DES SOIGNANTS AU PATIENT
DOSSIER
Médecin, pharmacien et, en bout de chaîne, infirmière : voilà les trois principaux acteurs d’un dispositif où l’erreur peut être fatale.
Chaque année, des millions de médicaments sont délivrés sans effet néfaste aux patients des établissements de santé. Mais les erreurs existent. Sur 214 événements indésirables graves associés aux soins recensés en hospitalisation au cours de l’enquête Eneis de 2009, 87 ont été estimés évitables, dont 24 liés à des médicaments. Des études citées en 2001 par le ministère de la Santé « font état d’écarts allant jusqu’à 10 % ou 20 % » entre ce qui devrait être donné au malade et ce qui lui est effectivement administré.
Ce ne sont là que deux références parmi plusieurs études (voir la bibliographie p. 21, comme pour tout document cité dans ce dossier). Difficile de déterminer le nombre d’erreurs et leurs conséquences. D’autant que certaines passent inaperçues, ou sont rattrapées à temps. D’autres sont plus retentissantes. À l’image de celle, fatale à un enfant, survenue à l’hôpital parisien Saint-Vincent de Paul à Noël 2008. Engendré par la confusion entre du chlorure de magnésium et une solution de glucose, ce drame a déclenché un tonnerre médiatique et il est cité dès les premières lignes d’une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le circuit du médicament à l’AP-HP. « Cet événement a rappelé que le médicament n’est pas un produit banal : il peut tuer », commente Philippe Arnaud, pharmacien à Bichat-Claude-Bernard (AP-HP) et président du SNPHPU
Les erreurs peuvent survenir à toutes les étapes de ce circuit : au moment de la prescription par le médecin ; lors de la dispensation par le pharmacien ; lors de l’administration, presque toujours réalisée par l’infirmière. Souvent, l’erreur résulte d’une accumulation de faux pas commis par plusieurs acteurs (qui peuvent dès lors être condamnés dans une même affaire). Les dysfonctionnements lors de l’administration prennent de nombreuses formes : surdosage, erreur de médicament ou d’horaire, confusion entre des patients, omission d’une dose, administration d’un produit sans prescription… Leurs origines peuvent être enchevêtrées. L’étiquetage est-il en cause, ou bien sa lecture par le soignant et/ou l’organisation ? L’ambiguïté – pour ne pas parler d’injustice – consiste à imputer aux seuls soignants une erreur facilitée par un contexte qui les dépasse…
Les autorités internationales et nationales ont pris conscience de ce risque spécifique de iatrogénie. Et structuré leurs moyens d’action depuis une vingtaine d’années. En France, la prise en charge thérapeutique médicamenteuse en établissements de santé est en partie régie par un texte du 31 mars 1999, complété et précisé par un autre arrêté daté du 6 avril dernier
Mais ce circuit est difficile à sécuriser. « Dans l’état actuel de la diversité des établissements sanitaires et de leurs responsabilités respectives, il n’apparaît pas de solution organisationnelle universelle », synthétise la Meah
La nature du circuit dépend aussi du soin (programmé ou en urgence), de son moment (pendant l’ouverture ou non de la pharmacie…) et du médicament. Les stupéfiants, par exemple, se gèrent différemment. Des traitements pédiatriques réclament une vigilance particulière, la collaboration avec les infirmières s’avérant alors « importante pour la gestion des nombreux problèmes liés à l’administration parentérale et orale », indique Sara Arenas, de l’Agence européenne du médicament
Il n’est pas, non plus, évident de coordonner les nombreux professionnels : médecins, pharmaciens (sur lesquels est souvent centré le dispositif), informaticiens, responsables qualité ou encore aides-soignants, qui « peuvent, dans la limite de leur compétence et leur formation, et dans le respect des règles en vigueur dans l’établissement de santé, participer à la distribution des médicaments [non injectables] en collaboration avec l’infirmier et sous sa responsabilité », analyse la HAS dans une note de cadrage. Rappelons que l’exercice infirmier est pratiqué dans le cadre du rôle propre (article R. 4311-5 du Code de la santé publique), sur prescription ou en application d’un protocole (R. 4311-7) ou encore sur prescription « à condition qu’un médecin puisse intervenir à tout moment » (R. 4311-9). L’IDE intervient donc à la fin du circuit. Le moment où se manifestent les effets d’une erreur. L’ultime moment où celle-ci peut être rattrapée.
« L’infirmier est le réceptacle de toutes les contraintes de la chaîne du médicament, synthétise l’Igas dans son rapport sur l’AP-HP…, sans qu’il puisse agir réellement dessus. » Sans doute parce que « l’infirmière n’est que rarement impliquée dans les décisions et choix d’organisation du travail, de matériel, d’aménagement de locaux, de sélection de produits et médicaments ou encore de rédaction de procédures », détaille Roselyne Vasseur, aujourd’hui directrice des soins et des activités paramédicales à l’AP-HP, en annexe d’un travail des académies nationales de médecine et de pharmacie. Par ailleurs, au moment de la préparation, les infirmières sont fréquemment interrompues, sollicitées par d’autres personnes ou appelées à d’autres tâches. Ce stress nuit à leur concentration. Surtout dans l’urgence, pas facile de choisir le bon médicament parmi nombre d’ampoules dans un chariot, d’en vérifier la date de péremption, de calculer (avec une éventuelle règle de trois), de doser, de diluer… Particulièrement quand il faut « éclairer le médicament à la lumière pour le lire tellement c’est écrit petit », poursuit Annick Picard, infirmière et militante CGT.
Un gouffre sépare la théorie de la réalité. En apparence, le circuit du médicament est un processus long, certes, mais linéaire, au cours duquel une simple vigilance permet de réduire les risques. En pratique, le temps et les effectifs manquent, l’erreur est humaine, la communication entre acteurs parfois limitée et la complexité du processus comparée à celle de l’aéronautique. Plusieurs pistes, présentées dans les pages suivantes, sont lancées pour une plus grande sécurité. L’objectif pour les infirmières ? Selon certaines dénominations mnémotechniques, respecter « la règle des 5 B » (administrer le bon médicament, au bon moment, à la bonne dose, selon la bonne voie d’administration, au bon patient), ou veiller à la cohérence des « 3 P » (prescription, produit, patient).
1– Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires.
2– www.legifrance.gouv.fr : arrêté du 6 avril : http://bit.ly/ls5zVd.
3– Mission nationale d’expertise et d’audits hospitaliers.
4– Le Moniteur hospitalier, janvier 2010.
5– Sur la question du manque d’adaptation d’une grande partie des médicaments en pédiatrie, lire notre dossier du supplément « Santé des jeunes » du n° 250, juin 2009.
Le circuit du médicament fait partie des 13 critères prioritaires sur lesquels s’appuie la Haute Autorité de santé (HAS) pour certifier les établissements de santé.
→ Ce critère, le 20.a dans la dernière version de la certification (V2010), donne lieu au plus grand nombre de décisions de la HAS : il en justifie quelque 10 % au terme des 185 premières visites pour la V2010. Allant de la recommandation à la réserve majeure, une telle décision incite les établissements à améliorer rapidement leurs pratiques. En cas de dysfonctionnement grave, l’établissement peut subir un contrôle diligenté par son agence régionale de santé (ARS).
→ Dans la première version de la certification, à la fin des années 1990, « la principale exigence était d’écrire, de dater et de signer les prescriptions, et pour les infirmières, de ne pas les retranscrire. C’était un changement culturel, se souvient François Bérard, alors directeur d’hôpital, désormais détaché à la HAS comme responsable de la certification. Depuis, le niveau d’exigence a augmenté à mesure que la réglementation a été renforcée. »
→ Le critère 20.a, avec 19 éléments d’appréciation, est même « le plus lourd ». Il doit être scindé en deux dans la prochaine version de la certification, en vigueur en octobre 2011.