L'infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011

 

CHIMIOTHÉRAPIE EN HAD

ACTUALITÉ

Développer la chimiothérapie à domicile est une priorité nationale. Pour les IDE, cette prise en charge peut être délicate. À l’AP-HP, elle a poussé des infirmières à exercer leur droit de retrait.

Un tiers environ des 188 infirmières de soins adultes en hospitalisation à domicile à l’AP-HP exercent, en ce moment(1), un droit généralement peu utilisé par le personnel soignant : le droit de retrait(2). Ces professionnels de santé redoutent en effet de faire face à un « danger grave et imminent » en préparant les chimiothérapies administrées à domicile. La tâche de reconstitution doit être centralisée en amont. Mais, à l’AP-HP, cette centralisation traîne, déplorent la CGT, Sud ou encore la CFDT. Lan­cée en novembre 2009, elle de­vrait être terminée fin 2012, selon la direction. À cette date, c’est l’hôpital européen Georges-Pompidou qui réalisera les quelque 8 000 préparations annuelles de l’HAD(3). Et les infirmières se chargeront de leur seule administration.

Gorge irritée

Ces droits de retrait trouvent leur origine, notamment, dans un incident survenu à la mi-mars. Au domicile d’un patient soigné pour un cancer, un infirmier a ressenti des irritations à la gorge, apparues alors qu’il reconstituait trois produits anticancéreux. Mêmes symptômes chez une aide-soignante et l’épouse du patient, pourtant situées dans une autre pièce.

« Lors de réunions d’information, note plus généralement le docteur Michel Falcy, de l’INRS(4), on se rend compte que l’irritation des mu­queuses et de la peau est encore, de façon non exceptionnelle, décrite lors de la préparation ou de l’administration des cytotoxiques. Cela traduit une insuffisance des mesures de prévention. » L’incident de la mi-mars « peut entrer dans ce cadre », selon le toxicologue à qui nous avons décrit le cas.

Cet événement indésirable, la direction de l’HAD, par la voix de Marie-Agnès Guéraud, coordinatrice des soins, l’explique par « un défaut de pratique : si l’infirmier avait adapté son masque et utilisé le petit percuteur prévu entre la seringue et le produit, il n’y aurait pas eu, a priori, d’effet indésirable. Il l’a reconnu. » Quant au retard de la centralisation, il s’expliquerait par des raisons infor­matiques. Il faut notamment im­planter le logiciel Chimio® dans chaque établissement de l’AP-HP. « Nous sommes demandeurs depuis des années, mais cela ne dépend pas de l’HAD », souligne la responsable.

Libérales sollicitées

Après l’incident, les règles de sécurité et relatives au matériel à utiliser ont été rappelées. Par ailleurs, l’HAD a commencé à déployer un système clos. Ce qui ne satisfait pas totalement les syndicats. Eux réclament une protection collective, garantie par la centralisation, et non uniquement individuelle. Le CHSCT(5) de l’HAD s’est réuni à propos de la préparation des chimiothérapies. Suivi, le 4 mai, d’un CHSCT central sur ce même sujet, mais cette fois à l’échelle de l’AP-HP. À la suite de cette réunion, au cours de laquelle les conditions de travail des préparateurs en pharmacie ont aussi été évoquées, la CGT comme la CFDT estiment que « le danger grave et imminent n’est pas levé ». Pour surmonter la poursuite des droits de retrait, exercés à ce jour par des IDE de huit unités (sur seize unités d’adultes), selon la direction, l’HAD sollicite des libérales pour réaliser les chimiothérapies.

Pour l’heure, l’administration à domicile de chimiothérapies est en général « très peu réalisée par les libérales, note d’ailleurs François Verney, de la FNI(6). Ce que nous faisons es­sentiellement, c’est le suivi des patients cancéreux hors chimiothérapies, ainsi que l’arrêt et l’ablation de pompes portables/infuseurs, en fin de chimiothérapie ambulatoire. » Mais « l’assurance maladie semble vouloir développer les chimiothérapies réalisées par les libérales », précise Annick Touba, présidente du Sniil(7).

Libérales ou non, « les infirmières ne devraient préparer à présent que très peu de chimiothérapies à domicile », conclut Pascale Dielenseger, présidente de l’Association française des infirmier(e)s de cancérologie. Le développement de la chimio­thérapie à domicile, déclaré prioritaire dès le Plan cancer de 2003, n’est pas facile. La réglementation(8) « a eu un côté positif pour la protection de l’environnement et des personnels, commente Pascale Dielen­– seger. Mais elle a aussi rendu plus difficile l’organisation des chimiothérapies à domicile. Il est très complexe, voire impossible, par exemple, de les proposer sur un bassin de population trop large », du fait des contraintes de conservation et de transport des produits préparés. Selon Annick Touba, aujourd’hui, « les chimiothérapies à domicile sont réalisées en HAD(9) plus qu’en ré­seaux ville-hôpital, rares. »

1– Cet article a été finalisé vendredi 6 .

2– Article 5-6 du décret du 18 mai 1982 pour les fonctionnaires.

3– Aujourd’hui, seules les poches pour l’HAD prescrites à l’HEGP ysont réalisées.

4– Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

5– Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail .

6– Fédération nationale des infirmiers.

7– Syndicat national des infirmiers et infirmières libéraux.

8– En particulier l’arrêté du 20 décembre 2004.

9– Le nombre de journées de chimiothérapie en HAD a augmenté deplus de 9 % entre 2008 et 2009, selon la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile.