L'infirmière Magazine n° 281 du 15/06/2011

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme R., 63 ans, est adressée aux urgences par un centre de convalescence pour une fièvre d’apparition brutale, une toux, des douleurs abdominales et des diarrhées. À l’admission, la patiente présente des ulcérations buccales, une leucopénie (1,6 G/l), une thrombopénie (90 G/l) ainsi qu’une augmentation des enzymes hépatiques (deux fois la valeur normale).

Cette patiente a des antécédents de polyarthrite rhumatoïde, d’hypertension artérielle et des vertiges de Ménières à l’origine de plusieurs épisodes de chutes ayant entraîné une hospitalisation récente.

Le traitement à l’entrée comprend : acétylleucine (Tanganil), bétahistine (Serc 8 mg), hydrochlorothiazide (Esidrex 25 mg), ramipril (Triatec 10), méthotrexate (Novatrex 2,5 mg) et prednisone (Cortancyl 5 mg). La patiente prend aussi un traitement antalgique à la demande à base de paracétamol et de tramadol.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

La patiente devait prendre 15 mg de méthotrexate par semaine (soit 6 comprimes à 2,5 mg). Quatre semaines auparavant, elle a été hospitalisée dans un service de chirurgie suite à une chute. Lors de son transfert vers le centre de convalescence, une imprécision au niveau de la prescription concernant la fréquence d’administration du Novatrex a conduit à lui administrer ­quotidiennement alors que la prise devait être hebdomadaire.

Elle a, de ce fait, reçu 15 mg/jour de méthotrexate pendant trois semaines. Il s’agit donc d’un surdosage en méthotrexate lié à une prise journalière de la dose hebdomadaire.

L’évolution sera favorable après administration de folinate de ­calcium (antidote du méthotrexate), une hyperhydratation alcaline et une triple antibiothérapie. La patiente sortira de l’hôpital 26 jours après son admission suite à cette erreur médicamenteuse.

2. RAPPELS

Classe thérapeutique et indications

Le méthotrexate est un médicament qui appartient à la classe des cytotoxiques (ou anticancéreux). Sa structure est proche de celle de l’acide folique : il bloque la synthèse des bases puriques et pyrimi­diques en agissant comme faux substrat.

Le méthotrexate est indiqué pour le traitement de nombreux types de cancers, notamment les lymphomes malins non hodgkiniens, les leucémies aiguës lymphoblastiques, ou les ostéosarcomes.

Le méthotrexate est aussi largement utilisé à faible dose dans des pathologies inflammatoires chroniques, notamment rhumatologiques (polyarthrite rhumatoïde active) et dermatologiques (psoriasis de l’adulte).

Le méthotrexate existe sous forme de :

– comprimé dosé à 2,5 mg (Novatrex, Méthotrexate) ;

– comprimé dosé à 10 mg (Imeth) ;

– solution injectable avec une variété très importante de dosages allant de 2,5 mg jusqu’à 5 g (Ledertrexate, Metoject, Méthotrexate).

Posologie

Les posologies varient en fonction de l’indication.

En cancérologie, le méthotrexate peut être employé :

– à des posologies conventionnelles comprises entre 15 et 50 mg/m2 avec des intervalles entre les cures pouvant varier de une semaine à un mois ;

– à hautes doses (de 1 à 12 g/m2) toutes les trois à quatre semaines pour certains cancers (lymphomes malins non hodgkiniens, ostéosarcomes). L’administration du méthotrexate à haute dose se fait toujours avec administration séquentielle d’acide folinique et sous couvert d’hyperdiurèse alcaline dans des ser­vices spécialisés.

Dans les autres indications, il est utilisé à faibles doses, en traitement de fond de la polyarthrite rhumatoïde ou pour le psoriasis, avec une posologie comprise entre 5 et 25 mg par semaine en une prise unique, ou en trois prises réparties à 12 heures d’intervalle, une seule fois par semaine. Le traitement peut être accompagné d’une dose d’acide folique à prendre le lendemain de la prise du méthotrexate pour améliorer sa tolérance.

Effets indésirables

Les principales toxicités sont hématologiques, digestives, hépatiques, rénales et pulmonaires. Ces effets indésirables peuvent se produire même à faible dose. La plupart des effets indésirables graves observés pour le méthotrexate sont liés à la toxicité hématologique et pulmonaire.

→ Toxicité hématologique : neutropénie, leuco­pénie, anémie, pancytopénie. L’apparition peut être brutale, et survenir à n’importe quel moment du traitement, même avec des doses faibles.

→ Troubles digestifs : nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales, mucites, aphtes buccaux.

→ Toxicité hépatique : élévation des transaminases, hépatite aiguë, fibrose chronique et cirrhose.

→ Toxicité rénale : insuffisance rénale, élévation du taux sanguin de créatinine.

→ Toxicité pulmonaire : pneumopathies interstitielles pouvant mettre en jeu le pronostic vital.

Contre-indications

En cas d’insuffisance rénale et hépatique sévère, d’infection au VIH, le méthotrexate est contre-indiqué. Ce médicament est tératogène et mutagène : en cas de grossesse et d’allaitement, son emploi est formellement contre-indiqué. Une contraception fiable sera mise en place, poursuivie 3 mois après l’arrêt du traitement chez les femmes, 5 mois chez les hommes.

Surveillance

Il faut surveiller l’apparition des troubles évocateurs d’un surdosage : ulcérations buccales, fièvre. Une surveillance biologique régulière est nécessaire :

– NFS, plaquettes : bilan hebdomadaire pendant les trois premiers mois, puis surveillance mensuelle ;

– urée, créatininémie, clairance de la créatinine, albumine, transaminases, bilirubine : bilan mensuel.

Interactions médicamenteuses

Certains traitements sont contre-indiqués :

– vaccins vivants (rougeole-oreillons-rubéole–ROR), varicelle, BCG, fièvre jaune, polio par voie buccale) ;

– triméthoprime (associé au sulfaméthoxazole dans Bactrim) : augmentation de la toxicité hématologique du méthotrexate (diminution de son excrétion rénale) ;

– acide acétylsalicylique utilisé à doses antalgiques, antipyrétiques ou anti-inflammatoires : lorsque le méthotrexate est utilisé à des doses supérieures à 15 mg par semaine, il y a augmentation de la toxicité, notamment hématologique, du méthotrexate (diminution de la clairance rénale du méthotrexate par les anti-inflammatoires).

D’autres médicaments sont déconseillés ou néces­sitent des précautions d’emploi : acide acétylsalicylique à dose anti-agrégante plaquettaire, AINS, ciclosporine, ciprofloxacine, pénicillines, inhibiteurs de la pompe à protons, médicaments ayant une toxicité rénale propre (produits de contrastes iodés, aminosides, sels de platine, aciclovir, ou tacrolimus).

Administration intrathécale

Lors d’une ponction lombaire, on peut injecter du méthotrexate pour prévenir ou éradiquer les cellules blastiques méningées chez les patients atteints de leucémie. Dans cette situation, il est recommandé de n’utiliser que les flacons dosés à 5 mg (2 ml) pour limiter le risque majeur de toxicité neurologique en cas d’erreur. Cette injection ne doit pas être réalisée si le patient a pris du Bactrim depuis moins de 48heures, et si le dosage de métrotrexatémie est supérieur à 0,2 µmol/l.

Conservation

Le méthotrexate doit être conservé à température ambiante, et à l’abri de la lumière. Lorsqu’il est dilué, il doit être utilisé dans les 24 heures. Il est recommandé d’utiliser des poches de perfusion et des tubulures opaques.

3. EN PRATIQUE

Le méthotrexate est un médicament à risque qui nécessite une vigilanceaccrue au moment de son administration. La fréquence et la gravité des effets indésirables, notamment hématologiques et pulmonaires, peuvent s’avérer mortelles.

Les causes des erreurs médicamenteuses conduisant à un surdosage en méthotrexate sont connues depuis plus de trente ans, et il est impératif de mettre en œuvre des mesures pour prévenir ces accidents.

La surveillance hématologique, hépatique et rénale est impérative. Le dépistage des signes évocateurs de surdosage (mucites, fièvre, toux, dyspnée) l’est aussi.

La prise quotidienne à la place d’une prise hebdomadaire de ce médicament est le principal risque d’erreur au moment de la préparation et/ou de l’administration.

Attention aussi aux risques de confusion au niveau des noms de médicaments.

Le méthotrexate est un médicament tératogène et mutagène : contre-indication formelle pendant la grossesse et l’allaitement. La contraception est obligatoire, elle doit être poursuivie 3 mois après l’arrêt du traitement chez les femmes et 5 mois chez les hommes.

VIGILANCE

En prise hebdomadaire, quels sont les risques d’erreur ?

Des accidents de surdosage dans le cadre des indications hors oncologie sont régulièrement signalés dans de nombreux pays. Ces intoxications sont à l’origine d’effets indésirables souvent graves (pancytopénie, pneumopathie interstitielle), avec une mortalité loin d’être négligeable ; une équipe américaine a analysé 156 cas d’effets indésirables : 106 cas étaient dus à des erreurs et 25 ont abouti au décès du patient. L’une des causes est liée au fait que la prise hebdomadaire des médicaments n’est pas habituelle pour les patients et les professionnels de santé.

Le risque de confusion dans le nom des médicaments est un autre risque d’erreur bien identifié, en particulier le risque de confondre « Methotrexate » et « Météoxane » (contre les météorismes et la diarrhée) ou « Méthylprednisolone » et de confondre « Novatrex » et « Nolvadex » (cancer du sein).