« À EUX LES STUDIOS ! »

Et… Ça tourne ! » Dans le sous-sol de l’Ehpad Saint-Joseph, à Strasbourg, Colette, 89 ans, et Sandrine Ehrhard, psychologue, sont très à l’aise derrière la caméra. Certes, il arrive encore aux deux présentatrices de Télé Vies d’écorcher un mot, d’oublier une info et de devoir tout reprendre à zéro, mais ces petits « ratés » déclenchent plus de rigolades que de stress. De fait, l’ambiance est très décontractée. « Jamais, je n’aurais imaginé que j’allais me mettre à faire de la télévision en entrant en maison de retraite… », s’amuse Colette.

Née d’une rencontre

Annonce des anniversaires, reportage dans les coulisses d’un célèbre restaurant strasbourgeois qui a préparé le repas de la veille, portrait d’un nouveau résident, d’un soignant… Le contenu des programmes est entièrement consacré à la vie de l’établissement de 127 lits.

Financée par les caisses complémentaires de retraite (96 000 euros pour les deux premières années), la chaîne Télé Vies est née de la rencontre entre Marylène Ruchaud, directrice de l’Ehpad Saint-Joseph, et de Martine Caillard, réalisatrice indépendante.

Devenir acteurs

« Lorsque j’ai travaillé pour des documentaires dans des lieux d’hébergement pour personnes âgées, j’ai été frappée par le fait que la télévision restait allumée en permanence dans les chambres. Le petit écran diffuse pourtant des programmes qui restent très éloignés de leur existence », raconte la réalisatrice. « Contre cette passivité des personnes âgées devant leur télévision, le projet de Martine était de les rendre acteurs. Le but est de faire “pour”, mais surtout “avec” les résidents », souligne Marylène Ruchaud.

Depuis juin 2010, Martine Caillard, embauchée à temps plein, immortalise toutes les sorties et animations de l’Ehpad. Elle promène sa caméra dans les couloirs de l’établissement et propose aux résidents de leur consacrer un portrait ou de parler de leur passion. Elle ne se contente pas d’une petite interview mais alimente ses sujets de photos d’archives des lieux évoqués, interroge la famille, les amis… « On ne se moque pas d’eux ! », plaisante la réalisatrice.

Pour l’émission « La recette de mamie », il s’agit de filmer la personne depuis sa chambre, où elle évoque sa passion pour la cuisine, puis au marché, et, enfin, dans les cuisines, aux côtés du chef, pour réaliser la recette pas à pas. Laquelle est ensuite servie au menu de l’établissement le jour de la diffusion de l’émission… « C’est un formidable outil pour revaloriser l’estime de soi des résidents, ils retrouvent une place et une utilité qu’ils avaient perdues, assure Isabelle Voilquier, infirmière. Cette chaîne de télévision va à l’encontre totale de l’image de mouroir que peuvent véhiculer les maisons de retraite. Ici, il y a de la vie ! »

Un nouveau regard

L’un de ses collègues infirmiers, Jean-Louis Moliné, présente chaque mois une émission consacrée à l’opéra. « Jusqu’à présent, j’organisais une projection à la cafétéria. Désormais, je double la projection avec une présentation de l’œuvre, que j’enregistre en studio. L’émission favorise les échanges avec les résidents, qui ne me voient plus de la même manière. » Le personnel soignant prend aussi part à Télé Vies au travers de « Qui est qui ? » : « Le but de cette rubrique est de présenter la fonction exacte des personnes en blouse blanche que les résidents côtoient au quotidien sans trop savoir qui fait quoi et qui est qui », résume Sandrine Ehrhard. « On a beaucoup protocolisé la prise en charge, le soin, ajoute la directrice, mais il y a tout le non-mesurable, tout ce qui fait le lien, donne un peu d’humanité à nos établissements et influe sur le moral des résidents. »