PRISONS
RÉFLEXION
Depuis mai, l’UHSA, à l’hôpital du Vinatier, à Lyon, accueille des détenus souffrant de pathologies psychiatriques. Regards croisés de deux psychiatres sur cette unité d’un nouveau genre.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Que sont les UHSA et, notamment, celle de Lyon ?
ÈVE BÉCACHE : Instituées par la loi de programmation et d’orientation pour la justice de 2002, les UHSA – Unités hospitalières spécialement aménagées – sont destinées à accueillir des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques. Pour le moment, l’UHSA de Lyon, construite dans le parc du l’hôpital du Vinatier, est la première et la seule UHSA existante. Elle a ouvert en mai 2010. Elle dispose de 60 lits, et peut accueillir des hommes, des femmes et des mineurs, en hospitalisation libre ou en hospitalisation sans consentement (HSC) sur décision médicale. Au 26 janvier, nous avions accueilli 164 personnes, dont 10 % de femmes et quelques mineurs. Près de 50 % étaient là en hospitalisation consentie, essentiellement pour des troubles de type dépression, psychose…
L’UHSA est régie, selon moi, par deux principes. D’une part, c’est avant tout une unité hospitalière, à vocation de soin donc. D’autre part, parce qu’elle accueille des détenus, c’est une unité à double tutelle dépendant à la fois du ministère de la Santé et de celui de la Justice. C’est une « structure médicale avec une sécurité périphérique », l’équipe soignante comptant 117 personnes, et 45 agents de l’administration pénitentiaire assurant la sécurité extérieure.
L’I. M. : La place des soignants et celle des surveillants pénitentiaires sont-elles aussi établies ?
È. B. : À l’UHSA, les surveillants assurent la sécurité extérieure, les arrivées et sorties des détenus, la gestion du courrier, des parloirs. Mais, à l’intérieur, passé quelques grilles, les détenus sont en territoire hospitalier, uniquement encadrés par l’équipe de soin. Ce sont d’ailleurs les soignants qui ont les clés des chambres. Les surveillants ne peuvent y intervenir que dans deux cas. Soit à la demande de l’équipe soignante, en cas d’urgence, ce qui nous est arrivé parfois, pour un refus de réintégrer la chambre, de la violence dans le couloir, un patient enfermé dans sa salle de bain… Soit pour effectuer des fouilles aléatoires des chambres, et vérifier régulièrement les barreaux des lieux.
ÉVRY ARCHER : À mon avis, la possibilité permanente de recourir à des surveillants modifie nécessairement les relations soignants-soignés, réduit les recours à des dialogues à valeur thérapeutique ou les abrège. Et les fouilles restituent au détenu, derrière le masque hospitalier, le visage carcéral de l’institution qui le garde, même si ce bout de prison est astucieusement placé dans l’enceinte d’un hôpital. De plus, ces fouilles impromptues, et donc l’accès des surveillants aux ordonnances et certificats médicaux que les détenus conservent en cellule, et les paroles qu’ils entendent au passage, mettent en danger le secret médical. Le risque inhérent à cette double tutelle est que les soucis de sécurité s’imposent trop souvent au projet thérapeutique, que les objectifs pénitentiaires prennent le pas sur les objectifs soignants.
È. B. : Certes, soignants et surveillants obéissent à des objectifs différents qu’il n’est pas évident de faire converger. Mais nous y travaillons. Nous avons des réunions en commun – flashs quotidiens de 30 minutes et réunions hebdomadaires plus longues – visant à favoriser la compréhension du travail de chacun. À commencer par les « petites choses ». Ainsi des procédures d’admission en HSC. Habituellement, pour l’administration pénitentiaire, une fois que l’arrêté tombe, le détenu est immédiatement transféré à l’hôpital. Nous en avons discuté au cas par cas. Et, sauf urgence médicale, nous avons imaginé pouvoir différer l’admission de quelques heures pour éviter les transferts nocturnes, préjudiciables à l’alliance thérapeutique future.
L’I. M. : Ainsi, selon vous, l’UHSA est synonyme d’offre de soins supplémentaire ?
È. B. : Pour moi, oui. D’abord parce qu’elle permet que les détenus soient hospitalisés s’ils le souhaitent, et pas seulement admis sous HSC. Jusqu’alors, quand l’état d’un détenu nécessitait une hospitalisation, il était emmené dans un hôpital de psychiatrie générale, où, avant tout par crainte d’une évasion, il était enfermé dans sa chambre, même si cela ne correspondait pas à son état. Et les séjours étaient souvent courts.
À l’UHSA, ils ont accès aux mêmes soins que la population générale, avec un projet de soins et la possibilité de travailler sur du long terme. Le service se divise en trois unités : la première est dédiée à l’accueil et à l’observation ; la deuxième, aux soins individualisés et à l’accueil des femmes et des mineurs ; la troisième, à la vie collective préparant à la sortie, soit, pour l’essentiel, au retour à la prison. L’équipe – 53 infirmières, 34 aides-soignantes, 13 ASH, des médecins, un ergothérapeute, un psychomotricien, deux psychologues, une arthérapeute – assure une présence continue.
É. A. : Je ne remets pas en cause la qualité des soins apportés par Ève Bécache et son équipe mais, à l’échelle de la France, l’UHSA n’est qu’une goutte d’eau. Sur plus de 60 000 personnes en prison, 15 000 souffrent de troubles psychiatriques graves. Construire, comme les textes le prévoyaient, une première tranche de 8 autres UHSA d’ici à 2012, soit à peine plus de 700 lits, serait même gaspiller des moyens qui auraient été beaucoup plus utiles aux malades mentaux maintenus sous écrou et à d’autres patients psychiatriques, tant leur coût est élevé. Inefficaces et coûteux en regard d’une politique nationale de santé mentale, les UHSA symbolisent une nette régression éthique.
L’I. M. : C’est-à-dire ?
É. A. : La question des mesures à prendre à l’égard des malades mentaux ayant commis des agressions s’est posée plus d’une fois depuis Esquirol, et jusqu’alors, l’idée de créer des lieux d’enfermement spécifiques avait été repoussée, tant par la communauté psychiatrique que par l’État. Citons Kéraval qui, en 1904, au Congrès des médecins aliénistes de langue française, mettait déjà en évidence que de tels lieux seraient inefficaces, stigmatisants, trop coûteux pour être assez nombreux. Citons, aussi, le refus des psychiatres, dans les années 1950, que des policiers soient présents dans leurs services pour assurer la sécurité. Et le risque de l’abrogation de fait de l’irresponsabilité pénale ne doit pas être sous-estimé. En effet, les lits des UHSA risquent de légitimer l’idée qu’après tout, « les fous ont bien leur place en prison ». Or, aux fondements même du droit de juger et de l’éthique du soin, de très anciens textes juridiques, médicaux et philosophiques le disaient déjà : des personnes atteintes de troubles psychiatriques ne peuvent être jugées ni condamnées si leurs troubles les ont conduites, au moment des faits, à ne pas savoir ce qu’elles faisaient ou à ne pouvoir s’empêcher de les commettre.
L’I. M. : Alors… Quel avenir pour les UHSA ?
É. A. : Maintenant qu’une UHSA existe, je souhaite que l’équipe soignante remplisse au mieux sa mission et évite les dérives aussi longtemps que possible. Si les équipes de psychiatrie en milieu pénitentiaire, qui, pendant plusieurs années, se sont opposées quasi-unanimement à ce projet, se sont tues depuis, c’est, je crois, parce qu’elles ont été compréhensives à l’égard de celles de psychiatrie générale. Celles-ci, à l’hôpital, étaient et sont encore confrontées à un cruel manque de moyens, et manifestent – en partie à cause de cela – des réticences à accueillir des détenus dans leurs services. Il aurait donc mieux valu donner à la psychiatrie de droit commun les ressources nécessaires pour traiter correctement tous les malades mentaux quel que soit leur statut pénal… L’avenir des UHSA ? Dans la meilleure hypothèse, peut-être leur transformation en unités pour malades difficiles. D’autant plus que c’est bien à ces UMD que les UHSA transfèrent leurs malades les plus dangereux, bien que ceux-ci restent sous écrou, et malgré l’absence, bien sûr, de surveillants pénitentiaires dans ces vrais services hospitaliers.
È. B. : L’UHSA doit, je suis d’accord, s’inscrire dans le maillage de soins psychiatriques existant, sans lequel elle ne pourra fonctionner. Mais je reste persuadée qu’elle est, non un hôpital au service de la prison mais un lieu de soins pour des détenus. À nous de veiller à ce qu’elle le reste.
RESPONSABLE DE L’UHSA
→ Elle a exercé plusieurs années comme pédopsychiatre, avant d’être responsable de l’UHSA Simone-Veil à l’hôpital du Vinatier, à Lyon-Bron, depuis mai 2010.
→ Elle est aussi expert psychiatre auprès des tribunaux.
ANCIEN RESPONSABLE DU SMPR DE LA PRISON DE LILLE-LOOS ET EX-PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES SECTEURS DE PSYCHIATRIE EN MILIEU PÉNITENTIAIRE
→ Ancien chef de service au CHU de Lille et responsable du SMPR de la prison de Lille-Loos.
→ Ex-président de l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.
→ Expert psychiatre auprès des tribunaux.
→ Enseigne en facultés de médecine et de droit.
→ Association des professionnels de santé exerçant en prison : www.santeprison.com/web/
→ Loi de programmation et d’orientation pour la justice
→ Avis du Conseil consultatif national d’éthique
→ Rapport du Sénat sur « la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions »
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