L’angoisse au travail - L'Infirmière Magazine n° 278 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 278 du 01/05/2011

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

En matière institutionnelle, quand un conflit surgit, quand une équipe se trouve dans l’impossibilité de fonctionner harmonieusement, on se réfugie trop souvent dans une personnalisation abusive des choses : untel a des problèmes, voire est malade. Bien sûr, la personnalité des uns et des autres a un impact important sur la vie collective. Mais cela ne doit pas conduire à oublier les effets du groupe sur les interactions entre les individus.

Craintes induites par le fonctionnement collectif

Les dysfonctionnements des groupes au travail ont donc conduit à envisager les angoisses collectives, induites par le fonctionnement collectif. On peut consulter dans ce sens l’ouvrage De l’usage des passions individuelles et collectives (éditions Doin, 2011) et, étonnamment, le dernier rapport de l’ex-médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye. Celui-ci écrit que « la fébrilité du législateur traduit l’illusion de remplacer par la loi le recul des responsabilités individuelles et de la morale », ce qui, pour les soignants que nous sommes, se retrouve dans l’inflation des règles de conduite, des procédures et des contrôles, culpabilisants, de celles-ci. Quand on est confronté à la fois à une augmentation des tâches et à un contrôle tatillon de celles-ci, on n’est pas loin du harcèlement. Ces pratiques managériales créent pour les professionnels un conflit entre le respect anonymisant des procédures et la nécessité impérieuse et inéluctable, dans ce genre de métier, d’un engagement personnel et affectif. L’ex-médiateur ajoute : « Nous devons retrouver le sens de l’engagement, de la solidarité de proximité » (celle des équipes et celle de la relation soignant/soigné), « du partage, du travail en équipe, de l’information aux malades et à leurs proches, mais aussi du respect de l’homme ».

La nécessité d’un recours individuel ou collectif (du type des groupes Balint ou des supervisions individuelles, bien connues dans les équipes de psychiatrie, mais encore peu répandues dans les équipes médicales habituelles, dans lesquelles on se débarrasse du problème en instituant des « groupes de parole » plus ou moins bien théorisés) s’impose donc au moins pour « faire la part des choses » et éviter aux professionnels d’emporter leur travail et leurs angoisses à la maison et, inversement, d’apporter à l’hôpital ou ailleurs leurs difficultés personnelles.

Souffrance des personnels

L’angoisse est au cœur des manifestations débutantes de ces conflits et difficultés. Il convient que tous, gestionnaires comme soignants, y soient attentifs, sans attendre ce que l’on a appelé la souffrance des personnels, dont c’est le premier signe. Quant aux malades, inutiles de leur rappeler ce principe. Ils sont, peu ou prou, dans un état de dépendance et de fragilité qui leur fait ressentir très vite, plus vite que nous, que tout ne va pas bien chez celui ou ceux qui s’occupent de lui. C’est bien pourquoi ces considérations sur la souffrance et l’angoisse au travail sont si capitales dans les milieux soignants, dans tous ceux où la relation d’aide, la relation humaine sont à l’œuvre.

Tout cela, d’ailleurs, est en discussion, en étude à travers le mouvement « Pour une médecine de la personne ». Ce mouvement international dispose d’un journal et d’un site Internet(1).

1- www.medecinedelapersonne.org. Un site en français sur ce thème sera prochainement ouvert en collaboration avec les éditions Doin.

Règles de vie et soutien

Les institutions ne sont pas que des murs. Ce sont d’abord des groupes de personnes réunies par une vocation ou une idéologie. Elles impliquent des règles de vie en commun fixées a l’avance, des « lois » de fonctionnement.

Incidences des structures

On distingue plusieurs types d’institution selon leur structure collective(1). Elles sont donc le reflet des tensions induites par leur fonction (ici, le soin aux malades) et leur fonctionnement (elles sont plus ou moins respectueuses des malades et des soignants, selon leur attitude vis-à-vis des impératifs de rentabilité ou des textes restrictifs en vigueur). Une institution peut majorer les angoisses individuelles (maltraitance du personnel, recherche du rendement au détriment de l’attention portée aux malades…) ou, au contraire, elle peut les diminuer, les répartir, les comprendre et en faire usage à des fins thérapeutiques. Mais elle ne pourra jamais les supprimer… On serait dans la négation, sous un pseudo-objectivisme où les émois des uns et des autres n’auraient pas leur place.

Pistes d’action

Les infirmiers, au contact direct des malades, sont des « éponges à angoisse », des répercuteurs. L’institution peut tout à fait les aider :

– en répartissant l’angoisse entre les membres de l’équipe. La responsabilisation/culpabilisation devient celle du groupe.

– en écoutant collectivement l’angoisse de quelques-uns. L’angoisse n’est pas une preuve de faiblesse, mais un signe clinique qu’il convient d’interpréter.

– en intégrant l’angoisse comme un symptôme, tant des malades que des soignants et de l’institution (crainte, notamment, du burn-out).

1- Voir S.– D. Kipman, De l’usage des passions, Doin, 2011, pp. 73 à 87.