L'infirmière Magazine n° 274 du 01/03/2011

 

INFIRMIÈRES COORDINATRICES

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Les infirmières coordinatrices sont de plus en plus nombreuses dans les dispositifs de santé. Cependant, leur activité et leurs compétences restent peu visibles, et ne bénéficient d’aucune reconnaissance. Ce constat peut-il évoluer ?

Ehpad, Ssiad, hospitalisation à domicile, greffe, centres de référence de maladies rares ou chroniques, réseaux, entreprises privées… Les postes d’infirmière coordinatrice (IDEC) se développent à l’hôpital comme en ville. Mais, d’un établissement à l’autre, d’une structure à l’autre, d’un service à l’autre, leur profil ne recouvre ni le même rôle ni les mêmes missions. D’ailleurs, aucun texte n’encadre cette pratique. Bref, officiellement, les infirmières coordinatrices n’existent pas. Pourtant, sans elles, certaines structures, unités ou services seraient obligés de baisser le rideau, la présence d’IDEC étant une condition sine qua non à leur fonctionnement quotidien. Cherchez donc l’erreur…

« C’est un objet mal identifié, tant la fonction est polymorphe », admet Anne Dardel, chargée de mission au bureau « Exercice, déontologie et développement professionnel » à la Direction générale de l’offre de soins (ministère de la Santé). De fait, impossible d’avoir une vision claire du nombre d’IDEC aujourd’hui en fonction. On peut tout juste avancer qu’elles seraient plusieurs centaines, voire quelques milliers. C’est dire leur manque de visibilité… Face à ce vide textuel, chacun peut donc faire à sa guise et au gré de ses besoins. Une situation qui alimente la confusion des genres. Certaines IDEC ont, en effet, une activité strictement administrative, d’autres gèrent des parcours complexes de soins (des case managers avant la lettre en quelque sorte), d’autres animent des équipes de soins pluriprofessionnelles, d’autres encore soutiennent et conseillent patients et familles, etc. Et certaines assument toutes ces tâches à la fois !

Sur le terrain…

Il semble cependant admis que la plupart de ces postes ne peuvent être confiés qu’à des professionnelles chevronnées, le plus souvent des infirmières engagées dans une démarche de pratiques avancées. Leur investissement professionnel, leurs savoir et savoir-faire sont recherchés mais ils ne s’accompagnent d’aucune reconnaissance et, par conséquent, d’aucune valorisation non plus… « Les coordinatrices ont des compétences que n’ont pas, par exemple, les infirmières de l’hôpital de jour. Pour certaines choses, je ne peux m’adresser qu’à elles », atteste Isabelle Petit, cadre puéricultrice à l’hôpital parisien Robert-Debré. Pourra-t-on se satisfaire encore longtemps de ce flou qui n’a rien d’artistique ?

Difficile d’évoquer le travail des IDEC en HAD ou en Ssiad sans faire appel à Martine Nectoux, qui a exercé dans ces deux champs (1). La fonction de coordinatrice, décrit-elle, engage l’infirmière dans un positionnement garant du suivi du malade dans son parcours de santé. « Je suis une clinicienne dans l’âme. Pour moi, la coordination, c’est aussi une affaire de terrain. » En Ssiad, le rôle de l’IDEC débute par une évaluation de la demande en clarifiant les attentes et les désirs de la personne soignée, dans son projet de vie. Son expertise lui permet aussi de définir des objectifs de soins personnalisés, en s’informant auprès du médecin traitant ou de l’équipe hospitalière concernée par le retour à domicile. « Une relation de confiance peut ainsi s’établir avec tous les protagonistes et contribuer à donner du sens à cet accompagnement, dit Martine Nectoux. Elle s’implique également auprès de son équipe afin de cultiver un système de “veille” et, le cas échéant, d’alerter le médecin ou d’autres professionnels. » En HAD, la fonction peut se définir comme un rôle d’interface entre le service hospitalier en guidant le prescripteur, le malade et ses proches, ainsi que les partenaires libéraux. Le tout afin d’organiser au mieux les soins qui seront assurés par l’équipe d’HAD. « La coordinatrice soutient ainsi, explique l’infirmière, une stratégie de communication dans une dynamique de réseau et détermine si l’état de santé du malade justifie ce type de prise en charge. »

Autre lieu, autre pratique. Aux Aéroports de Paris (ADP), société qui gère les plateformes d’Orly et de Roissy, les équipes infirmières sont encadrées par des IDEC. Ces postes échoient à des professionnelles aguerries, qui connaissent parfaitement la topographie des lieux (de nombreux sites répartis sur plusieurs dizaines d’hectares) et le fonctionnement global de la plate-forme, tout en maîtrisant le jargon aéroportuaire, incompréhensible pour le commun des mortels. En dehors des aspects organisationnels et d’encadrement, le travail des coordinatrices s’apparente à celui d’un régulateur. En étroite collaboration avec le médecin, les IDEC, nous dit l’une d’entre elles, « adaptent de manière cohérente les moyens humains et techniques pour faire face à chaque situation ».

Pour sa part, France Corroyer descend à peine de l’avion. Elle vient de faire un aller et retour express au États-Unis pour récupérer un greffon. Infirmière coordinatrice de greffe de moelle osseuse au service d’hémato-immunologie de l’hôpital Robert-Debré depuis six ans, l’infirmière « aurait probablement quitté l’univers hospitalier si l’occasion de prendre ce poste ne s’était pas présentée ». Depuis, son travail consiste à organiser, à baliser et à coordonner tout le chemin qui va conduire à la greffe, et à accompagner les parents et les jeunes patients atteints de leucémie tout au long de ce parcours depuis l’annonce du diagnostic. Il faut également parler couramment l’anglais pour être à même de consulter les registres de greffe internationaux et, évidemment, avoir une parfaite connaissance de la législation encadrant le don de tissus. « On a du mal à imaginer ce qu’une greffe recouvre en termes de logistique. Il faut être hyper organisée et anticiper sur tout. Et, bien entendu, il faut avoir une bonne expertise de la maladie, sinon, on ne comprend pas ce qu’on fait, ni quels sont les enjeux », commente France Corroyer.

… l’art du jonglage

Même constat pour Émilie Carde, infirmière coordinatrice au sein d’un centre de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM) à Paris. « La majeure partie de notre file active, qui compte environ 160 patients, est à domicile, explique-t-elle. Une fois que je me suis rendue sur place pour évaluer les conditions et la faisabilité d’une prise en charge, mon rôle consiste à organiser l’ensemble des soins du patient. Cela implique, entre autres, « de constituer une équipe de paramédicaux autour de lui afin d’assurer les soins et, si nécessaire, de former les infirmières libérales à cette prise en charge : traitement en IV, aérosolthérapie, nutrition entérale, etc. Nous formons et informons également les parents dans le champ de l’éducation thérapeutique. » Et à l’hôpital, compte tenu d’un turn-over relativement important chez les infirmières, « nous devons régulièrement mettre à jour leurs connaissances sur la pathologie et les techniques de soins. On évolue dans un univers pluridisciplinaire et pluriprofessionnel où les responsabilités sont importantes, et qui demande des compétences spécifiques, une grande disponibilité et de réelles capacités d’adaptation. On peut, par exemple, enchaîner un entretien téléphonique avec des parents inquiets mais dont l’enfant est asymptomatique, et un autre avec ceux d’un enfant en fin de vie. »

Les soins palliatifs, justement, c’est le domaine du réseau Ancrage, qui anime une équipe mobile spécialisée dans ce champ et dans la prise en charge des douleurs chroniques rebelles à domicile, au sein duquel Catherine Detilleux assure aussi la fonction de coordinatrice. Une mission qui ne va pas toujours de soi selon l’infirmière, qui a également été IDEC d’un Ssiad, même si le réseau n’intervient qu’avec l’accord du médecin traitant. « En soins palliatifs comme dans le traitement des douleurs rebelles, on est aux balbutiements de la fonction de coordination. Globalement, je trouve que l’on est en difficulté avec les soignants, et notamment avec nos collègues libérales, qui ne comprennent pas toujours notre rôle et qui n’acceptent pas notre présence, car elles estiment ne rien avoir à apprendre. C’est dommage pour le patient, bien sûr, mais également pour elles car notre légitimité provient justement de notre grande expérience dans le domaine des soins palliatifs. C’est parfois frustrant de nous sentir exclus d’une prise en charge alors que l’esprit qui nous anime est celui du partage de pratiques et de la coopération entre professionnels », constate Catherine Detilleux. Mais l’infirmière se veut résolument optimiste. Elle estime que ce type de collaborations ne peut, à terme, que se développer.

… et de la diplomatie

Créé en 2007, le Réseau d’Ile-de-France d’hématologie-oncologie pédiatrique (Rifhop) prend en charge quelque 300 nouveaux jeunes malades atteints de cancer par an. Il compte quatre infirmières coordinatrices, couvrant chacune un secteur géographique, chapeautées par une coordinatrice centrale cadre de santé. Elles travaillent en partenariat avec des centres de référence tels l’hôpital Trousseau (Paris) ou l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif, 94), une petite trentaine de centres de proximité (hôpitaux de la banlieue parisienne), des professionnels de santé libéraux, des services de HAD, des établissements de soins de suite, des services de chirurgie… « Ce type de poste demande beaucoup de rigueur et de méthode, car on a affaire à de nombreux patients, et à leurs familles, ainsi qu’à de nombreux intervenants », indique Sandrine Zirnhelt, une des IDEC du réseau. « Il faut donc faire preuvre de diplomatie, d’autonomie, et avoir roulé sa bosse. »

Des dispositions décrites par bon nombre d’IDEC. Au quotidien, l’infirmière coordonne le parcours de soins et la prise en charge globale de l’enfant : évaluation des conditions de retour à domicile, organisation des soins et de la scolarité. « Notre rôle est de mettre de l’huile dans les rouages pour faire en sorte que tout se passe bien, et d’épauler les parents, avec qui nous sommes en lien étroit », indique-t-elle. La formation est aussi une activité importante pour ces infirmières. Deux fois par an, elles organisent des sessions thématiques à l’intention des membres du réseau et des enseignants, des assistants sociaux… Elles forment régulièrement les équipes de jour et de nuit des établissements de proximité. « Notre cheval de bataille est l’harmonisation des pratiques et l’amélioration de la qualité de la prise en charge », insiste Sandrine Zirnhelt. Les IDEC sont elles-mêmes régulièrement formées sur les pathologies et les avancées thérapeutiques.

Les entreprises du secteur des services à la personne ne sont pas en reste : elles sollicitent également le savoir-faire d’infirmières coordinatrices. Mathilde de Saqui Sannes occupe ce poste chez Adhap Services, à Rennes, depuis près de deux ans. « Nous n’intervenons pas au niveau des soins. Au domicile, j’organise et je coordonne le travail des auxiliaires de vie et des aides-ménagères. Nous pouvons travailler en lien avec des services de HAD, des Ssiad ou des associations pour, par exemple, caler nos interventions et faire en sorte qu’une auxiliaire de vie soit présente en même temps qu’un soignant pour les levers et les couchers difficiles, des soins palliatifs ou la prise en charge de personnes lourdement handicapées », détaille-t-elle.

Des avis partagés sur le métier

La pratique de coordination infirmière est donc très variée, et elle réclame, à l’évidence, des aptitudes et des compétences spécifiques. Dans ce contexte, faut-il songer à créer un statut à part entière pour ce nouveau métier ? Les avis sont partagés. Pour Anne Dardel, du ministère de la Santé, « les compétences particulières des infirmières coordinatrices restent à démontrer ». Elle indique qu’une réflexion s’est engagée à ce sujet à la DGOS mais que personne n’est aujourd’hui capable d’identifier clairement l’activité d’une IDEC. « Ce travail reste à faire pour construire un référentiel qui pourrait conduire à la réingénierie de cette pratique. » Pour Dominique Le Bœuf, présidente de l’Ordre national infirmier, « la France est à la traîne sur cette question. Dans toute l’Europe, les systèmes de soins se restructurent autour de filières de soins et de filières spécialisées, et, généralement, ce sont des infirmières spécialisées qui y coordonnent le parcours des patients. En France, nous sommes frileux parce que nous avons encore une vision médicocentrée de la prise en charge. » Du côté des infirmières coordinatrices, Sandrine Zirnhelt estime que la coordination est une spécialisation qu’il est nécessaire de reconnaître, au même titre que celles des puéricultrices, des anesthésistes ou des infirmières de bloc opératoire. Même son de cloche chez France Corroyer, qui avance l’idée que les IDEC se fédèrent pour se faire connaître et reconnaître. « Nous manquons de visibilité, et les syndicats ont d’autres priorités. Entre les suppressions de postes et les conditions de travail rudes, et qui ne cessent de se dégrader, ils ont déjà fort à faire… », note Émilie Carde. En attendant des jours meilleurs, les IDEC se consolent en appréciant la reconnaissance que leur accordent patients, familles, collègues et hiérarchie… Et si, pour l’heure, cela ne change rien à leur bulletin de salaire, cela a au moins le mérite de récompenser leur engagement.

1– Martine Nectoux est à présent membre de l’équipe scientifique permanente de l’Observatoire national de la fin de vie, et formatrice au Centre de ressources national en soins palliatifs.

Exigence

« Ce type de poste demande beaucoup de rigueur et de méthode. Il faut faire preuve de diplomatie et avoir roulé sa bosse »

Sandrine Zirnhelt, coordinatrice au Rifhop (réseau d’hémato-oncologie pédiatrique)

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FORMATION

Innovation à l’EHESP

Après avoir installé le premier « département des sciences cliniques infirmières » de France en 2009, l’École des hautes études en santé publique a créé dans la foulée un master des sciences cliniques infirmières(1), en partenariat avec l’université d’Aix-Marseille-2. La promotion pionnière a accueilli 25 étudiants. En seconde année, les étudiantes peuvent opter pour une spécialisation d’infirmière coordinatrice.

Comme l’explique Christophe Debout, directeur adjoint du département, « actuellement, la discipline des sciences cliniques infirmières n’est pas reconnue par le conseil national des universités, mais le statut de grande école de l’EHESP lui permet, dans le cadre d’une cohabilitation, de mener ce type d’initiative. Nous avons ouvert un laboratoire de recherche en sciences infirmières et, à terme, nous pourrons accueillir des doctorantes. » Si, au cours des deux premiers semestres de pratiques avancées, les étudiantes, déjà IDE dans le secteur hospitalier et libéral, suivent un cursus commun, lors des deux semestres suivants (master 2), elles choisissent une spécialisation : infirmière en cancérologie, en gérontologie, ou infirmière coordinatrice de parcours complexes de soins. Dans ce dernier domaine, l’ensei­gnement aborde la gestion des flux de patients, les méthodologies d’élaboration ou encore l’utilisation des parcours cliniques. « Nous proposons aussi un approfondis­sement du champ de l’économie de la santé de manière à ce que les infirmières maîtrisent, entre autres, les systèmes d’information et les modes de financement de la santé. » Ensuite, l’enseignement porte sur les parcours de soins des patients. « Les infirmières doivent être à l’aise avec tous les types d’offre de soins : réseaux, ville, HAD… », précise Christophe Debout. Pour mettre sur pied cette formation, l’école et l’université se sont appuyées sur le cadre des recommandations internationales dans le domaine des pratiques avancées et des préconisations formulées par le Conseil international des infirmières. « C’est une sorte d’hybridation entre nos particularités nationales et ce qui se fait au niveau international », conclut Christophe Debout. Cette année, une dizaine d’infirmières ont choisi cette spécialisation. F. V.

1 – www.ehesp.fr, rubrique Formation diplômante.

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