L'infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011

 

CONGO-KINSHASA

ACTUALITÉ

Joseph Kibangula, vice-président de l’Association nationale des infirmiers du Congo (Anic), décrit une profession en mutation dans son pays. Plaidant pour une meilleure reconnaissance, il fait part de son souhait de voir naître un ordre infirmier.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment sont formés les infirmiers en RDC ?

JOSEPH KIBANGULA : Jusqu’en 1960, une formation, dite de niveau A3, préparait les infirmiers (appelés alors auxiliaires médicaux), et il n’existait pas de formation de cadre. Après le départ des Belges, la République démocratique du Congo s’est dotée d’une formation de niveau A2 pour assumer les fonctions jusqu’alors occupées par les infirmiers, cadres et médecins belges. Dans les années 1990, la formation des infirmiers auxiliaires (A3) a été supprimée. Celle des infirmiers de niveau A2, équivalent du diplôme d’État français, dure trois ans. Par ailleurs, un niveau A1 a été instauré : deux ans d’études supplémentaires permettent l’obtention d’une licence, « colorée » d’une spécialité en enseignement, soins infirmiers, pédiatrie ou anesthésie.

L’I. M. : Les infirmiers exercent-ils ailleurs qu’à l’hôpital ?

J. K. : L’exercice hospitalier reste la cible principale des diplômés. Ils sont quelques-uns seulement à se tourner vers l’épidémiologie, la santé communautaire ou la santé publique, dans les organismes internationaux ou les organisations non gouvernementales.

L’I. M. : Y a-t-il plus d’infirmières ou d’infirmiers ?

J.K. : Actuellement, la profession est mixte, avec à peu près 50 % d’hommes, mais nous allons vers une féminisation des effectifs.

L’I. M. : Y a-t-il une pénurie de soignants, comme en France ?

J. K. : Au contraire, tous les infirmiers ne trouvent pas de poste. Cela est dû, en partie, au problème de l’absence de rémunération des retraites. De fait, les infirmiers restent en exercice le plus tard possible et ne libèrent pas les places pour les nouveaux promus. Cette situation a pour conséquence une migration de certains vers la France ou la Belgique, mais surtout vers les pays voisins telle l’Afrique du Sud, où exercent plus de 1 500 infirmiers congolais.

L’I. M. : Comment est réglementée la pratique infirmière ?

J. K. : Les professionnels déplorent l’absence de législation. Les textes en vigueur sont ceux de l’époque coloniale. Ils sont considérés comme caducs par la profession car ils ne peuvent s’adapter à la situation actuelle. L’Association nationale des infirmiers mène un combat pour la mise en place de textes qui préciseraient les actes spécifiques des infirmiers en fonction de leur niveau de formation. Les professionnels regrettent l’amalgame entre les actes que peut effectuer un infirmier A2 et ceux pratiqués par un infirmier supérieur.

L’I. M. : Que pensent les infirmiers congolais de la reconnaissance de leur métier ?

J. K. : Ils sont en quête d’une meilleure reconnaissance de leurs compétences. Cette question a un impact sur les rémunérations, jugées trop faibles. Les infirmiers n’ayant pas de statut particulier, ils sont assimilés aux autres agents de l’administration publique, sans distinction de fonction ou de compétences.

L’I. M. : Existe-t-il un ordre infirmier en RDC ?

J. K. : Sa constitution est en cours depuis plus de dix ans maintenant… Aujourd’hui, l’Association nationale des infirmiers du Congo joue le rôle d’un ordre attendu par une large majorité des professionnels. Elle veut en montrer l’intérêt au gouvernement. L’association est d’ailleurs prête à en assumer les fonctions dès sa création officielle par l’État.

L’I. M. : Que pensez-vous des difficultés rencontrées en France à cet égard ?

J. K. : Les infirmiers congolais ont suivi les difficultés d’instauration de l’ordre infirmier en France. À leurs yeux, la contestation dont il a fait l’objet est une erreur. Ils considèrent qu’un ordre national peut défendre l’ensemble de la profession, mais préfèrent s’inspirer de l’ordre québécois. L’amélioration des conditions de travail est une autre revendication, dans un pays où le manque d’équipement empêche parfois d’effectuer les soins, dans les services d’urgences par exemple.

Cette interview a été réalisée à l’occasion de la 4e Journée nationale d’étude organisée par l’hôpital local d’Uzès (Gard), le 24 mars dernier.