L'infirmière Magazine n° 281 du 15/06/2011

 

GÉRONTOLOGIE

ACTUALITÉ

DU CÔTÉ DES… COLLOQUES

La façon dont les personnes âgées s’alimentent influe directement sur leur état de santé général. Une réalité trop souvent négligée dans les établissements de soins.

Dès leur entrée à l’hôpital, les soignants devraient se préoccuper de la possible dénutrition des patients âgés, en observant leurs variations de poids, et ce tant que leur taux d’albumine est inférieur à 35 g/L », préconisait le Pr Bruno Lesourd, responsable de la gériatrie au CHU de Clermont-Ferrand, lors d’un colloque tenu en mars(1). « La nutrition devrait être davantage considérée comme un soin », estime celui qui est également président de l’Association de recherche et d’enseignement sur le vieillissement en Auvergne.

Phénomène majeur, encore mal dépisté par les soignants, la dénutrition des seniors obéit à de multiples facteurs. « En Ehpad, observe le gériatre, l’alimentation n’est pas assez équilibrée. Elle est répétitive, assez peu appétissante, peu goûteuse (manque d’assaisonnement). On jetterait d’ailleurs près de 40 % de l’alimentation servie. Le personnel consacre trop peu de temps à faire manger les personnes dépendantes. Il faut aussi noter dans les transmissions des informations du type “Madame X a peu mangé à midi”. Sinon, l’information disparaît à chaque changement d’équipe. » Autres dérives dénoncées par le Pr Lesourd : « Les médecins généralistes prescrivent parfois des régimes trop stricts. Quand on a 70-80 ans, être un peu enrobé constitue une réserve pour les mauvais jours… En institution, l’alimentation mixée (au détriment, par exemple, du haché) est parfois prescrite de manière abusive et permanente, dès que survient le moindre petit problème de déglutition. »

Accompagner le repas

« L’alimentation doit rester un plaisir, il convient de passer en texture modifiée le plus tard possible », préconise, pour sa part, Sandrine Amigon, directrice d’EC6 Grand Ouest, une société spécialisée en nutrition hospitalière et gériatrique. « Outre la qualité dans l’assiette – qui passe parfois par des plats régionaux, des repas à thème, etc. –, il faut veiller à l’accompagnement du repas : ambiance, lumière, possibilité de manger en famille, attention portée aux formes, aux couleurs… »

Les observateurs s’accordent en outre sur l’importance de permettre aux personnes en fin de vie ou atteintes de la maladie d’Alzheimer de prendre de petites collations entre les repas, en laissant par exemple dans les Cantou(2) des aliments à la libre disposition des gens qui déambulent. « La démence étant évolutive, il faut rester créatif : ce qui marche aujourd’hui ne fonctionnera peut-être pas demain, observe une diététicienne. Il faut aussi laisser les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer se servir de leurs mains pour s’alimenter, même si cela est difficile à faire accepter à leur famille. »

« En définitive, conclut le Pr Martine Laville, du CHU de Lyon, la nutrition des seniors est un phénomène complexe, qui dépend de multiples paramètres individuels. On a encore besoin que des industriels et des institutions décident de s’impliquer dans des études. Grâce aux 450 chercheurs qui travaillent au sein des centres de recherche en nutrition humaine, la France dispose déjà d’un capital de compétences à faire valoir au niveau européen. »

1- « La nutrition des séniors en institution et à domicile à la croisée des chemins : enjeux et réponses innovantes », organisé à Lyon le 18 mars dernier.

2- Un Cantou est une unité aménagée pour les personnes démentes, où la prise en charge est assurée par un personnel spécifique.

CONVIVIALITÉ

« Le plateau-repas, une aberration en gériatrie »

Certains professionnels sont indignés par l’utilisation du plateau-repas à l’hôpital. Les personnes démentes ou désorientées resteraient en effet « scotchées devant, sans savoir par où le prendre ». Et nombre de personnes âgées commenceraient par manger le dessert, sans, peut-être, consommer le reste… Un service dissocié, servi dans une salle à manger, dans une ambiance aussi conviviale que possible, contribuerait bien davantage, selon eux, au respect du grand âge.

C. B.