La prévention des escarres du décubitus - L'Infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011

 

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QUESTIONS SUR

La prévention des lésions cutanées que représentent les escarres du décubitus passe par l’identification de leurs causes, le recours à des gestes appropriés, des positionnements adaptés et du matériel adéquat. Le confort des malades et celui des soignants vont de pair*.

Peut-on prévenir les escarres ?

Oui, « dans une grande majorité des cas », comme cela avait été noté lors d’une conférence de consensus en 2001. Plus qu’une possibilité, la prévention des escarres constitue une mission, inscrite dans le rôle propre infirmier (article R. 4311-5 du Code de la santé publique). La prévention s’impose d’autant plus que la guérison est plus difficile encore. Les escarres, mal vécues, entachent la qualité de vie des patients et génèrent de la morbidité, voire de la mortalité. Leur prise en charge coûte cher. Par exemple, au moins 1 % du budget de la santé en Hollande, selon une étude publiée en 2002. Les escarres sont, en effet, fréquents. Une étude de prévalence des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) a fait état, en 2009, de 38,1 % de patients présentant un risque d’escarre et de 9,5 % de patients porteurs d’escarre. Les deux départements les plus concernés sont la gériatrie et les soins intensifs.

Quelles sont les causes de ces lésions ?

Ces lésions de peau résultent d’une compression des tissus mous entre une proéminence osseuse et un support dur. La pression est facilitée en cas de moindre mobilité, avec l’âge ou pendant une hospitalisation. Le corps se trouve alors en décubitus (allongé à l’horizontale) beaucoup plus longtemps qu’habituellement. Les escarres se situent en grande majorité aux talons et au sacrum, moins souvent, à l’occiput, pour les patients sur le dos ; au niveau des ischions et du sacrum, en position assise ; au niveau du trochanter, en position latérale. Chez les personnes âgées, la face extérieure de la jambe peut être concernée.

Le cisaillement des couches tissulaires les unes sur les autres représente une autre cause d’escarres. C’est le cas d’une personne assise qui glisse dans son lit : son bassin avance tandis que la peau de son derrière reste « accrochée » au fond du lit. Même mécanisme en cas de massage. S’y ajoutent les frottements (liés au passage du drap sur la peau) et la macération (qui peut être amplifiée par un soignant qui frotterait trop rigoureusement avec un gant de toilette). Frictions et macérations sont des facteurs qui se surajoutent.

Il existe également des causes iatrogènes, tels les contentions, plâtres, attelles, tubulures, sondes, épingles… ou encore un stylo tombé et oublié dans le lit du patient.

Enfin, les escarres peuvent être liées à des facteurs intrinsèques : l’âge (la peau se fragilise et s’assèche) ; un déficit nutritionnel ; une paralysie ou des troubles sensitifs ; une altération de l’état de conscience ; une altération des échanges gazeux ; une anémie ; un œdème ; des troubles systémiques comme le diabète. Les lésions surviennent souvent dans un contexte de troubles de la vigilance, de la motricité ou de la sensibilité locale.

Comment limiter ces causes ?

D’abord, en augmentant la surface portante, donc en diminuant la charge au cm2. Ensuite, en alternant les positions. Cela diminue les temps de compression, en installant le patient sur le dos, le côté, le ventre, en position assise si cela est possible, voire en le faisant marcher. La modification des points d’appui doit avoir lieu toutes les deux heures (si une escarre est déjà présente), toutes les quatre heures autrement, en fonction du score de risque d’escarre. Un « push-up ? » (soulèvement des fesses en position assise) est recommandé toutes les quinze minutes pour des patients paraplégiques.

Dans l’élaboration d’une nouvelle position, se focaliser sur la plaie ou la zone à risque est une erreur. En effet, cela conduit à décharger une zone au détriment d’une autre. Par exemple, quand on installe un patient dans le lit, sur le dos, avec la tête de son lit relevée, la pression sur le sacrum est augmentée. Des positions qui ne devraient être que temporaires durent alors trop longtemps. Il faut, au contraire, considérer le patient dans sa globalité. Cette analyse peut prendre quelques minutes supplémentaires, notamment au moment d’installer des coussins. Souvent, c’est le positionnement au niveau du bassin qui impose une correction.

Par ailleurs, pour éviter les cisaillements et les frottements, mieux vaut être à deux pour soulever le patient, de préférence par le côté.

Quelles positions prescrire ?

Pour un risque moyen à fort d’escarre, il est conseillé d’allonger le patient à 30 degrés sur le côté, en décubitus semi-latéral oblique (alternativement sur la gauche et la droite), par exemple avec, dans le dos, un coussin en mousse et de forme triangulaire, ou avec un coussin banane. Les pressions sont mieux réparties, et les zones du sacrum, des trochanters, des ischions et des talons soulagées. Cette position est également suggérée pour les patients avec peu de force pour se mobiliser et/ou hypotones.

Le décubitus dorsal, lui, permet de décharger une partie du corps, mais la tension peut se reporter sur une autre zone. Ainsi, en soulevant les jambes, on augmente la pression sur le sacrum. Il faut libérer les talons, mais sans trop les soulever, car la décharge des talons avec des coussins trop épais favorise le flexum du genou. Des coussins et des oreillers sous les jambes, un carré de mousse à mémoire ou un linge de la cheville au creux poplité peuvent permettre de mieux répartir la pression.

Quelles positions proscrire ?

Le décubitus latéral strict, gauche ou droit – allongé sur le côté à 90 degrés – est une position à haut risque d’escarres, avec possible complication infectieuse ostéo-articulaire. Certes, ischions et talons sont soulagés, mais les pressions se concentrent sur les trochanters. Cette position ne peut être recommandée que dans des cas très précis comme dans certaines rééducations, par exemple pour des patients présentant une hémiplégie ou un traumatisme crânien.

La position demi-assise convient aux patients sous alimentation par sonde nasogastrique ou s’alimentant au lit. Favorisant l’autonomie, pour lire ou répondre au téléphone, elle peut être mise en place avec une inclinaison de 30 degrés. Mais, à 60 degrés, le patient a tendance à glisser : la pression est davantage concentrée sur la zone du sacrum et aux talons, la force de cisaillement augmentée. Cette position doit rester de courte durée, avec des jambes légèrement soulevées pour soulager les talons.

Quels sont les premiers signes d’alerte ?

Au stade zéro, on obtient une blancheur en pressant la zone rouge observée, signe que le sang en est chassé. Les vaisseaux ne sont pas encore lésés, la souffrance tissulaire est réversible : il est encore temps de réagir, et rapidement. Dès le premier stade, en revanche, la rougeur ne disparaît pas à la pression, la microcirculation est atteinte.

Pour percevoir précocement ces signes d’alerte, il faut régulièrement observer l’état cutané pour y découvrir, notamment, rougeur ou chaleur. Il faut aussi palper les zones à risque pour y déceler des changements de consistance (telles des indurations), à chaque changement de position et lors des soins d’hygiène. Cette surveillance doit être vigilante pour les peaux sombres, sur lesquelles les escarres sont plus délicates à localiser. Il convient également de vérifier fréquemment la survenue d’escarres sous les attelles. Cette surveillance est compliquée par le fait que le patient ne ressent pas forcément la douleur (selon sa pathologie).

Comment mesurer le niveau de risque ?

En utilisant des échelles de risques : le score obtenu permet une réponse individualisée, par exemple pour décider des délais entre les changements de position du patient et de la mise en place du matériel prophylactique. Depuis la mise au point de la première échelle, en 1962, de nombreux outils se sont développés, à l’image de l’échelle de Braden, la plus utilisée aux États-Unis. Mais aucune de ces échelles n’est parfaite. Par exemple, l’échelle Fragmment, utilisée aux HUG, attribue quatre de ses dix points à l’âge, aucun point n’étant donné avant 60 ans. Pourtant, un paraplégique de 20 ans présente un haut risque d’escarre. À l’utilisation de toute échelle, il faut donc ajouter de la réflexion et du bon sens clinique. Plus largement, la lutte contre l’escarre passe par une politique d’établissement, des protocoles de prévention connus de tous et l’existence de personnes ressources.

Quels professionnels s’impliquent dans la prévention ?

La création d’un groupe interdisciplinaire est recommandée pour favoriser les réflexions, notamment sur l’échec de telle ou telle prise en charge. Au quotidien, la prévention est un travail d’équipe qui passe idéalement par des transmissions et un suivi écrits. Une réflexion commune s’avère, par ailleurs, utile au confort des patients comme à la pratique soignante : on soigne mieux quand on travaille ensemble et dans le même but.

L’infirmière joue un rôle central, de même que le médecin, chargé de gestes spécifiques (comme le débridement ou la greffe), de la coordination des investigations ou des interventions sur les pathologies. S’y ajoute le travail de l’aide-soignant ; du kinésithérapeute (pour accroître la mobilité, l’autonomie et les possibilités de transfert, dans le cas, notamment, d’un patient qui peine à se redresser) ; du diététicien (les patients sont très souvent dénutris ou au seuil de la dénutrition quand ils arrivent à l’hôpital) ; du psychologue ; du podologue (pour les talons notamment); du psychomotricien ; du responsable du matériel, etc.

Un rôle important est dévolu à l’ergothérapeute. Son avis est particulièrement précieux quand le patient sort des « standards », qu’il est très maigre ou très gros, très grand ou très petit, souffrant de troubles de la sensibilité, de dépendance, de troubles orthopédiques ou de pathologies générant des attitudes vicieuses. Par exemple, à l’occasion d’une toilette, l’ergothérapeute peut réaliser un bilan auprès du patient, en l’interrogeant sur les types de matelas (mous ou durs) et les positions qu’il préfère pour dormir, en étudiant sa position spontanée et le positionnement que nécessite sa prise en charge médicale. Quelles positions le patient parvient-il à corriger et, une fois modifiées, combien de temps parvient-il à les conserver ? Ces interrogations permettent d’adapter au mieux le matériel et l’installation.

Quid du rôle du patient ?

Il est fondamental. L’éducation du patient et de son entourage n’est pas toujours facile, mais elle est nécessaire. Un matériel ou un soin bien présenté est généralement mieux accepté, ce qui a un impact sur l’efficacité de la prise en charge et la durée de la tenue du positionnement souhaité.

* Ce texte s’appuie sur un atelier animé, le 17 janvier à Paris, lors de la 15e Conférence nationale des plaies et cicatrisations, par Hubert Vuagnat, médecin-chef de service, Nadia Donnat, infirmière spécialiste clinique, et Florence Chiren, ergothérapeute, du service de soins continus du département de réadaptation et de médecine palliative, aux Hôpitaux universitaires de Genève, à Bernex (Suisse). Le site www.escarre.fr donne nombre d’éléments, de même que le document « Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé », issu d’une conférence de consensus de 2001 (à télécharger sur www.has-sante.fr).

Le choix décisif du matériel

Élément clé de la prévention des escarres, le matériel doit être sélectionné en fonction de la douleur du patient, de son poids, de son état général, de son niveau de compréhension, de l’objectif de positionnement et de la nature (volontaire ou passive) de sa mobilité.

Types de matelas

Le personnel soignant dispose de matériel standard ou sur mesure. Il existe, notamment, divers types de matelas et de surmatelas. Citons les matelas statiques, non motorisés (en mousse, par exemple, permettant aisément l’enfoncement du corps et une bonne répartition de la pression, pour les patients présentant un risque d’escarre faible à modéré), ou les matelas à air dynamique (habituellement composés de cellules remplies d’air, avec capteurs de pression, pour des patients à très haut risque d’escarre ou déjà atteints).

Nouvelle technologie

La fonctionnalité du matériel a beaucoup progressé. Sur des matelas en mousse viscoélastique, ont ainsi été créées des sections latérales très denses qui renforcent la sécurité du patient et créent une assise facilitant les sorties du lit. Autre nouveauté, le Self-Adjusting Technology®, un matelas qui épouse la forme du corps selon le poids, la température et les mouvements du patient en ajustant la pression d’air interne. Pour tous les nouveaux supports, c’est souvent le personnel soignant qui évalue et signale les améliorations possibles aux fabricants. Même si le patient est installé sur un lit spécialisé, l’alternance régulière de ses positionnements ainsi que l’utilisation d’un coussin de décharge restent nécessaires pour soulager totalement une zone de pression.

Une hygiène cutanée rigoureuse

Toilette

L’hygiène cutanée est importante. Il faudra autant que faire se peut éviter la macération, facteur de risque secondaire de la formation d’escarre. Pour cela, éviter le contact des selles, de l’urine avec la peau ainsi qu’un excès de transpiration.

On veillera cependant à ne pas être trop agressif avec cette même peau. Les nettoyages multiples, énergiques doivent êtres évités. De même que l’utilisation systématique de savon. Le nettoyage des fuites urinaires pouvant se faire à l’eau claire.

Incontinence

En présence d’incontinence, la pose d’une sonde sera tentante mais évitée le plus souvent possible et on lui préférera des moyens plus palliatifs. Les protections doivent êtres changées fréquemment. Chez l’homme, le port d’un étui pelvien avec poche à urine peut être utile.

D’une façon générale, il sera intéressant de s’intéresser aux mécanismes de l’incontinence, ce qui permet dans certains cas de trouver une solution appropriée. Pour ce qui est des fuites de selles, là aussi, certaines solutions existent (régulation du transit, bouchon rectal) qui peuvent limiter les souillures.

Massages et pommades

→ Les massages directs sont, à l’heure actuelle, totalement proscrits. Par la pression et les forces de cisaillement engendrées, il peuvent précipiter les lésions. Pour certaines localisations, un drainage lymphatique peut améliorer la situation mais il doit être fait par une personne formée et connaissant également la problématique de l’escarre.

→ Les crèmes protectrices sont intéressantes. Il en existe de nombreux types qui agissent par leur effet barrière mais également en nourrissant la peau. Il faudra de préférence choisir une crème ayant un bon effet protecteur mais pouvant s’appliquer en couche fine. Il ne faudra pas vouloir à tout prix nettoyer la zone protégée à chaque lavage.

→ Sur les rougeurs, un film de polyuréthane ou un hydrocolloïde fin peuvent s’avérer utiles.