L'infirmière Magazine n° 280 du 01/06/2011

 

QUALITÉ DES SOINS

ACTUALITÉ

DU CÔTÉ DES… COLLOQUES

Conserver un regard clinique, sans a priori, envers tous les patients : est-ce une gageure ?

L’infirmier ou l’infirmière doit dispenser ses soins à toute personne avec la même conscience, quels que soient les sentiments qu’il peut éprouver à son égard et quels que soient l’origine de cette personne, son sexe, son âge, son appartenance ou non-appartenance à une ethnie, à une nation ou à une religion déterminée, ses mœurs, sa situation de famille, sa maladie ou son handicap et sa réputation. » L’article R. 4312-25 du Code de la santé publique est très clair : aucune discrimination ne peut exister vis-à-vis d’un patient, qu’il soit blanc ou noir, musulman ou chrétien, jeune ou vieux… Mais, comme tout être humain, les professionnels de santé ont, consciemment ou non, des a priori face à des patients « différents ». Comment se départir de ses préjugés et porter un regard purement clinique pour garantir la même qualité de soins à tous ? Telle était la question posée par neuf étudiantes de l’IFCS du Centre psychothérapique de Nancy-Laxou en mars dernier (1).

Modèles culturels

« La différence dérange, elle nous pousse à mettre des étiquettes. Ce sont des processus classiques qui renvoient à la notion d’ethnocentrisme, rappelle Anne Vega, ethno-anthropologue. D’un pays à l’autre, la maladie et la douleur ne s’expriment pas de la même manière. En Occident, le “bon malade” est celui qui contrôle son corps et ses émotions. Mais ailleurs, ce modèle culturel peut être totalement différent : il peut s’agir, au contraire, d’extérioriser sa douleur ou de faire venir toute sa famille autour de soi. » Pour montrer à quel point les différences sont fondées sur nos propres perceptions culturelles, cette chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) cite une étude (2) menée au­près de 554 infirmières de même âge et de même spécialité, mais exerçant au Japon, en Corée, aux États-Unis, à Taïwan ou encore à Porto Rico : « Face à des patients présentant les mêmes symptômes, les évaluations faites par les infirmières étaient extrêmement différentes, certaines y voyant une très grande souffrance, d’autres pas », résume Anne Vega.

« La première difficulté pour nous, soignants, est de reconnaître que nous avons des préjugés. En y réfléchissant, il nous est forcément arrivé de traiter quelqu’un différemment car il nous dérangeait », estime Isabelle Mezureux, étudiante à l’IFCS de Nancy-Laxou et co-organisatrice de la journée.

Pour Cyrielle Georges, infirmière à Metz, « il faut arrêter de vouloir toujours être la “super infirmière”. Parfois, face à certains patients au­près de qui nous ne sommes pas à l’aise (par exemple, pour moi, un prisonnier), il faut oser faire appel à la cellule psychologique de son établissement ou aller chercher des ressources extérieures à l’hôpital. » Cette jeune soignante, qui est également bénévole au sein de SOS Racisme Moselle, déplore que son association, qui intervient dans les écoles primaires et les collèges, ne soit pas sollicitée par les Ifsi ou par les établissements de soins. Si les professionnels de santé ont l’obligation légale et déontologique de ne pas laisser leurs préjugés interférer avec le soin, la différence peut agir comme un repoussoir tant chez les soignants que chez les soignés, comme l’a illustré le témoignage de ce kinésithérapeute au crâne rasé et au visage percé, évoquant les regards surpris, parfois inquiets, des patients…

1– Le 17 mars s’est tenu à Nancy le colloque « La différence, c’est pas pareil », avec pour thème l’impact de la différence et le rôle des émotions dans le soin.

2– Étude citée dans Des sciences sociales dans le champ de la santé et des soins infirmiers, sous la direction de Nicolas Vonarx, PUL, décembre 2010.