MÉDECINE PERSONNALISÉE
SUR LE TERRAIN
ENQUÊTE
La médecine personnalisée allie recherche, traitements ciblés et prise en charge globale du patient. Cette approche réunissant chercheurs, techniciens et soignants ouvre des perspectives thérapeutiques prometteuses.
Si la recherche en oncologie a considérablement progressé en vingt ans, un malade sur deux décède toujours du cancer dont il souffre. Historiquement, la prise en charge de la maladie a longtemps consisté à administrer, pour chaque type de cancer, des traitements médicaux standardisés « de masse ». On est aujourd’hui en passe de rompre avec cette approche thérapeutique misant sur une logique probabiliste qui a montré ses limites. Les « blockbusters », médicaments « milliardaires » délivrés systématiquement pour tel ou tel cancer, ne profitent, on le sait, qu’à un nombre limité de patients, tout en générant parfois des effets secondaires éprouvants.
La recherche de nouvelles thérapies a été guidée par une découverte fondamentale : la mise en évidence d’altérations moléculaires dans les cellules cancéreuses. Ces altérations expliquent la résistance de certains patients à des thérapies ciblées, malgré la présence de la cible dans leur tumeur. La mutation du gène KRAS (qui concerne 40 % des patients) permettant de prédire la non-réponse au cetuximab (Erbitux®) et au panitumumab (Vectibix®) dans le cancer colorectal en est un exemple. La découverte des altérations a permis des avancées significatives. Citons le cas des patients atteints de leucémie myéloïde chronique ou de leucémie aiguë lymphoblastique, dont les cellules tumorales sont porteuses d’une altération. Identifiée, elle peut être ciblée par l’imatinib (Glivec®). Ce traitement a complètement changé le pronostic de la leucémie myéloïde chronique : 88 % des patients (environ 700 nouveaux cas par an en France) sont désormais en vie six ans après le diagnostic, contre 20 % avant l’arrivée de cette molécule.
Car, en décrivant mieux la maladie, la recherche a pu identifier de nouvelles cibles thérapeutiques, puis développer de nouvelles thérapies. Les progrès en biologie moléculaire, en bio-informatique et en imagerie sont tout autant d’avancées prometteuses. Un grand nombre de nouveaux médicaments, actuellement en cours d’essais, seront proposés aux patients dans les prochaines années. « Certaines de ces molécules sont déjà en essai clinique de phase III et pourraient bénéficier d’une procédure d’enregistrement accélérée auprès des agences réglementaires américaines et européennes », estime l’Institut national du cancer (InCa)
Connue sous le nom de « pharmacogénomique », la médecine personnalisée est l’étude des interactions entre l’ensemble des gènes et un médicament une fois qu’il est présent dans l’organisme. Pour guider le choix du traitement, elle se fonde sur de nouveaux critères, qui ne sont plus seulement tissulaires ou cellulaires, mais moléculaires. La médecine personnalisée analyse les caractéristiques biologiques de chaque cancer et les composantes génétiques propres à chaque individu pour guider le choix du traitement, puisque, on le sait, chaque patient et « son » cancer constituent un couple unique. Concrètement, les patients bénéficient dans un premier temps d’une analyse moléculaire. Il s’agit de malades dont le traitement relève d’un médicament pour lequel il faut un marqueur tumoral. Les « biomarqueurs » sont des molécules biologiques présentes dans le sang, dans les liquides corporels et les tissus organiques, ou dans la tumeur elle-même. Ils témoignent d’un processus normal ou anormal, ou de la présence d’un trouble ou d’une maladie. Ainsi, ils servent à repérer une ou deux mutations de gènes dans la tumeur. À ce jour, des thérapies ciblées prescrites en fonction du résultat d’un biomarqueur sont disponibles pour des pathologies fréquentes comme le cancer du sein, le cancer colorectal ou encore le cancer du poumon.
Cette analyse tumorale se pratique depuis plusieurs années dans les 27 plates-formes identifiées par l’InCa. Parmi elles, l’IGR, qui a fait de la médecine personnalisée l’axe majeur de son projet d’établissement pour 2010-2013. Sa spécificité – unique en France – est d’y adjoindre une dimension supplémentaire, le « portrait moléculaire ». Autrement appelé « analyse pangénomique » ou « screening moléculaire », cet examen consiste à observer l’ensemble des anomalies dans la tumeur, et pas seulement une ou deux mutations. À partir de ce portrait, on propose au patient un traitement ciblant les anomalies : soit un traitement connu et adapté, soit la participation à des études de molécules nouvelles en essai thérapeutique de phase I (première administration du traitement chez l’homme). En outre, la médecine personnalisée ne propose pas seulement une prise de médicaments connus ou en évaluation, elle inclut également la chirurgie et la radiothérapie – pour laquelle on peut administrer les doses en fonction de l’analyse de la tumeur.
Pour rendre son projet efficient, l’IGR a construit une chaîne thérapeutique comprenant : un service d’innovation thérapeutique précoce (Sitep), créé en 2008 et agrandi progressivement pour accueillir les patients bénéficiant d’essais de phase I ; des plates–formes techniques capables de réaliser des biopsies des tumeurs ; un service d’imagerie performant (avec, notamment, les innovantes échographies de contraste). L’institut a ainsi attiré l’intérêt des laboratoires : 25 nouveaux médicaments sont actuellement en évaluation précoce à l’Institut, un espoir pour les patients en échec thérapeutique. Si l’IGR s’est particulièrement donné les moyens de développer la médecine personnalisée, il faut savoir qu’une dizaine de centres de phases précoces sont actuellement en cours de labellisation en France.
Devant la complexification des réponses thérapeutiques biomédicales et l’arrivée de nouveaux traitements de plus en plus souvent délivrés sous la forme de comprimés, notamment à domicile, le patient a plus que jamais besoin d’être accompagné. C’est le rôle de l’infirmière de recherche clinique, qui travaille dans les services où sont réalisés ces essais de phase précoce. Jacqueline Deneuve, IDE, a intégré l’unité d’infirmières en recherche clinique de l’IGR à l’issue de son diplôme universitaire d’assistant de recherche clinique à l’hôpital Saint-Antoine (Paris). Cette unité se compose de cinq infirmiers, chacun d’eux étant spécialisé dans une maladie. L’unité existe depuis un an et demi, et a été créée, justement, parce que l’on avait noté des problèmes de compliance de la part des patients. Jacqueline Deneuve est affectée au comité de sénologie (médecine du sein): « Mon rôle est de rencontrer le patient qui a décidé de participer à l’évaluation d’un nouveau médicament. J’assiste à l’entretien qu’il a avec le médecin, puis je reprends les informations avec lui, en entretien infirmier. »
Les infirmiers de recherche clinique sont donc les « référents soins » des patients, qui peuvent les contacter à la moindre interrogation. Un rôle éducatif précieux car le patient, lors de son passage en hôpital de jour, entre examens et consultations, n’a pas forcément le temps d’exprimer ses doutes, ses angoisses, ses questions : « Ce qui est difficile, c’est d’être seule, parfois, face au désarroi des patients, une expérience que l’on rencontre peu en équipe, où l’on peut toujours trouver un soutien dans le regard de ses collègues. Là, on est face à la personne en consultation et il faut trouver les mots pour l’accompagner alors qu’elle n’en peut plus de cet énième traitement, qui engendrera bientôt des effets secondaires sévères, comme une forte irruption d’acné sur tout le visage ou des diarrhées importantes… Nous accompagnons les personnes et pouvons, en outre, les orienter vers les soins de support lorsqu’on le juge nécessaire. »
« Considérer le patient comme une personne dotée de besoins et de caractéristiques individuels qui vont moduler sa maladie et sa prise en charge est l’idée de base de la médecine », rappelle le Dr Sarah Dauchy, psycho-oncologue. Chef du Département interdisciplinaire de soins de support aux patients en onco-hématologie (Disspo) de l’IGR, elle anime une équipe qui, en transversal, intervient auprès des patients sur des aspects autres que biomédicaux : suivi psychologique, difficultés nutritionnelles, adhésion aux traitements, aspects sociaux, douleurs chroniques… Une écoute et une adaptation aux besoins bien antérieures à la médecine personnalisée. La nouveauté, en revanche, réside dans le renforcement de la prise en compte de la particularité de la personne dans son traitement : « Cette approche innovante permet de restaurer la visibilité d’un patient considéré comme un individu, dans une discipline qui soignait beaucoup par groupes. Un des intérêts de la personnalisation de la tumeur, c’est que les soignants envisagent davantage le patient comme une personne, avec des besoins d’information propres, des attentes de soutien différentes… »
Les soins de support s’inscrivent naturellement dans cette personnalisation du soin et suivent eux aussi un mouvement de diversification : à des prises en charge classiques comme celle de la douleur, des consultations sociales ou psychologiques s’ajoutent des propositions moins attendues comme du karaté, un atelier d’écriture, de la sophrologie, de la relaxation ou encore des cours de piano… Selon Sarah Dauchy, pour que la médecine personnalisée en soins de support devienne une réalité, il faut faire montre d’autant de rigueur qu’en recherche clinique, ce qui n’est pas encore suffisamment un réflexe en France : « Ces soins financés (plus ou moins) par l’assurance maladie sont à utiliser de manière rationnelle. Ils demandent à être évalués, afin de hiérarchiser les besoins des patients. Il faut que nous puissions argumenter, par exemple, sur ce que l’écriture apporte à un patient pour affronter son cancer. Autre illustration, le développement de moments musicaux que des artistes viennent régulièrement partager avec les patients… Cette proposition n’a de sens que si l’on est capable de l’évaluer, de manière à savoir un peu mieux si l’on est dans la distraction ou dans le soin. Les soins de support ne sont ni un “plus”, auquel n’auraient accès que les plus débrouillards ou les plus demandeurs, ni un vaste supermarché de l’occupationnel. »
1– Programme InCa pour la détection prospective des biomarqueurs émergents dans le cancer du poumon, le cancer colorectal et le mélanome, juin 2010, p. 13 (http://bit.ly/inca-bmq).
« Notre équipe se compose de cinq infirmières et d’une aide-soignante », explique Marie-Pierre Botella, cadre de soins à l’IGR dans l’équipe mobile douleurs et soins palliatifs, au sein du Département interdisciplinaire de soins de support aux patients en onco-hématologie (Disspo). Leur travail clinique quotidien repose sur une évaluation des besoins, à la fois en termes de prise en charge de la douleur chronique, de la douleur aiguë, mais aussi compte tenu de l’ensemble des symptômes qui peuvent survenir en phase palliative. L’équipe évalue également l’ensemble des besoins en soins de support pour proposer une prise en charge adaptée au patient et à ses proches. « La médecine personnalisée n’est pas “révolutionnaire” pour les équipes de soins de support ou les unités douleur et soins palliatifs, estime la cadre, puisque nous avons toujours travaillé en pluridisciplinarité et dans une philosophie de soins basée sur l’écoute des besoins du patient. Ce qui, selon moi, va changer, c’est le fait de parler un langage commun entre équipes qui devrait nous permettre de mieux nous comprendre. Il me semble aussi que l’on sera davantage capables d’entendre la parole de chacun autour du patient, quelle que soit la fonction du professionnel.
La tendance, qui est déjà à la collaboration, devrait se renforcer… »
JACQUELINE DENEUVE IDE DE RECHERCHE CLINIQUE
« J’aime devoir sans cesse actualiser mes connaissances sur le plan de la recherche, observe Jacqueline Deneuve, infirmière de recherche clinique en sénologie à l’IGR. J’ai suivi de nombreux cours d’oncogénèse lors de mon DU et je suis formée en interne au quotidien. Il nous faut bien connaître les protocoles, ainsi que les effets secondaires liés à ces nouveaux traitements pour en informer le patient qui va prendre ses médicaments chez lui. Notre métier est nouveau et appelé à largement se développer. Notre chance est d’être en relation directe avec les laboratoires et de se voir invités lors de meetings à l’étranger autour de la présentation des nouveaux protocoles, une occasion plutôt rare dans la profession… Une de mes collègues participera prochainement à une rencontre internationale de trois jours pendant laquelle elle rédigera une fiche d’évaluation sur un nouveau traitement avec d’autres infirmières. Ces possibilités contribuent à valoriser notre métier. »