L'infirmière Magazine n° 275 du 15/03/2011

 

DON DE SANG À LILLE

REPORTAGE

À Lille, la Maison du don accueille les donneurs de sang dans un environnement qui privilégie leur bien-être. Le plus grand site fixe de France entend fidéliser ses donneurs, pour continuer d’assurer l’autosuffisance du pays en produits sanguins.

Karima, tout sourire, est assise, jambes allongées, sur un confortable fauteuil médical télécommandé. Ce matin, à la Maison du don de Lille, elle est venue donner son plasma. Il pourra servir aux hémophiles ou aux grands brûlés. Quelques mètres plus loin, son mari donne son sang. À ses côtés, le bébé d’une de ses amies, qu’elle garde aujourd’hui, pas le moins du monde gêné par cet environnement de piqûres, d’infirmières en blouse blanche et de poches qui se remplissent de sang. « Je le fais chaque fois que je peux, confie Karima, je me sens plus légère après. Quand j’étais petite, ma mère, en Algérie, me disait “quand j’ai mal à la tête, je vais donner un peu de sang, je me sens mieux après”. » Comme de nombreux donneurs réguliers, Karima est inscrite sur la liste internationale des donneurs. Et elle n’est pas peu fière de rappeler ce chiffre : « Cinq dons, c’est une vie sauvée ! »

La Maison du don, ouverte fin juin 2010 et inaugurée officiellement le 6 décembre, dépend de l’Établissement français du sang (EFS). En se basant sur le bien-être du « patient », elle veut servir de modèle aux autres sites fixes de prélèvements. Avec ses 1 800 mètres carrés, et sa plus grande plage d’ouverture, c’est le plus important site fixe de France. Jusque dans les menus proposés après le don, la philosophie de l’éthique prime, avec plusieurs produits du commerce équitable à la carte. Claire, vaste, ouverte sur la ville, elle est située à quelques dizaines de mètres de la gare Lille-Flandres. Avec un objectif de 40 000 dons par an, elle entend devenir le plus important site européen. Les efforts ne doivent pas se relâcher. Deux tiers des transfusés sont des personnes du troisième âge, de plus en plus nombreuses. En France, seules 4 % des personnes aptes à donner ont sauté le pas. Et le taux de fidélisation n’est que de 1,6 %.

Des « patients sains »

À l’accueil, Béatrice note le prochain rendez-vous d’une donneuse dont la carte est bien remplie, « presqu’une centaine de dons !, fait-elle remarquer. J’en parle sans arrêt à mes amis pour les convaincre de venir donner, mais, pour le moment, personne n’a franchi la porte… » L’EFS effectue un gros travail de sensibilisation auprès des universités et des écoles. Ce matin, deux groupes de jeunes gens de l’École professionnelle des industries lilloises (EPIL) se succèdent auprès des infirmières. Enthousiastes et détendus, ils montrent un fort engagement : « Ça pourrait concerner ma grand-mère, ou moi-même !, explique Justine. Si, un jour, je dois être opérée, je serai contente d’avoir du sang disponible. » Pour Arnaud, le don est « pour la bonne cause ! On m’a dit que mon sang pourrait servir pour la recherche ». Parmi le petit groupe, plusieurs avaient déjà donné leur sang. Tous sont enthousiasmés par les nouveaux locaux : « C’est plus attrayant, plus joyeux. Les anciens locaux ressemblaient davantage à un hôpital, on était assis sur des petites chaises en bois. Ici, c’est chaleureux, lumineux ; de l’autre côté, ça faisait un peu usine », affirme Julien. Un peu en retrait du groupe, Grégory, très pâle, reprend ses esprits. Il a fait un malaise pendant le don. Une discrète alarme sonore et un gyrophare, situés à l’accueil, l’ont rapidement signalé afin qu’il soit pris en charge par un médecin.

Les treize infirmières et les huit médecins contribuent à l’ambiance chaleureuse du lieu. Virginie Belaen y travaille depuis huit ans. « J’ai travaillé deux ans et demi en maison de retraite, et deux ans en clinique, mais ça ne correspondait pas à ma vision du soin, explique– t-elle. En clinique, on parle maintenant de “client”. On nous incite à “bien faire les soins de M. Untel parce que c’est M. Untel et qu’il a des moyens” ! Pour moi, “M. Untel” ou pas, chacun a droit au même traitement. Avant de travailler ici, j’étais moi-même donneuse, je sais comment on prélève, comment on transfuse, ça m’intéressait de me retrouver au milieu de la chaîne. Ce que j’aime ici, c’est que le relationnel prime. »

Un côté « psy »

Virginie Petit, médecin depuis vingt ans à l’EFS, confirme : « Nous avons un côté “psy”, car, pour certains, c’est le seul endroit où ils peuvent parler et se sentir en confiance. » Pour elle, soulagée de ne pas avoir « une responsabilité de vie ou de mort sur une personne » et de « rentrer à la maison l’esprit libre », comme pour une bonne partie de l’équipe infirmière, travailler ici participe de leur équilibre familial et professionnel. « On côtoie des gens sains, ça change la vie ! On reçoit des personnes issues de toutes les couches sociales et, pour certaines, la Maison du don est le seul lieu où elles se sentent réellement utiles », apprécie Élisabeth De Kaluwe, responsable des infirmières. Une fois les dons effectués, les poches de produits sanguins sont soigneusement rangées dans des bacs en plastique hermétiquement fermés, et envoyés au laboratoire, boulevard de Belfort, pour la qualification biologique (virologie, bactérie, groupe sanguin…).

Accolé à la Maison du don, le centre de santé travaille en collaboration avec une dizaine d’hôpitaux. Deux médecins, trois infirmières et une infirmière-cadre y officient. Il suffit de passer une double porte battante et nous y sommes. Comme toute la Maison, le lieu a été pensé de façon à rapprocher les malades des donneurs, du moins symboliquement. « Avant la règlementation de décembre 1998 sur les bonnes pratiques thérapeutiques cellulaires, donneurs et patients étaient mélangés », précise la cadre Jeanne-Marie Ratier.

Rapprocher malades et donneurs

Le centre a deux activités : la thérapie cellulaire (près de 400 prélèvements par an), sous la responsabilité du Dr Florence Boulanger, et les saignées thérapeutiques (environ 1 200 par an), sous celle du Dr Virginie Ader. Les patients en thérapie cellulaire viennent sur rendez-vous, le matin, pour des prélèvements de cellules souches, conservées au laboratoire dans des cuves à azote, en vue d’autogreffes. Quelque 30 % de ces patients souffrent de lymphomes, 30 autres pour cent de myélome, et d’autres, de leucémie. Parfois, ce sont des enfants atteints de neuroblastome ou de nébuloblastome. Ce matin, le papa d’une jeune fille de 18 ans l’accompagne. Elle souffre d’une maladie mitochondriale très rare, dont on recense à peine une dizaine de cas dans le monde. « Avant de la diagnostiquer, explique le Dr Ader, on a longtemps pensé qu’elle souffrait d’anorexie, car sa maladie provoque de graves problèmes digestifs. Elle va prochainement recevoir une allogreffe de moelle osseuse. Nous lui prélevons aujourd’hui des cellules souches au cas où sa greffe ne prendrait pas. » D’autres patients, atteints, par exemple, d’hémochromatose – une maladie génétique provoquant un excès de fer dans l’organisme – viennent pour des saignées thérapeutiques. Certains d’entre eux peuvent devenir des donneurs, selon des critères précis. « Les patients donneurs sont ravis de pouvoir le faire, c’est très positif par rapport à leur image de la maladie », précise Virginie Ader. C’est le cas de Bernadette Tonus. Atteinte d’hémochromatose, elle doit faire des saignées thérapeutiques régulières depuis cinq ans. « Depuis août 2010, je suis aussi donneuse. Autant faire sa B.A.!, plaisante-t-elle. Ça nettoie, après, je me sens beaucoup mieux, et bien sûr, il y a une bonne collation ! »

Bienveillance

Retour côté Maison du don. À la sortie, un panneau indique « Accès réconfort ». Les donneurs se succèdent, toujours accueillis avec bienveillance et attention : « Ne restez pas debout, Monsieur ! », s’exclame une infirmière à un homme qui vient de donner son sang. Après un don, mieux vaut se rendre directement à la cafétéria pour une pause-déjeuner ou un goûter (généralement, environ 450 ml de sang sont prélevés pour un don, soit pas loin de 10 % de notre volume total, 4,5 à 5 litres). À côté, un homme lui sourit. Michel a la cinquantaine pimpante, il est un habitué des infirmières de la Maison. Son groupe sanguin est O négatif. « Je suis donneur depuis 1997, raconte-t-il. On m’appelle souvent pour des urgences car mon groupe est très recherché ! J’aime connaître la destination de mon don. On ne fait que donner un peu de soi-même mais quand on sait, par exemple, que cela va pouvoir servir à un nourrisson, c’est émouvant. Donner son sang peut être une étape vers la question du don d’organes. J’ai entendu à la radio le témoignage d’un père qui venait de perdre son fils, tué dans le métro de Lyon, et qui, avec un immense courage, racontait qu’il ferait don de ses organes. Ça m’a bouleversé. »

Dans le fond de la salle, côté don de plasma, l’infirmier Vincent Vanhuffel s’occupe d’une jeune fille : « Je suis anémiée, alors je ne peux pas donner mon sang, mais pour le plasma, c’est bon ! » Pour ce type de don, un brassard remplace le garrot. Vincent règle la quantité prescrite par le médecin sur le séparateur : le filtre centrifuge de l’appareil va trier les éléments lourds et les éléments liquides. La machine s’arrête ensuite et redonne son sang au donneur pour ne garder que le plasma.

Une grande rigueur

Derrière l’accueil, un dialogue s’engage entre infirmière et médecin, à propos d’un patient :

– « Il se mouche… »

– « Est-ce que c’est clair ? », demande la médecin.

– « Je ne sais pas ! »

– « Eh bien, il faut regarder ! »

Rien n’est laissé au hasard. Pour donner son sang, il faut être majeur, en bonne santé, peser plus de 50 kilos. Avant tout don, il faut remplir un questionnaire très précis puis passer à la consultation médicale : antécédents médicaux, allergies, voyages hors du continent européen, consultation dentaire récente, traitements médicamenteux, prise de drogue, vie sexuelle… Le médecin s’entretient avec le potentiel donneur, prend sa tension… Christian, parmi les derniers donneurs de la journée, avoue : « La dernière fois que j’ai voulu donner mon sang, je n’ai pas pu car j’avais trop changé de copine ! » On le sent un peu tendu, mais il ne se départit pas de son sourire, que lui rend l’infirmière Annick Brouwers, toute en douceur. La journée s’achève, les lumières de la Maison du don s’éteignent. Ce soir-là, l’équipe est ravie : « On a fait 140 dons, dont 36 de plasma, on aimerait que ce soit comme ça tous les jours ! » D’ores et déjà, par rapport à janvier 2010, l’établissement a enregistré une hausse des dons de 37 %. L’objectif des 40 000 dons par an est en bonne voie.

Informations sur le site de l’EFS : www.dondusang.net

REPÈRES

Un million de receveurs

→ Créé le 1er janvier 2000 et placé sous la tutelle du ministère de la Santé, l’EFS, établissement public national, a le monopole des produits sanguins. Via ses 154 sites fixes de prélèvement, il alimente plus de 1 900 établissements de santé et intervient d’un bout à l’autre de la chaîne. Il veille à l’autosuffisance en produits sanguins.

→ Il y a cinq ans, les besoins en sang étaient de 8 500 dons par jour. Aujourd’hui, la proportion grimpe à presque 10 000. Chaque année, près d’un million de malades sont soignés grâce au don de sang.

→ En France, on compte 2,5 millions de donneurs, soit 26 donneurs pour 1 000 habitants. Au Danemark, la proportion grimpe à 64 pour 1 000.

→ Dans notre pays, le don est basé sur la gratuité, le volontariat, l’anonymat et le bénévolat. Aux États-Unis, mais aussi en Allemagne par exemple, les dons gratuits sont effectués par des organismes tels que la Croix-Rouge. Mais on peut aussi donner son sang à des laboratoires privés, qui rémunèrent le donneur.

→ Comme les médicaments, les produits sanguins ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) de deux ans au lieu de cinq.