L'infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011

 

MÉDIATION

RÉFLEXION

Anne Le Bec est infirmière auprès du Médiateur de ? la République. Son rôle : aider à la conciliation entre les usagers et les institutions publiques, dont ? l’hôpital, lorsqu’un différend les oppose.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : En quoi consiste votre mission au sein des services du Médiateur ?

ANNE LE BEC : Mon travail est identique à celui des médecins du pôle Santé et sécurité des soins, c’est-à-dire résoudre les litiges opposant les usagers (les patients ou les familles de patients) avec l’administration et les organismes investis d’une mission de service public. Notre champ de compétences est large : non-respect du droit des malades, qualité du système de santé, sécurité des soins ou encore accès aux soins.

L’I.M. : Quelles sont les démarches que doit suivre un usager pour avoir accès à vos services ?

A. L. B. : Une plateforme d’écoute et d’information permet aux usagers de présenter leur requête. Ils contactent un centre d’appel (lire ci-contre) où ils peuvent être entendus et conseillés. Lorsque ce centre ne peut satisfaire certaines requêtes qui s’avèrent trop complexes, il nous transfère les appels. C’est le cas pour 70 % des requêtes. Le centre d’analyse et de suivi des affaires du pôle, composé d’un coordonnateur médical, d’une infirmière, de juristes, de médecins experts et d’un réseau de délégués thématiques (spécialistes, magistrats, etc.), prend alors connaissance de l’histoire de l’appelant et lui donne des informations personnalisées. Nous ne traitons pas uniquement sur dossier, nous rappelons les demandeurs, nous les écoutons. Souvent, ils souhaitent un éclairage individuel (par exemple, un patient placé en chambre d’isolement qui n’avait plus le souvenir ou conscience des motifs de cet isolement), une information juridique ou médicale. Ou encore, ils ont envie de témoigner.

Par ailleurs, nous évaluons les situations d’urgence qui nécessitent un niveau de réponse relevant de l’expertise, comme pour les suspicions d’erreur médicale. Ce fut le cas concernant une patiente opérée pour la pose d’une prothèse du genou droit. L’intervention s’est déroulée sans incident. Mais les suites ont été marquées par la survenue rapide d’une nécrose cutanée puis d’une ostéite chronique sévère à staphylocoque doré nécessitant plusieurs reprises chirurgicales. Les difficultés engendrées par cette infection postopératoire ont conduit la patiente à demander réparation auprès du chirurgien. Face au silence du praticien et de la direction de l’hôpital, maintes fois sollicités par la victime, cette dernière a décidé de s’adresser à notre pôle.

Ainsi, pour les situations complexes, les membres du pôle peuvent décider d’une analyse approfondie du dossier médical. En cas de rupture de dialogue entre le corps médical et l’usager ou si l’analyse du dossier fait état de graves problèmes de prise en charge, le pôle propose d’organiser une médiation médicale, avec les professionnels concernés, et /ou une médiation assistée (patient-famille/professionnel de santé/pôle Santé et sécurité des soins). Mais nous ne faisons pas les démarches à la place de l’usager ; nous déterminons avec lui les étapes à suivre. C’est uniquement s’il n’obtient pas de réponse que nous pouvons instruire les dossiers. Et le fait que nous soyons Médiateur de la République permet souvent de résoudre les problèmes plus vite.

L’I.M. : Qu’apporte la présence d’une infirmière ?

A. L. B. : En 2007, la Midiss (instance intégrée en 2009 au Médiateur, lire encadré ci-dessus) a constaté une forte hausse des demandes liées à la maltraitance. Un accompagnement effectué par une infirmière a donc semblé opportun. Elle est considérée comme étant plus à l’écoute des patients, des usagers, qui vont être moins intimidés de se confier à elle plutôt qu’à un médecin. Les histoires individuelles des usagers rendent mon métier passionnant. De plus, j’ai un temps d’écoute et de partage avec eux que n’ont pas forcément les infirmières qui délivrent des soins en établissement. Je m’adapte à chaque cas, il s’agit vraiment d’un traitement à la carte. Je ne suis pas là pour taper sur les doigts mais pour faire de la pédagogie, déjudiciariser les conflits et privilégier le dialogue ou la médiation. Prochainement, l’activité du Médiateur de la République va évoluer (voir encadré ci-contre). De fait, le nombre de requêtes va certainement augmenter. Il pourrait être intéressant d’avoir d’autres professionnels de santé à mes côtés.

L’I.M. : En tant qu’infirmière, traitez-vous des requêtes spécifiques ?

A. L. B. : Je m’occupe essentiellement des demandes en lien avec la maltraitance, la négligence ou les difficultés d’obtention des dossiers médicaux. En 2010, la maltraitance et la violence ont concerné 20 % des 13 723 requêtes reçues par notre pôle. Certaines sont légères, liées au confort et à l’hôtellerie. Leur traitement se déroule alors au niveau du centre d’appel. Personnellement, je traite des demandes plus complexes. La maltraitance regroupe des notions larges comme la violence morale et physique, ou le non-respect de la dignité. J’ai reçu une demande d’une épouse dont le mari, décédé depuis peu, avait eu la sensation que la prise en charge de la douleur n’avait pas été effectuée. Personne n’a eu le temps d’expliquer à cette femme que pour certaines pathologies, cette prise en charge est difficile. Mon rôle a été de lui faire comprendre la situation. Je reçois aussi beaucoup de demandes de familles de patients décédés qui souhaitent avoir accès aux dossiers médicaux pour comprendre ce qui s’est passé. Bon nombre de familles veulent ce dossier car elles n’osent pas solliciter directement les médecins pour obtenir des réponses. Du côté des établissements, cette démarche est parfois mal interprétée car ils craignent que les patients cherchent, par la suite, à porter plainte. Il est alors important d’instaurer un dialogue.

La maltraitance touche aussi la psychiatrie. Je prends en charge les requêtes liées à l’hospitalisation sous contrainte. Souvent, les patients nous disent qu’ils ont été maltraités. Je reconstitue avec eux l’histoire de leur hospitalisation, car ils peuvent en avoir une vision erronée. Plus généralement, je recueille de nombreux témoignages, à la fois pour être certaine de la véracité des propos que l’on me rapporte mais aussi parce que nous pouvons, via notre base de données, recouper les informations et identifier les situations à risques.

L’I.M. : Y a-t-il eu une évolution du type de requêtes qui vous sont adressées ?

A. L. B. : Cette année, il y a eu une forte augmentation des demandes provenant des professionnels de santé (18 %) en situation de dialogue bloqué avec un patient, subissant un isolement professionnel après un accident médical ou qui, menacés dans leur activité, recherchent un interlocuteur indépendant et neutre. Une cellule de soutien et d’accompagnement des professionnels a même été créée au sein du pôle. Je reçois plus particulièrement les demandes d’infirmiers et d’aides-soignants victimes de violence de la part des patients. Ces derniers, souvent intolérants à l’attente, les menacent verbalement et même physiquement. Les infirmiers et les aides-soignants sont les premiers touchés par ce type de violence car ils se trouvent en contact direct avec les patients. Si cette violence n’est pas traitée ni régulée, nous constatons alors un transfert d’agressivité du soignant envers le patient ou ses proches.

Récemment, j’ai reçu la requête d’une infirmière qui a souhaité dénoncer la violence commise par ses collègues à l’encontre de patients très vulnérables. Elle a évoqué des propos violents, des humiliations et de la brutalité lors des soins. Ce dossier a pris du temps en termes d’instruction. Des mesures disciplinaires ont été prises par la direction de l’hôpital à l’égard des professionnels concernés. Satisfaite des suites données à sa requête, l’infirmière a tout de même fait savoir qu’une collègue qui l’a soutenue dans sa démarche est toujours en arrêt, incapable de reprendre son activité par peur des éventuelles conséquences, son comportement étant considéré par ses collègues comme une trahison. Souvent, les violences commises par les soignants sont révélatrices d’une forme d’usure. S’ils sont en souffrance et qu’ils n’ont pas d’interlocuteurs à qui parler, ils peuvent facilement être victimes d’épuisement professionnel. Ce qui fait la renommée des infirmiers et des aides-soignants, c’est l’écoute. Or, à l’heure actuelle, ce n’est plus valorisé, et le temps infirmier est un temps contraint.

SAVOIR PLUS

Autorité indépendante créée en 1973, le Médiateur de la République est intégré depuis le 31 mars à une nouvelle institution plus large, le Défenseur des droits, officiellement effectif depuis le 1er mai. Le Médiateur vise à améliorer les relations entre l’administration française et le citoyen, et propose des solutions sur mesure.

Son Pôle santé et sécurité des soins peut être joint au 0810 455 455 (prix d’un appel local) ou sur securitesoins.fr

ANNE LE BEC

INFIRMIÈRE AU PÔLE SANTÉ ET SÉCURITÉ DES SOINS DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE

→ Elle a été assistante de direction au sein du département Qualité et gestion des risques au sein de la Générale de santé pendant six ans.

→ Devenue infirmière à l’âge de 38 ans, elle travaille en salle de réveil dans une clinique à Saint-Maur-des-Fossés.

→ En 2007, elle rejoint la Mission pour le développement de la médiation, de l’information et du dialogue pour la sécurité des soins (Midiss) au sein de la Haute Autorité de santé (HAS).

→ En janvier 2009, la Midiss rejoint les équipes du Médiateur de la République afin de créer un pôle santé et sécurité des soins.

RAPPORT ANNUEL

Le Pôle santé et sécurité des soins du Médiateur a rendu en janvier sa synthèse annuelle d’activité pour l’année 2010. Plus de 13 723 requêtes ont été enregistrées. 55 % des demandes concernaient un éclairage sur un cas individuel, 20 % une demande de médiation, 15 % une information juridique et 10 % la volonté de faire un témoignage.

Lire notre article d’actualité du 26/01/2011 sur Espaceinfirmier.com.