L'infirmière Magazine n° 278 du 01/05/2011

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Arrivée à la puériculture par des chemins détournés, Anne Venisse n’en finit pas de parcourir de nouveaux domaines. Hier, les morts subites du nourrisson, aujourd’hui, les troubles du développement chez les tout jeunes enfants.

Au départ, c’était la technique de l’accouchement qui intéressait Anne Venisse. L’obstétrique, pas la puériculture. Le moment de la naissance plus que la relation à l’enfant et à son développement. Et pourtant, vingt ans après son diplôme d’État d’infirmière, seize ans après s’être spécialisée en puériculture et s’être engagée sur des terrains peu explorés par ses collègues, elle dit « ne rien regretter ». Digéré l’échec au concours d’entrée à la formation de sage-femme ; dépassé l’épisode de cette entrée « sans passion » à l’institut de formation en soins infirmiers. Fruit du hasard ou de la nécessité, son parcours est marqué par cette inextinguible envie d’expérimenter et d’apprendre.

Depuis un an, elle exerce la fonction d’infirmière coordinatrice au sein d’un centre d’action médico-sociale précoce (Camsp) rennais spécialisé dans la prise en charge des nouveau-nés vulnérables. « J’apprends le métier ! », rectifie, avec humour, celle qui dit avoir été, peut-être, un peu naïve d’accepter cette fonction. « Nous n’étions pas beaucoup à avoir posé notre candidature. Sans doute parce que le poste effrayait un peu… », ajoute l’infirmière dans un éclat de rire. Mais, pour elle, la stimulation et l’intérêt professionnel sont à ce prix.

Son profil a été retenu. Ses expériences précédentes, toujours au sein du CHU de Rennes, ont joué en sa faveur. Il faut dire qu’elles sont riches. Et le fait d’avoir choisi son domaine de spécialisation par défaut, après ses quatre premières années de travail passées en réanimation adulte, ne lui a finalement pas porté préjudice. « Je n’avais pas pensé à la puériculture pendant mes études, reconnaît Anne Venisse. Ce qui me motivait surtout, c’était simplement d’aller plus loin. Et comme les autres spécialisations ne me plaisaient pas, je me suis dirigée vers ce domaine. » Ses premières armes l’entraîneront en pédiatrie auprès de jeunes enfants de 0 à 3 ans. Première confrontation avec ce nouvel univers. « J’étais une infirmière lambda au sein d’une équipe d’un service très polyvalent. Très vite, j’ai pris l’habitude de me présenter aux parents, de leur expliquer comment on s’occupait de leur enfant, et ça me plaît… »

« Point d’entrée »

Mais, chance ou malchance, le service n’a plus de place pour elle au retour du congé maternité de son quatrième enfant. Le CHU lui trouve un poste en réanimation, toujours auprès des enfants. Pas grand-chose à dire de plus de cette expérience dans un service connu pour être très technique. Pourtant, si elle n’y reste que deux ans, c’est, selon elle, le fait du « hasard ». Celui-ci prend la forme d’une offre un peu cachée sur un panneau d’informations internes…, et pour laquelle la date limite de candidature est fixée au lendemain. Le centre régional dédié aux morts subites du nourrisson recherche une infirmière coordinatrice. Ce sera Anne Venisse. Cette mission est spéciale. Accueillir les parents des enfants décédés, organiser tous les examens, notamment l’autopsie, accompagner les parents sur plusieurs mois, suivre les enfants naissant par la suite, mener des actions de prévention sur tout le département pour sensibiliser les parents aux bonnes règles du couchage des bébés… « Ce qui nous intéressait, c’était surtout de voir si les parents allaient bien, sachant qu’ils pouvaient ressentir que leur enfant né après l’enfant décédé était en sursis », souligne Anne Venisse. Comme lorsqu’elle allait au-devant des parents dans le service de pédiatrie où elle a commencé sa carrière de puéricultrice, elle est, pour les parents, « le point d’entrée » de l’accompagnement qui leur est proposé. Après elle, interviennent les médecins, les psychologues, les services de la protection maternelle et infantile… La tâche est délicate mais l’infirmière rennaise est dans son élément. « Une infirmière peut ne faire que du soin mais aussi beaucoup de prévention, considère-t-elle. Pour moi, l’intérêt de notre diplôme est là. Je me suis servie du DE pour faire des choses très différentes, dans cette fonction notamment. Quand j’allais dans une famille après le décès d’un nourrisson et la naissance d’un autre enfant, j’effectuais une pesée de ce dernier, par exemple, mais je m’y rendais aussi pour écouter les parents qui, en général, se confient beaucoup. Notre intervention forme alors un ensemble cohérent où tout est lié. »

Éviter la solitude

Anne Venisse prend goût à ce positionnement particulier : à la fois autonome (dans la réalisation de ses missions et l’organisation de son travail) et en lien étroit avec d’autres professionnels. « Je sollicitais beaucoup les autres acteurs amenés à intervenir auprès d’une famille confrontée à une mort subite du nourrisson, souligne-t-elle. C’était une manière de faire le lien entre tous et donc d’accompagner au mieux les parents, mais c’était aussi un moyen de ne pas rester seule. » Car, au quotidien, il faut tenir dans des situations très douloureuses et profiter au mieux de la route à parcourir pour « décompresser un peu ».

En 2007, Anne Venisse souhaite retrouver un temps plein, alors qu’elle est à 60 % au centre. Sa position est très claire : ne pas retourner dans un service de soins classique. « J’aurais eu l’impression de revenir en arrière », précise la professionnelle. Elle trouve un complément au réseau périnatal Bien-être en Ille-et-Vilaine, qui lance un vaste travail épidémiologique sur les morts in utero et jusqu’à l’âge d’un an. Un travail de dossier et d’analyse « pas évident… mais très intéressant ! ». Mais, quand le Camsp est sur le point d’ouvrir, face à l’étendue du chantier, qui, certaines nuits, l’empêchera de dormir, elle n’hésite pas à franchir le pas et quitte ses deux missions.

Nouveau-nés vulnérables

Ce huitième Camsp d’Ille-et-Vilaine veut cibler les enfants issus de la réanimation et/ou de la néonatalogie. Ces nouveau-nés dits « vulnérables » et pour lesquels susbistait jusqu’alors « un vide dans la prise en charge », selon l’infirmière. Avec cette conséquence : la reconnaissance du handicap à des âges tardifs. Pour la seule infirmière de la structure, c’est une nouvelle fois l’approche préventive qui prévaut (plus un trouble du développement est détecté et pris en charge tôt, plus la vie de l’enfant pourra être améliorée) et le rôle de mise en relation des professionnels qui est privilégié. « On peut avoir des enfants probablement autistes, atteints de troubles psychiques graves ou de troubles moteurs, en passant par des pathologies génétiques, mais l’important pour nous est de les accompagner pour mettre en place un parcours de soins puis, enfin, de passer le relais. L’action du Camsp doit être transitoire. Si la prise en charge doit être durable, nous orientons vers les autres Camsp, les professionnels libéraux, les centres médico-psychologiques, les services de soins et d’éducation précoce… », explique Anne Venisse.

Sollicitée par les services de réanimation et de néonatalogie pour les nouveau-nés et les parents les plus fragilisés par la période néonatale (très grands prématurés, très petits poids, certaines malformations, lésions neurologiques…), Anne Venisse se rend directement auprès des familles pour présenter les missions du Camsp. « Il faut bien que les parents comprennent que ce sont eux qui décident de la mise en place d’un suivi ou non, explique la puéricultrice. Leur adhésion est essentielle. » S’ils acceptent, un des deux pédiatres du Camsp va les recevoir dans le service pour une première rencontre et consultation. Une deuxième consultation est programmée un mois après la sortie, puis tous les trois mois la première année, et tous les six mois ensuite jusqu’aux 6 ans de l’enfant. « Un contact téléphonique systématique après le retour à la maison peut m’inciter à me rendre au domicile si je sens que c’est difficile, souligne la puéricultrice. Dans ce cas, j’y vais au plus vite, à moins qu’il y ait refus des parents. » Et là, au plus près de l’intimité des proches, Anne Venisse pèse, parle de l’alimentation du bébé, peut parfois changer une sonde gastrique… et observe dans quel environnement dort l’enfant. « Je fais ainsi le lien avec les morts subites du nourrisson… » Cette fois, sous l’angle de la prévention.

UN RÔLE PIVOT

« Au Camsp, on est à l’hôpital sans en avoir l’air, observe Anne Venisse. D’abord, la culture qui prévaut, c’est celle du médico-social. Elle appelle un compromis entre les médecins, l’assistante sociale, l’éducatrice de jeunes enfants, la psychologue, la psycho-motricienne, la kiné, l’orthophoniste et moi. On est tous au même niveau et chacun peut s’exprimer. »

MOMENTS CLÉS

1991 Diplôme d’État d’infirmière

1994 Formation de puéricultrice

De 1995 à 2000 Pédiatrie du nourrisson

De 2002 à 2010 Centre « Mort subite du nourrisson »

Depuis 2010 Infirmière coordinatrice du Camsp « Nouveau-nés vulnérables »

À LIRE

L’Institut de veille sanitaire (InVS) a publié en mars dernier une enquête nationale 2007-2009 sur les morts inattendues des nourrissons de moins de 2 ans, disponible à cette adresse : bit.ly/ey2DOE.

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