UN FORT « SENTIMENT DE DÉPRIME » - L'Infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011

 

CONDITIONS DE TRAVAIL

ACTUALITÉ

Une vaste enquête menée par la CFDT met en évidence, profession par profession, la souffrance au travail des soignants de l’hôpital public.

Un véritable cri de détresse ! » C’est ainsi que la CFDT Santé Sociaux résume les résultats d’une enquête menée par ses équipes dans près de 500 établissements de santé publics pour con­naître les conditions de vie au tra­vail des soignants(1). Un constat s’impose d’emblée, celui de la très massive participation, puisque près de 40 000 agents ont répondu, dont un tiers d’IDE et d’infirmières spécialisées(2). « On n’avait jamais vu ça », s’étonne encore Nathalie Canieux, secrétaire générale de la CFDT Santé Sociaux.

Des données recueillies sur le terrain se dégage « une situation assez catastrophique » avec un fort « sentiment de déprime » chez les soignants, poursuit Nathalie Canieux. « Les contraintes, le management, les objectifs qu’on leur fixe ne correspondent absolument pas au cœur de leur métier », note la syndicaliste. Ils dénoncent une difficulté croissante à concilier travail et vie privée et mettent en cause les mé­decins sur l’organisation du travail. Plus de deux tiers des sondés (67 %) sont même favorables à une réorganisation de leur service pour mieux articuler organisation médicale et non médicale.

Large dégradation

Ventilés par professions, les résultats en disent long sur les conditions de travail des infirmiers du public. Sur les 13 748 IDE qui ont répondu tous secteurs confondus(3), la moitié ont entre 26 et 40 ans et 10 % ont moins de 25 ans ; un petit tiers (31,5 %) ont entre six et quinze ans d’ancienneté dans leur établissement. Près de la moitié des sondés (47 %) estiment que l’ambiance au travail se dégrade, 73 % pensent la même chose de la charge de travail et 58 % concernant la gestion des ressources humaines à l’échelle du service ou du pôle. Interrogées sur la façon dont elles voient leur avenir professionnel, près d’un quart des infirmières (22,6 %) envisagent de changer de service ; 16 %, de métier ; 14,4 % songent à s’installer en libéral ; et 7,4 %, à passer au secteur privé.

Au chapitre des facteurs qui dégradent le plus les conditions de travail, l’accroissement des tâches ad– mi­nistratives, le travail en « effectif minimum » toute la semaine, la gestion des absences et les glissements de tâches sont abondamment cités (voir graphique ci-dessus). Quant à la vie personnelle, elle apparaît le plus affectée par le manque de re­connaissance professionnelle, l’impossibilité de prendre congés et RTT quand on le souhaite, le dépassement régulier du temps de travail journalier, les rappels sur repos, les changements d’horaires intempestifs, l’absence de perspectives professionnelles et la non-program– mation des congés.

Responsabilité sociale

Interrogées sur ce qui dégrade le plus leur santé au travail (trois réponses étaient possibles), les infirmières citent le stress (47,2 %), la charge psychologique (40,1 %), la charge physique (33,6 %), les relations avec la hiérarchie (17,6 %), l’impossibilité de prendre le temps de repas (29,9 %), de même pour les pauses (25,2 %). Le travail serait à l’origine de fortes douleurs musculaires chez 27,8 % des IDE et de notables troubles du sommeil dans 28,2 % des cas.

Est-il possible de parler de toutes ces difficultés dans l’établissement ? Avec les collègues oui, mais pas avec la hiérarchie, répondent 45 % des sondés, 11,7 % d’entre eux jugeant que c’est difficile, voire impossible. Et la CFDT d’en appeler à la « responsabilité sociale des directeurs d’établissement » : « Le jour où l’hôpital produira ses propres malades, il faudra quand même se poser des questions », s’agace Nathalie Canieux. À quand « le bien-être au travail » parmi les critères des fameux classements et autres palmarès des hô­pitaux ?, s’interroge-t-elle.

La fédération syndicale entend présenter cette enquête au ministre de la Santé, formuler des propositions et solliciter l’organisation de groupes de travail pour trouver des solutions aux multiples problèmes soulevés. Des pistes de réflexion : mesurer et qualifier les causes réelles de l’absentéisme dans chaque service, recruter des secrétaires médicales pour soulager les soignants des formalités administratives, etc.

1– Les résultats complets de cette enquête, menée pendant quatre mois dans 492 établissements publics, ont été présentés le 3 mai. Ils sont consultables sur le site www.cfdt-sante-sociaux.cfdt.fr

2– Ont répondu 14416 AS, 5717 ASH, 13748 IDE, 1 130 infirmières spécialisées (Ibode, Iade et puéricultrices) ainsi que des auxiliaires de puériculture, des aides médico-psychologiques et des sages-femmes, soit un total de 38 455 réponses. Une enquête propre aux cadres avait été réalisée par la CFDT en 2010.

3– Médecine (30 %), psychiatrie (17 %), chirurgie (16 %), gériatrie (13 %), urgences (8 %), réanimation (7 %), soins de suite et de réadaptation (5 %), pédiatrie (4 %) et obstétrique (1 %).