TOXICOMANIE
SUR LE TERRAIN
INITIATIVE
À Paris, l’association Gaïa assure la délivrance quotidienne d’un traitement de substitution aux usagers de drogues les plus éloignés des soins, dans un esprit de réduction des risques.
Face à la gare de l’Est, dans la capitale, un groupe de plus en plus fourni s’agglutine sur le trottoir. La nervosité tend les visages. Il est près de 14 h 30. Une forme blanche se profile enfin, celle du « bus méthadone », dont les flancs portent le logo de l’association Gaïa Paris. Les portes s’ouvrent, un passager monte sans attendre. Comme chaque jour, il vient prendre son traitement de substitution. Dans un espace assurant la confidentialité, Karine Élias, responsable infirmière, et Marie-Line Cudelou, psychologue bénévole, accueillent le jeune homme. Celui-ci énonce un numéro et tend une carte avec sa photo. Derrière le comptoir, l’infirmière entre l’identifiant dans l’ordinateur, jette un œil sur la fiche individuelle, puis annonce la dose de méthadone prescrite. À l’aide d’une pompe graduée, Marie-Line remplit un gobelet, vérifie le poids sur une balance et sert l’usager. L’opération ne prend que quelques secondes. Un verre d’eau pour faire passer le goût du sirop, et le patient ressort par l’arrière du bus. Une file ininterrompue traverse alors la cabine.
L’ambiance est conviviale, les échanges sont rapides, mais chaleureux. Karine lance quelques mots en russe à un Géorgien, demande à un usager s’il a récupéré ses résultats d’analyses, prend des nouvelles de l’un, fait un compliment à l’autre… « En un temps très court, nous devons capter si la personne peut recevoir ce jour-là son traitement sans risquer une OD [overdose, ndlr]. On est cool, mais comme on les voit souvent, on a l’œil ! » Ceux qui trouvent leur dosage de méthadone trop faible se voient recommander de faire le point avec un médecin au bureau de Gaïa ; ceux en grande détresse, d’aller y rencontrer une assistante sociale. En parallèle, l’infirmière gère les traitements secondaires d’une soixantaine d’usagers, préparés dans de petits sachets. En quatre heures de distribution, l’équipe, constituée d’au moins trois membres, dont une infirmière ou un médecin, accueille environ 90 patients. Chaque jour de l’année, ceux-ci peuvent venir chercher leur méthadone ou, pour 10 % d’entre eux, leur Subutex®, à l’un des trois points de rendez-vous fixes prévus dans Paris.
Expérimental à l’origine, le bus méthadone a été fondé en 1998 par Médecins du monde devant le constat que des usagers de drogues n’avaient pas accès aux traitements de substitution et qu’il fallait aller au-devant d’eux. Fin 2006, le dispositif, animé par un esprit de réduction des risques, s’est autonomisé avec la création de Gaïa Paris. Avec son équipe pluridisciplinaire, celle-ci gère un Caarud
Des entretiens confidentiels peuvent être organisés à l’avant du camion. « Quand nous sommes deux infirmières sur le bus, il m’arrive d’en faire », confirme Karine, qui apprécie le caractère diversifié de sa mission. « L’infirmière a un rôle central. On est coordinateur, logisticien, on fait de la prévention, de l’éducation à l’hygiène, du soin… On assure aussi des entretiens infirmiers, on peut assister à ceux du psychiatre, on accompagne des patients à l’hôpital… », commente-t-elle. La durée médiane de fréquentation du bus est de trois mois, mais nombre de patients restent plus longtemps. « Les usagers sont très attachés au bus. Certains, stabilisés, devraient être orientés vers d’autres centres, voire vers la médecine de ville. Mais évoquer cela est parfois vécu comme un rejet », pointe l’infirmière. Par ailleurs, lorsqu’un traitement contre l’hépatite C a été mis en place, les personnes peuvent se voir délivrer de la méthadone pour plusieurs jours. « Plus les gens s’autonomisent et plus on élargit », résume Karine Élias. 17 h 30 : Anne-Lise reprend le volant, direction Nation. La distribution s’y achèvera à 19 h 30. Un horaire tardif qui permet aux patients ayant un emploi d’accéder aisément, eux aussi, à un traitement.
1- Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues.
2- Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.
3- Ce kit comprend, notamment, une Stéribox (seringue, compresse alcoolisée, coupelle, eau…), mais aussi divers types de seringues, de filtres, d’embouts de pipe à crack, de préservatifs, de lingettes alcoolisées…
ANGIE
PATIENTE DU BUS GAÏA
« Je viens au bus depuis quelques mois. Je vis à la rue avec mon chien et des amis. Avant, je prenais du Subutex®, mais ça aggravait mes migraines. Le médecin de Gaïa m’a conseillé de passer à la méthadone. J’ai commencé à la dose de 40, mais ça ne suffisait pas. J’ai expliqué que je n’étais pas bien, l’équipe l’a compris. Maintenant, je suis à 80, ça va. Je suis contente, je ne prends plus rien d’autre. Le bus, c’est pratique. Et puis, comme je dors dehors, je ne peux pas garder sur moi un traitement pour plusieurs jours, je n’ai pas envie de me faire attaquer pour ça. Certains jours, c’est vraiment dur, et le bus, ça permet de parler… »