Il y a une vie après la survie - L'Infirmière Magazine n° 280 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 280 du 01/06/2011

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Dominique Meslier porte secours aux Français confrontés, à l’étranger, à un événement risquant de les traumatiser. Une expérience connectée à sa carrière d’infirmier psychiatrique et à son implication en cellule d’urgence médico-psychologique.

Les mots constituent son principal outil. Dominique Meslier scrute la parole – ou son absence. Notamment celle des survivants des catastrophes. Cet infirmier psychiatrique vient ponctuellement en aide à des ressortissants français (ou franco-étrangers) confrontés, à l’étranger, à un drame exceptionnel. Ses missions médico-psychologiques visent, notamment, à repérer les personnes qui risquent de développer un traumatisme psychique. Ce repérage a lieu, en particulier, dans l’avion du retour vers la France. Les rapatriés se sentent alors – enfin – en sécurité. Certains commencent à s’interroger sur ce qui vient de se passer, sur ce qui leur est arrivé. Prendre leur tension n’est pas anodin : « Souvent, c’est plus un médiateur pour accéder à la parole. » « De nombreux survivants n’ont pas les mots pour exprimer leur expérience, ajoute l’infirmier. Pour ces personnes, les soins sont prioritaires. Mais les troubles peuvent se manifester plus tard.

Un temps de latence « délétère » pour la prise en charge. Les équipes soignantes informent donc ces victimes, leur conseillant de consulter si, des mois ou des années plus tard, elles souffrent de mal-être, sont sujettes à des « ruminations »… En 2004, en Thaïlande, « on a prévenu les personnes qui avaient vécu le tsunami et perdu des membres de leur famille de ce qui pourrait leur arriver, sans trop suggérer les choses ».

< encours >Depuis 2004, Dominique Meslier a participé à plusieurs missions, fixées par le gouvernement et organisées pour les dernières par l’Éprus (voir encadré). Les secours sont envoyés à la suite de catastrophes naturelles (tsunami en Asie, séismes au Chili, à Haïti ou au Japon) et/ou liées aux hommes (à Chypre, en 2006, pour accueillir les Français échappant aux bombardements sur le Liban ; en Lybie, en 2011, pour évacuer nos compatriotes avant l’engagement militaire international). Les missions ont duré douze jours à Chypre et au Chili mais, en Libye, Dominique Meslier n’a aperçu du pays que le tarmac de l’aéroport ; à Haïti, où il accompagnait des parents français d’enfants haïtiens adoptés, il a fait un aller-retour entre l’avion et l’ambassade de France. Au Japon, il s’est rendu à l’ambassade, à Tokyo. Il n’a pas constaté de grosse décompensation. Plutôt « des spéculations », à propos du risque nucléaire s’ajoutant à la catastrophe, et suscitant cette question : « Qu’est-ce qui va encore nous tomber dessus ? » Nombre de bébés, d’enfants, de femmes enceintes, « plus exposés au risque thyroïdien », ont d’ailleurs pris place dans l’avion pour Paris. « De très nombreuses personnes ressentaient un conflit de loyauté, l’impression de fuir. Même si leurs amis japonais leur disaient : “Allez-y, au contraire”. Mais un tel déchirement ne provoque pas de trauma. Ce qui provoque le trauma, c’est lorsqu’on a été présent, lorsqu’on a vu. Comme pour ces personnes présentes à Sendai et qui ont vu la géographie se transformer. » En tant que soignant, peut-on soi-même être ébranlé ? Dans sa carrière d’infirmier, une chose a particulièrement « frappé » Dominique Meslier : « La première fois que j’ai fermé les yeux d’une personne qui venait de mourir. Quelque chose doit se passer » chez le soignant à ce moment-là. Et lors de ses missions ? « Ça m’est arrivé d’avoir de petites contagions émotionnelles. [Par exemple] quand quelqu’un vous demande : “Mon papa, ma maman, ils sont morts ?” Vous l’accompagnez à l’identification [des corps], vous ne pouvez rien dire. Puis l’identification est donnée, trois heures se sont écoulées…, et on vous dit : “Il faut recommencer avec une autre famille…” Je défie n’importe qui d’affirmer qu’il est aussi efficace après. »

La question est donc plutôt celle-ci : comment se protéger ? En faisant des rotations, en évitant les situations difficiles (par exemple, lors du tsunami, ne pas aller voir les cadavres), en gardant en soirée un temps d’échange entre réservistes de l’Éprus (c’est un travail d’équipe : au Japon, par exemple, Dominique Meslier est intervenu aux côtés d’un médecin psychiatre, d’un anesthésiste réanimateur et d’un IDE), en n’allant pas au bout de sa fatigue… « La maturité professionnelle, c’est de dire “stop” quand un truc ne va pas. Cela ne signifie pas qu’on est inapte, au contraire. Éventuellement, on reviendra plus tard. » « Tout soignant peut être réserviste à l’Éprus. Mais, partir comme ça, en se disant “je suis infirmier, je sais faire”, c’est une erreur », ajoute-t-il. Ainsi, après le tsunami en Asie, des personnes avaient voulu porter secours aux sinistrés, mais « on ne peut pas s’improviser sauveteur dans un tel milieu, entouré par des morts, surtout des cadavres de quelques jours, noyés… » C’est comme dans l’humanitaire : « C’est bien de le faire, et c’est bien de se préparer pour le faire », précise Dominique, président d’une ONG agissant au Burkina Faso et au Bénin, qui recommande, avant de rejoindre l’Éprus, de suivre des formations. De se renseigner sur le fonctionnement de telles missions, notamment sur la discipline à respecter, souvent aux côtés des militaires. Et d’être sûr de pouvoir « entendre le discours de l’horreur ». L’expérience compte également. Celle de Dominique Meslier relève de la seule psychiatrie, et toujours à l’hôpital de Poitiers, aujourd’hui appelé Henri-Laborit. Avant ses études, il y travaille comme agent de service. Après son diplôme, il œuvre dans un service de psychiatrie de liaison, aux urgences générales, et auprès de patients souffrant de troubles psychiatriques. Plus tard, il participe à une unité similaire sollicitée par des médecins de l’hôpital général, aux urgences ou non, pour des personnes confrontées, entre autres, à l’annonce d’une maladie. Entretemps, dès 1992, il a fait partie des « premiers infirmiers psychiatriques » partant en urgence avec le Samu.

Limiter les risques

Consacrant aujourd’hui une part de son temps à des consultations pour psychotraumas, Dominique Meslier coordonne par ailleurs, depuis 2003, la Cellule d’urgence médico-psychologique (Cump) du Poitou-Charentes. Les Cump sont sollicitées en cas de crise, par exemple après une tempête comme Xynthia, un braquage ou un suicide en entreprise. Ainsi, en cas de réanimation d’un employé dans une société, la Cump entend permettre aux témoins de la scène « de retrouver un processus langagier ». Reparler, oui, mais « pas n’importe comment ». Entreprendre une prise en charge tôt limite les risques. « On donne aux personnes une possibilité de ne pas faire tourner leur vie autour du trauma. Sans essayer de redevenir comme avant, elles doivent percevoir l’aléa de l’avenir comme épanouissant et non néfaste. »

L’entretien touche à sa fin, et le réserviste sort un peu plus… de sa réserve. Il décrit, parmi les éléments qui ont tracé sa voie, les engagements caritatifs de sa famille pour des réfugiés du Vietnam ou pour des Gitans. Ou l’admiration qu’il partageait, avec un oncle, pour les French doctors, « ces types qui partaient à l’autre bout du monde au lieu de rester tranquilles dans leur cabinet. Ils y allaient pour aider, dénoncer, faire réagir. Avec beaucoup de cran et d’audace ». Dominique Meslier raconte le choc qu’il a lui-même ressenti lors de sa confrontation, dans les années 1990, en Afrique de l’Ouest, à la réalité des maux. « Le gamin souffrant de malnutrition, ce n’était plus une image, il avait un nom, une famille… Un enfant qui meurt de faim prend l’aspect d’un grand brûlé. » Ce qui rappelle d’ailleurs certains personnages d’un roman paru en 2004 aux éditions SDE, Le message des phragmites. Un ouvrage qui évoque le temps, qui n’efface pas tout, et la vie, qui continue en dépit d’un fardeau imposé. C’est ce qu’explique son auteur. Un certain Dominique Meslier.

RÉSERVISTES

L’Éprus renforce ses effectifs

L’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus), créé par la loi du 5 mars 2007, peut intervenir en France et à l’étranger. En 2010, la Cour des comptes avait critiqué le développement trop lent de sa réserve sanitaire. Celle-ci compte aujourd’hui 482 professionnels de santé, dont 214 infirmiers, un effectif d’IDE « en forte progression depuis trois mois », indique-t-on à l’Éprus. Ils sont sollicités en fonction de leurs qualifications et du type de mission. Une convention est signée entre le réserviste (qui doit être apte médicalement), l’employeur et l’Éprus, qui prend en charge les frais de la mission et le maintien de la rémunération.

Contact : www.eprus.fr ou 0 800 00 21 21 (numéro vert).

MOMENTS CLÉS

1988 Diplôme d’infirmier spécialisé de secteur psychiatrique, à 26 ans.

1997 Cofondateur de l’ONG Globe Santé avec Anne-Marie Boisdron, également infirmière.

2004 Diplôme universitaire de victimologie, à Lyon.

2006 Devient coordonnateur, à mi-temps, de la Cellule d’urgence médico-psychologique du Poitou-Charentes.

2004 Premier rapatriement de Français de l’étranger, depuis la Thaïlande.

2010 Première mission avec l’Éprus, au Chili.

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