrer cette dimension animation dans leur mission ? Pas sûr. « D’autres projets sont considérés comme plus prioritaires, comme la mise en place du plan de soins individuel ou la réorganisation du travail, constate, par exemple, Sylvie Dubois, infirmière coordonnatrice de l’Ehpad d’Égletons (Corrèze). Côté soignants, on est de toute manière trop investis dans le soin prescrit. Gérer les relations avec les nombreux médecins libéraux et avec les familles, surveiller le travail des aides-soignantes, préparer et distribuer les médicaments… Nous avons tellement de tâches à réaliser ! » Même son de cloche à l’Ehpad Saint-Joseph, à Nantes, où l’une des trois animatrices dégage du temps pour s’occuper en particulier du Cantou, qui compte 25 résidents. Le projet de service avait prévu que soient proposées des animations aux résidents qui déambulaient le matin. Du temps devait être dégagé aux infirmières. « Mais, le soin sur prescription est tellement prégnant et à refaire souvent, qu’on ne peut se rendre disponibles comme on le souhaitait, constate Agnès Sicot, infirmière responsable de l’unité. Auprès de ce public en particulier, les infirmières sont toujours dans l’adaptabilité. Il leur est difficile d’être tout à fait disponibles pour l’animation. Si on est engagé dans l’animation, on se retrouve vite coincé. »

Néanmoins, certaines choses se concrétisent. « Une collègue s’occupe, par exemple, de la rubrique santé dans le journal trimestriel, témoigne Sylvie Dubois. Être dans la relation, recréer du lien, c’est de l’animation aussi, comme lorsque nous prenons quelques minutes pour aider un résident à lire un article… » Force est de constater que cet investissement, s’il existe, dépend alors de la bonne volonté individuelle. On prend sur son temps de pause pour égayer le goûter des résidents en jouant de l’accordéon ou pour les initier à la Wii. Mais, on passe à côté d’un projet plus ambitieux : donner du sens à l’action entreprise pour les bienfaits du résident. Car les observations faites par le soignant avant, pendant ou après l’activité, ne seront pas formulées, partagées et exploitées ; le souhait et les idées du résident ne seront pas entendus… Bref, l’expérience vécue ne sera pas capitalisée.

Un autre relationnel avec le résident

Dommage, car les soignants en bénéficient autant que les résidents. Comme le souligne Dominique Samson, « un projet d’animation efficace est un contrepoids indispensable à la logique du quotidien ». Maryse Chapeland, cadre de santé et responsable de l’Ehpad Les Mélèzes à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), ne dit pas autre chose quand elle évoque cet « investissement de conviction » qui l’a amenée à organiser deux séjours, le premier en Ardèche et le second en Bourgogne, avec 14 résidents, dont certains assez « lourds », accompagnés par sept professionnels représentants tous les métiers de l’établissement. « Nous sommes pourtant au taquet 24 heures sur 24, précise cette infirmière. Mais quel bonheur de leur découvrir des potentialités qui étaient complètement effacées ! On ne les regarde plus en fonction des soins qui sont à effectuer, des médicaments à distribuer, mais comme des personnes capables de s’adapter à des situations nouvelles. Cela nous aide à prendre du recul dans notre travail quotidien. Un exemple : sur 77 résidents, près de 50 ont besoin d’un fauteuil pour se rendre à la salle de restaurant car elle est trop éloignée, ce qui nous prend un temps important. Par peur de changer leurs habitudes et de les perturber, l’organisation était figée. On s’est simplement posé la question : pourquoi ne pas les faire manger dans leur unité ? On a vu durant ces séjours qu’ils avaient généralement de fortes capacités. À nous de dire stop et de réfléchir un peu pour voir si on ne peut pas mieux faire, pour faire ressortir les valeurs des personnes… »

Dans le même ordre d’idée, le Dr Laurent Martin, gériatre, médecin coordonnateur dans deux Ehpad de la région lyonnaise et créateur de l’organisme de formation Agir en santé, insiste sur le rôle fondamental de l’animation : « Quel que soit le support, purement occupationnel ou non, l’important est de provoquer un temps de partage et un échange où le soignant initie un autre relationnel avec le résident. »

Partie intégrante du soin

Pour « se retrouver autour de l’humain et laisser la logistique un peu de côté », comme le préconise Maryse Chapeland, deux types d’animation se dégagent : celles qui pourront être relativement simples, comme partager un repas, ce que fait parfois l’infirmière de service à l’Ehpad des Nymphéas à Pacé (Ille-et-Vilaine), ou celles qui demandent une organisation plus importante, comme proposer un atelier mémoire, ou la venue régulière de chiens formés pour aller dans les maisons de retraite(2), des sorties en ville…, et les animations qui peuvent passer par des actes intégrés dans le quotidien du soignant.

Vue sous cet angle, ne fait-elle pas d’ailleurs partie intégrante du soin ? « Dans les Ehpad, on entend souvent les soignants dire : je ne suis pas animatrice et je n’ai pas le temps pour les animations ! Mais, pendant une toilette ou un pansement, être capable de réinscrire le résident dans son histoire de vie et le réorienter vers une réalité, bref être dans ce que j’appelle le soin affectif, est de nature à apaiser les soins prodigués, surtout sur les personnes désorientées qui représentent une population importante dans ces structures. », affirme le Dr Laurent Martin. On tombe alors la blouse pour signifier le fait que l’on sort de son rôle « technique ». Mais au-delà du chant que l’on entonne durant un soin, de la conversation que l’infirmière entame en questionnant le résident sur une de ses photos, ou de la petite plaie que l’on soigne dans la salle de télévision et non dans la chambre, des « petites ficelles » utilisées par Agnès Sicot, infirmière responsable du Cantou à l’Ehpad Saint-Joseph, le relais est passé à l’animatrice. « Sur des animations qui nécessitent une réelle organisation et qui sont du ressort de l’animatrice, nous sommes là pour accompagner », souligne cette dernière. À charge pour les soignants de s’impliquer dans ces activités, parfois en les proposant, comme cela a été le cas avec la sortie à la fête foraine. Le temps des transmissions quotidiennes, où l’animatrice peut venir, est le moment idéal pour faciliter l’échange d’information permanent. « L’animatrice peut alors entendre le ressenti du personnel sur tel ou tel résident et le questionner pour savoir si proposer à celui-ci ou celui-là de participer à une animation est opportun ou non », explique Agnès Sicot. Le but final de toute animation étant d’amener un plus qualitatif et non de prendre le risque de mettre le résident en échec.

1– Extrait de la préface de l’ouvrage Propositions pour le développement de la vie sociale des personnes âgées, B.Hervy, Rennes, ENSP, 2003.

2– Lire notre article « Médor, plus fort qu’un médoc », paru dans L’infirmière Magazine n° 240, accessible aux abonnés sur espaceinfirmier.com.

SAVOIR PLUS

Charte, bonnes pratiques Guide des bonnes pratiques de soins en Ehpad (notamment la fiche sur la Bientraitance). Consultable sur le site de la Fédération française de gériatrie et de gérontologie, www.sfgg.fr

Charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante, rédigée par la Fédération nationale de gérontologie (notamment son article VI sur la valorisation de l’activité), disponible sur le site www.fng.fr

À lire

Mettre en œuvre le projet de vie dans les établissements pour personnes âgées, J.-J. Amyot et A. Mollier, éd. Dunod, 2002

L’animation des personnes âgées en institution. Aides-soignants et animateurs, éd Masson, 2004

À connaître

Le GAG, est un réseau de 300 animateurs en gérontologie. Ses objectifs : fédérer les énergies locales, diffuser des informations sur le métier, initier un travail de réflexion sur les fondements de l’action sociale et le rôle des animateurs en gérontologie. www.gag.asso.fr

Chaque année, un congrès national de l’animation et de l’accompagnement en gérontologie est organisé cnag2010.comm-sante.com/

EN CUISINE !

Radiographie d’une animation

Dans un des trois Ehpad que compte le CCAS de Clermont-Ferrand et dont est responsable Marie-Lucienne Barret, cadre de santé, un atelier cuisine a pris la suite du « souper d’antan », qui était organisé chaque année. Et 25 à 30 des 86 résidents y participent. L’idée : proposer plus qu’un repas. Plus précisément : maintenir les acquis des personnes, donner des repères (les saisons, les produits, le coût…), permettre de retrouver le plaisir de cuisiner, créer un climat d’échange tout au long de l’atelier. « Prendre soin », résume tout simplement l’infirmière. Pas d’ambition démesurée pour cette activité. « Au contraire, c’est assez facile à mettre en place », note Marie-Lucienne Barret. Les étapes de réalisation sont les suivantes : inscription des résidents, rencontre une semaine avant le repas pour élaborer le menu (une attention est portée aux produits de saison et à l’équilibre alimentaire), participation ou non aux courses sur le marché, préparation du repas (tâches adaptées aux capacités de chacun), mise du couvert et décoration… sans oublier le partage du repas, le soir, qui se clôture par des chansons. L’infirmière présente (elles sont trois ETP) vient faire un petit tour et prendre la soupe si elle a le temps. Mais, plus qu’un seul acte de présence, les soignants recueillent les observations effectuées tout au long de l’atelier, par l’animatrice surtout. Tel résident a-t-il participé ? Activement ou non ? A-t-il réussi à éplucher une pomme, à fouetter la crème, etc ? Une difficulté particulière peut être transmise à la psychomotricienne qui vient une fois par semaine et au médecin coordonnateur. Ce qui conforte l’idée qu’animation et soin en Ehpad sont étroitement liés.

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