Les dermatoses sur peau dite noire - L'Infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011

 

FORMATION CONTINUE

Le POINT SUR…

La dermatologie sur peau dite noire est une thématique qui reste encore largement méconnue du corps soignant. Afin d’optimiser la prise en charge thérapeutique de ces pathologies, une présentation de ses spécificités s’impose.

La base du diagnostic dermatologique est la reconnaissance de la lésion élémentaire. Mais la sémiologie dermatologique sur peau dite noire peut compliquer l’affirmation de certains diagnostics. Par exemple, l’identification d’un érythème est très difficile car l’appréciation de la teneur cutanée en hémoglobine est faussée par le pigment.

1. DERMATOSES SPÉCIFIQUES

→ La dermatosis papulosa nigra se manifeste par de petites papules lisses sur le visage à partir de l’adolescence. Le traitement à visée esthétique repose sur l’électrocoagulation plutôt que sur la cryothérapie.

→ Les chéloïdes, sans être spécifiques des peaux noires, sont plus fréquentes sur ce terrain. Une forme particulière, « spontanée », se caractérise par l’apparition sans cause décelable de papules fermes de couleur brune principalement sur le décolleté, le haut du dos et les épaules. Des dermocorticoïdes ou des corticoïdes en injectable intralésionelle sont administrés. La chirurgie seule est exclue, avec un taux de récidive plus important.

→ La kératodermie ponctuée est une maladie génétique parfois observée dans la population d’origine africaine. Elle se présente sous forme de petites dépressions remplies de corne apparaissant dans les plis de flexion des doigts et de la paume qui n’entraînent pas de gêne fonctionnelle.

→ L’Aïnhum est une maladie rare qui ne se rencontre que chez les patients africains. Elle apparaît sous la forme d’une fissure douloureuse bilatérale sous un orteil évoluant vers une amputation spontanée. Un traitement chirurgical est la seule alternative.

→ La pseudofolliculite de la barbe est très fréquente dans cette population. Les papules inflammatoires peuvent rarement évoluer vers des chéloïdes. Une modification des habitudes de rasage associée à une prescription de cyclines per os pendant trois mois, une cure de dermocorticoïdes d’une dizaine de jours suivie d’applications de trétinoïne réduisent ces lésions.

→ L’acné chéloïdienne de la nuque, localisée au niveau du cuir chevelu, est une affection granulomateuse chronique produite par le rasage de la nuque. L’arrêt de celui-ci et l’absence de vêtement sur cette région sont recommandés. Une cure de cyclines à faible dose, des dermocorticoïdes et de la trétinoïne locale seront administrés.

2. HYPOCHROMIE

Le caractère purement achromique ou hypopigmenté permet une première approche étiologique.

→ Le vitiligo demeure beaucoup plus grave sur les peaux dites noires du fait de son retentissement esthétique. Il commence parfois dans l’enfance par des tâches blanches bien limitées qui apparaissent sur le visage, les pieds, les mains et les organes génitaux externes. Un traitement sur deux semaines par dermocorticoïdes de classe II peut repigmenter les lésions récentes, ainsi que la photothérapie.

→ Le pityriasis alba ou eczématide est une forme d’eczéma sec difficilement visible sur peau fortement pigmentée qui apparaît spontanément chez les enfants et les jeunes adultes à peau sèche. Outre des mesures d’hydratation cutanée, un dermatocorticoïde de classe II ou III sera appliqué chaque soir. Il favorisera la repigmentation spontanée, qui peut, sinon, prendre plusieurs semaines.

→ La dermatite séborréique est volontiers hypochromique sur peaux pigmentées. Le traitement repose sur une application de ketoconazole ou de ciclopiroxolamine.

→ Les brûlures chimiques ou thermiques du 2e degré peuvent entraîner une destruction des mélanocytes.

→ La maladie de Hansen (ou lèpre) débute par des macules hypopigmentées, souvent de grande taille avec une bordure floue. Il ne s’agit pas d’une affection de la « peau noire », mais d’une affection aujourd’hui statistiquement plus fréquente dans les populations ayant la peau fortement pigmentée. Pour tout sujet provenant d’une zone d’endémie lépreuse, une recherche d’hypoesthésie au tact ou à la douleur est indispensable devant toute tâche dépigmentée, associée à une recherche de bacille de Hansen.

3. HYPERCHROMIE

L’hyperchromie ou hyperpigmentation génère des tâches pigmentées, très mal vécues par les patients.

→ Les eczémas de contact se présentent non pas selon des signes classiques mais par une plaque pigmentée mal limitée associée à un prurit intense. Le diagnostic est évoqué par une apparition brutale, un caractère localisé et la notion de contact allergisant. Les dermocorticoïdes de classe II, voire de classe I, en cas de lichenification très épaisse, seront administrés pendant 10 à 15 jours.

→ Le mélasma est fréquent sur les peaux métissées claires. Des macules limitées apparaissent sur le visage après une exposition solaire. Une protection par écran solaire est essentielle, associée à des dépigmentants dès la fin de l’été.

→ Le pityriasis rosé de Gibert, qui n’est pas rosé chez les sujets fortement pigmentés, est souvent très kératosique et pigmenté. Le caractère éruptif et l’aspect ovalaire des lésions disséminées sur le tronc sont évocateurs de cette pathologie. Des macules pigmentées peuvent persister plusieurs mois après la guérison.

→ Le lichen plan présente des papules caractéristiques sur les poignets et les avant-bras, très pigmentées et associées à un prurit constant. Ces pigmentations peuvent demeurer après la guérison.

→ Le psoriasis serait plus rare sur peau fortement pigmentée. Il apparaît sous forme de plaques dont l’érythème est masqué par des squames épaisses. Le diagnostic est facilement établi par leur localisation aux coudes, genoux, dos, cuir chevelu et au niveau des ongles.

TOUS NOS REMERCIEMENTS AU DR ANTOINE MAHÉ, DERMATOLOGUE DES HÔPITAUX CIVILS DE COLMAR, PRÉSIDENT DU GROUPE THÉMATIQUE PEAU NOIRE AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE DERMATOLOGIE, ET AU DR ANTOINE PETIT, DERMATOLOGUE AU CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE SAINT-LOUIS DE PARIS ET MEMBRE DU MÊME GROUPE.

En savoir plus

→ Dermatologie pratique sur peaux dites “noires”, Dr Antoine Mahé, édité par les laboratoires Léo Pharma, 2010.

→ Dermatologie sur peau noire en France métropolitaine C. Fitoussi L. Sulimovic, Éd. Flammarion, 2003.

→ Article « Dermatologie sur peau noire », P.-P. Cabotin, Elsevier, 2004.

POINT DE VUE

La principale demande de consultation concerne l’acné

DR ANTOINE PETIT PRATICIEN HOSPITALIER AU CENTRE HOSPITALIER SAINT-LOUIS DE PARIS, CONSULTATION DE DERMATOLOGIE DES PEAUX PIGMENTÉES (AP-HP)

Les particularités sémiologiques des dermatoses survenant sur les peaux fortement pigmentées sont insuffisamment enseignées en Europe. Il en est de même des échelles et des scores de gravité utilisés en dermatologie. Notre activité est en partie consacrée à tenter de pallier ces manques.

Certains domaines de la pathologie méritent des efforts particuliers : les troubles pigmentaires ; la pathologie pilaire des cheveux de type africain ; les chéloïdes ; les complications de l’usage de produits éclaircissants ou « dépigmentation volontaire ». Mais, la principale demande de consultation en dermatologie sur « peau noire » concerne l’acné, surtout chez les femmes adultes. Difficile à traiter, son évolution pigmentogène se traduit par des taches pigmentées plus que par des « boutons » classiques.

La dépigmentation volontaire est un phénomène surtout connu chez des femmes africaines mais il est, en réalité, d’ampleur mondiale et peut concerner aussi les hommes. Les produits utilisés sont responsables de diverses complications. Nous tentons, lors de l’entretien, d’en obtenir la liste afin d’apporter la meilleure prise en charge thérapeutique, sans émettre de jugement sur cette pratique.