DOSSIER
PRISE EN CHARGE
Savoir identifier la douleur chez l’enfant, l’évaluer à l’aide d’outils adaptés pour tenter de la soulager par des moyens médicamenteux ou non fait partie du rôle infirmier.
Le Code de la santé publique intègre le droit des patients à la prévention et au traitement de la douleur, il en fait ainsi une obligation pour tous les soignants. La prise en charge de la douleur constitue une pratique exigible prioritaire (PEP) dans le cadre de la certification des établissements de santé, aussi appellée V 2010, et fait l’objet de recommandations de bonne pratique de la HAS et de l’Afssaps.
« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, prise en compte et traitée
également intégré dans le Code de la santé publique, précise que « en toute circonstance, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade » (art. 37).
précise que « l’infirmier doit participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement de la douleur et de la détresse physique et psychique des personnes, particulièrement en fin de vie au moyen des soins palliatifs, et accompagner, en tant que de besoin, leur entourage » (art. R 4311-2 du décret n° 2004-11-28-802 du 29/07/2004).
Les recommandations de bonne pratique permettent aux professionnels de disposer de repères pour leur exercice pratique. Ces recommandations sont élaborées à partir des conclusions et des preuves apportées par les travaux de recherche
Concernant la prise en charge de la douleur des enfants, on peut citer :
chez l’enfant de 1 mois à 15 ans – diffusées depuis 2000 sur le site de l’Anaes (actuelle HAS). Ces recommandations permettent aux professionnels d’adapter les outils d’évaluation de la douleur en fonction de l’âge de l’enfant. Toutefois, depuis cette période, de nouveaux outils sont apparus, en particulier l’échelle EVENDOL pour les urgences, et certains autres permettant l’évaluation de la douleur pour les enfants présentant des handicaps (GED-DI et FLACC).
chez l’enfant : diffusées depuis septembre 2009, elles donnent des indications pratiques et précises de thérapeutiques à mettre en œuvre concernant de nombreuses situations cliniques tant en douleurs aiguës (brulûres, vaccinations…) que chroniques (migraine). Ces recommandations sont issues de travaux initiés par les médecins et concernent plus particulièrement les recommandations médicamenteuses. Elles peuvent servir de repères pour les infirmiers. On peut souligner la méconnaissance fréquente de ces recommandations par les professionnels.
Il faut rappeler qu’en matière de droit, l’obligation de prise en charge de la douleur est une obligation de moyen
Dans la troisième étape de certification (V 2010), la référence 12 concerne la douleur
Au sein d’un établissement de santé, l’organisation de la prise en charge de la douleur doit veiller à mettre en place les quatre axes du programme national de lutte contre la douleur. Le premier axe concerne l’amélioration de la prise en charge des douleurs des personnes les plus vulnérables, parmi lesquelles on compte les enfants.
Pour la mise en œuvre, il est, notamment, précisé : « Les professionnels de santé s’assurent du soulagement de la douleur » et « des moyens d’évaluation de la douleur pour les patients non communicants (échelles d’hétéro-évaluation) sont mis à la disposition des professionnels ».
Chaque enfant doit bénéficier d’une évaluation de la douleur avec un outil adapté à sa situation.
Compte tenu de l’évolution considérable de la compréhension au cours du développement de l’enfant, les soignants d’enfants doivent, pour évaluer la douleur, connaître plusieurs moyens et savoir les utiliser à bon escient. Il existe deux types d’évaluation de la douleur :
– l’auto-évaluation, réalisée par l’enfant lui-même ;
– l’hétéro-évaluation, réalisée par un tiers, soignant ou parent.
Ces évaluations sont effectuées à l’aide de nombreux outils adaptés à l’âge et au contexte de soins (voir tableau p. 36). Pour évaluer un enfant douloureux (ou confirmer qu’il n’est pas douloureux), un certain nombre de repères doivent guider l’infirmier.
il faut admettre que l’enfant, quel que soit son âge, est susceptible de ressentir la douleur, que les soins réalisés sont pourvoyeurs de douleurs, que cette douleur doit être prévenue ou traitée.
Ensuite, en fonction de la situation de soins, l’infirmier identifie le ou les types de douleurs auxquelles l’enfant est confronté : aiguë, chronique ou neuro-pathique.
à l’âge, à la situation, à la douleur dont souffre l’enfant. Le choix de cet outil est noté dans le dossier de soins, de même que le résultat.
Enfin, si la situation est complexe, si l’enfant n’est pas correctement soulagé, l’équipe doit se poser la question d’une évaluation plus approfondie de la situation en utilisant soit l’auto et l’hétéro-évaluation, soit plusieurs autres outils.
il s’agit identifier le Type de douleur, son Intensité, sa ou ses Localisations et le Temps (durée, rythme, accès…). Toutes ces précisions relèvent du travail d’identification des paramètres que l’infirmière est susceptible de recueillir.
En matière d’évaluation de la douleur en service d’enfants, les difficultés sont encore nombreuses malgré la disponibilité des outils. L’évaluation des pratiques professionnelles met en évidence que plus l’enfant dépend d’une pratique d’hétéro-évaluation, moins l’évaluation est satisfaisante
L’accompagnement des étudiants et des nouveaux professionnels dans l’apprentissage et la maîtrise des outils d’évaluation est essentiel pour l’évolution des pratiques infirmières.
La complexité de la douleur implique que le traitement ne soit pas seulement une administration d’antalgiques. Les moyens de soulager et de prévenir les douleurs sont à la fois médicamenteux et non médicamenteux. Le traitement de la douleur est, dans la plupart des cas, une combinaison de moyens associés les uns aux autres. Ces associations sont multiples et peuvent changer, un peu comme les figures d’un kaléïdoscope. Tant que le patient est douloureux, les soignants doivent s’efforcer de rechercher la bonne association, celle qui correspond au type de douleur, à son intensité ainsi qu’aux spécificités de l’enfant ou de l’adolescent qu’ils soignent.
Les recommandations de bonne pratique émises
Les moyens non médicamenteux ont connu, sous l’impulsion de la recherche clinique et des deuxième et troisième plans de lutte contre la douleur, un essor important dans le traitement des douleurs des enfants et des adolescents, qui y sont particulièrement réceptifs. Les traitements non médicamenteux se subdivisent en moyens physiques et physiologiques, cognitivo-comportementaux et psychocorporels. Pour les premiers, on peut citer l’administration de solution sucrée associée à la succion pour prévenir la douleur des gestes invasifs chez le nourrisson
Parmi les pratiques psychocorporelles, on trouve l’hypno-analgésie et les techniques de distraction qui permettent, associées au MEOPA (Kalinox®, Entonox®) si nécessaire, d’assurer les soins invasifs (prélèvements sanguins, pose de sonde vésicale, réalisation de pansements…) sans douleur et sans appréhension pour l’enfant.
L’hypnose a également apporté la preuve de son efficacité dans le traitement des douleurs chroniques des enfants et adolescents telles que la migraine.
L’évaluation des douleurs chroniques est complexe, et doit être multifactorielle. L’approche, qui procède d’emblée du modèle bio-psycho-social, doit être minutieuse et ne pas se dérouler à la va-vite.
– L’historique de la douleur, avec une description soigneuse et détaillée du symptôme : sensation ressentie, intensité, localisation, durée, variabilité, rythme, exacerbation…
– L’impact sur la vie quotidienne de l’enfant et de sa famille est pris en compte : sommeil et alimentation (perte), scolarité (absentéisme), activités physiques (sport) et sociales. Le retentissement familial est évalué. Le degré d’envahissement provoqué par la douleur de l’enfant et l’anxiété de ses parents est souvent très important ; pensées, raisonnement, émotions, comportements sont souvent affectés. Tout le mode de vie de la famille peut être centré sur la douleur. Par des attitudes inadaptées involontaires, visant à protéger l’enfant, un cercle vicieux d’aggravation et de renforcement de la douleur s’est installé.
– L’évaluation psychologique doit être incluse d’emblée. Les soucis, les conflits familiaux, les séparations, les deuils, les facteurs traumatiques mais aussi les échecs scolaires et l’histoire des douleurs des autres membres de la famille sont notifiés.
– Enfin, il faut faire l’inventaire de tous les traitements médicamenteux ou non médicamenteux employés et vérifier soigneusement leur efficacité.
– Bien entendu, les échelles d’évaluation adaptées à l’âge et à la situation clinique sont proposées afin de mesurer l’intensité de la douleur. Il s’agit bien d’utiliser les outils de l’auto-évaluation et les échelles d’hétéro-évaluation. Certaines, peu nombreuses, sont plus adaptées (voir tableau p. 36) : l’échelle DEGR ou l’HEDEN, la DESS, le QDSA (Questionnaire Douleur Saint-Antoine). Mais il faut mettre les évaluateurs en garde : il peut être déroutant de voir un enfant coter sa douleur avec un score élevé (8 ou 10/10 sur une EVA) alors que son comportement paraît calme, détendu ; à l’opposé, le comportement peut être très expressif, voire « théâtral » (grimaces, pleurs au moindre effleurement), alors que l’examen et la mobilisation de la zone douloureuse semblent tout à fait normaux. L’évaluateur et/ou le soignant ne doivent pas être déroutés par ces contrastes, qui les conduiraient à disqualifier ou à minimiser la plainte douloureuse ; tous les aspects de cette plainte sont à entendre et à prendre en charge.
– Un examen somatique complet est indispensable : apparence, attitude, mobilité globale, posture, température… Tous les appareils, respiratoire, cardiaque, locomoteur et neurologique, ainsi que leurs fonctionnements sont vus en détail.
La prise en charge de la douleur est faite, elle aussi, selon le modèle bio-psycho-social. Ses objectifs doivent être pragmatiques et réalistes. L’hypothèse que l’anxiété, le stress, les émotions, les traumatismes, la difficulté à faire face participent au syndrome douloureux chronique est énoncée clairement, dès le début de la prise en charge. Si l’on dissocie le corps de l’esprit (dualité entre soma et psyché), le risque est d’obtenir une recherche incessante, demandée par les parents et/ou les cliniciens et/ou les soignants pour trouver « la cause organique », au travers d’avis, de consultations et d’examens complémentaires successifs finalement inutiles.
La place des traitements antalgiques médicamenteux est essentielle pour les douleurs qui ont une cause identifiée (cancers, polyarthrite rhumatoïde, polyhandicap, douleurs neuropathiques). Pour les autres syndromes douloureux chroniques non spécifiques, les médicaments antalgiques ont une place plus réduite ; on fait souvent appel aux antidépresseurs tricycliques à petites doses (amitryptiline pour les céphalées de tension par exemple ou la fibromyalgie). Dans certains cas, des recommandations de traitement établies par les sociétés savantes ou les agences du médicament sont disponibles (crise de migraine ; gabapentine pour les douleurs neuropathiques).
Quel que soit le type de douleur, les traitements non médicamenteux sont associés au traitement médicamenteux ; leur efficacité est largement validée par de nombreuses études cliniques pour les syndromes douloureux non spécifiques. On distingue :
– les méthodes physiques (thermothérapie, toucher massage, TENS, kinésithérapie, balnéothérapie);
– les techniques psychocorporelles ;
– la relaxation : l’apprentissage du relâchement musculaire engendre, secondairement, une détente psychique ;
– la distraction : elle a pour but de détourner l’esprit d’une occupation ou d’une préoccupation négative ;
– l’hypnose : c’est une technique basée sur des phénomènes naturels qui amène le patient à se focaliser sur autre chose ;
– d’autres méthodes encore, comme les techniques orientales (yoga, tai-chi) ou l’art-thérapie, permettent d’obtenir aussi des améliorations prouvées dans la prise en charge de certaines douleurs chroniques non spécifiques ;
– la psychothérapie (en consultation individuelle, en travail de groupe ou en travail familial) auprès d’un psychologue et/ou d’un pédopsychiatre, est proposée à l’enfant et à ses parents dans le cadre de cette prise en charge globale ;
– l’éducation thérapeutique : tout au long du parcours de la prise en charge, les enfants et les parents ont besoin d’être conseillés pour pouvoir mobiliser leurs ressources, pour ne plus subir cette douleur devenue trop envahissante, qui constitue parfois un véritable handicap. Médecins et soignants, par leur empathie, par leur écoute, ont un rôle essentiel à jouer dans la mise en place d’une alliance thérapeutique, d’un contrat de soins.
En conclusion, les douleurs chroniques de l’enfant et de l’adolescent peuvent survenir dans une ou plusieurs régions du corps et intéresser un ou plusieurs organes. Tous les âges sont concernés. Elles sont, le plus souvent, la résultante de processus neuro-biologiques et neuropsychologiques complexes, intriqués avec des facteurs sociaux et culturels dans un organisme en développement. Dans tous les cas, l’évaluation et les stratégies thérapeutiques doivent prendre en compte ces facteurs multiples, le plus précocement possible. Les consultations spécialisées de la douleur chronique de l’enfant représentent des lieux d’accueil multidisciplinaire, où il est possible de prendre tout le temps nécessaire pour entendre la plainte douloureuse et la soulager. Ces consultations mettent en lien les généralistes, les pédiatres, les médecins scolaires et/ou les équipes hospitalières qui ont en charge l’enfant ou l’adolescent.
1- Lire notre article dans L’infirmière magazine n° 272 du 1er février 2011, sur les recommandations de bonne pratique.
2- Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé, Code de la santé publique.
3- Lelièvre N. « Évaluation et réparation du préjudice lié aux douleurs iatrogènes » – Droit et Douleur, Revue Douleurs n° 6 – vol 11 décembre 2010.
4- Manuel de certification des établissements de santé et guide de cotation – Édition 2010 disponible sur le site de la HAS.
5- Velly C., Caron A., Geneau A., Courtois E., « L’évaluation de la douleur de l’enfant par l’infirmière organisatrice de l’accueil aux urgences ». Soins pédiatrie et puériculture n° 258 Janv/Fev 2011 p. 34-36.
6- « Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant » : Recommandations de bonne pratique – Afssaps – juin 2009.
7- Poster « Prévenir la douleur des soins chez le nourrisson, une obligation »: il présente la technique en photos – Disponible au CNRD : www.cnrd.fr/01.44.73.54.21 Voir également les sources concernant les douleurs chroniques p. 38.
→ Aela, 6 ans et 1/2, d’origine malienne, a été opérée d’une péritonite hier.
Ce matin, elle est très fatiguée, elle geint faiblement, refuse toute communication. Elle est repliée sur elle-même. Une pompe à morphine a été posée dès la salle de réveil, mais la petite fille ne semble pas s’en être servie. Sa maman est près d’elle. Elle comprend le français, tout comme sa fille. Pour évaluer sa douleur, l’infirmière lui propose la réglette EVA, mais l’enfant n’est pas capable de lui répondre : elle est très douloureuse, en état d’atonie psychomotrice.
Dans cette situation, pour laquelle les moyens mis en œuvre correspondent aux recommandations en fonction de l’âge, on peut noter qu’il n’y a pas d’adaptation des recommandations à l’état de l’enfant, trop fatiguée et douloureuse à la fois pour s’auto-évaluer et pour s’administrer de la morphine. Une réévaluation de la situation doit permettre aux équipes soignantes d’utiliser un outil d’hétéro-évaluation et d’adapter l’administration de la morphine par l’infirmière afin de soulager l’enfant. Il est probable qu’ensuite, elle parviendra à s’exprimer et à utiliser la pompe à morphine.
→ Maxim a rechuté d’un ostéosarcome pour lequel il n’existe plus de traitement curatif.
Il a 9 ans, vit avec sa mère et ses trois frères et sœurs dans un petit logement. Compte tenu de la précarité de la situation sociale de cette famille et des difficultés de compréhension de la maman, le médecin considère que Maxim doit être hospitalisé, bien que l’enfant préfère rester dans sa famille. Dès son arrivée à l’hôpital, il s’installe dans son lit, replié sur lui-même, devient mutique, refuse de s’alimenter, de jouer avec les autres enfants comme avec l’éducatrice. Lorsque les infirmières lui demandent d’évaluer sa douleur avec la réglette EVA, il refuse de leur répondre. L’équipe est partagée, certains jugeant l’enfant très douloureux, d’autres pensant qu’il rejette l’hospitalisation, d’autres encore trouvant Maxim bien capricieux.
→ Point commun de ces deux situations : la nécessité de savoir recourir à un outil d’hétéro-évaluation lorsque l’enfant, même s’il a théoriquement l’âge d’utiliser l’EVA, n’est pas en mesure de le faire.
→ Selon la littérature, la douleur chronique concerne :
4 à 20 %
de la population pédiatrique.
Cependant, la prévalence exacte de chacun de ces types de douleur n’est pas encore parfaitement établie :
10 à 15 %
pour les céphalées et les douleurs abdominales non spécifiques ;
5 à 7 %
pour les douleurs squelettiques ou musculaires diffuses.
→ Toutes ces douleurs ne sont pas invalidantes ; certaines vont se résorber en quelques semaines ; d’autres vont se transformer en véritable maladie.
Bursch B., « American Pain Society. Pain in infants, children and adolescents : SIG/policy statement on paediatric chronic pain ». APS Bulletin. 2000, 10 : 3