INTERVIEW : ISABELLE DEBIASI, Assistante sociale au siège de l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques
DOSSIER
Travaillant à ce poste depuis deux ans, Isabelle Debiasi a l’expérience d’un travail auprès d’un public très précarisé. À l’Unafam, elle est seule pour l’ensemble du territoire national.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : En quoi consiste votre travail ?
ISABELLE DEBIASI : Lorsque j’étais assistante sociale à l’hôpital, je travaillais avec des patients, en direct. À l’Unafam, je suis au service de leur entourage. Lorsque les patients, en proie à leurs troubles psychiques, sont dans l’impossibilité de voir l’utilité urgente des démarches, c’est une lente descente dans une précarité sociale et financière. L’Unafam est un lieu d’écoute pour l’entourage, qui, dans ces moments de crise, tente de contenir ces risques de dégradation. Leur légitimité est parfois mise en doute par les professionnels soignants et médico-sociaux. Car « l’usager » est, par défaut, réputé n’avoir aucune demande, s’il ne la formule pas lui-même. Pourtant, le besoin d’assistance peut bel et bien exister, surtout si le patient est très silencieux ou extrêmement défensif.
En lien avec les délégations de l’Unafam, je transmets de l’information aux familles au bénéfice de la personne en difficulté. Cela requiert un repérage précis de la situation. Le proche me transmet, lors des permanences téléphoniques ou en entretien, les éléments qui me permettent d’établir une évaluation sociale précise, d’éclairer une option, par exemple, une reconnaissance de travailleur handicapé auprès de la Cotorep, toujours dans l’intérêt du patient. Je demande toujours son prénom (parfois, il n’est pas loin du téléphone lorsque son parent me contacte). Les orientations proposées ont d’autant plus de sens quand elles font l’objet d’un échange entre le patient ? et son équipe médico-sociale référente.
L’I.M. : Dans quel état d’esprit sont les parents qui vous contactent ?
I. D. : Ils ont découvert que les courriers ne sont plus ouverts depuis des mois, les factures plus réglées, un surendettement, les justificatifs n’ont pas été renvoyés aux administrations, déclenchant la radiation d’un droit, des procédures d’expulsion en cours… Ils apprennent qu’il ne va plus au travail, sans avoir justifié son absence, une procédure de licenciement est en cours, la problématique pathologique étant souvent ignorée de l’employeur. C’est encore une demande de recherche de structure parce qu’il va sortir de l’hôpital sans autre solution que le retour au domicile familial. Le lieu familial peut être contre-indiqué parce qu’il réactive les manifestations des troubles, et il faut favoriser l’autonomie, via un logement indépendant quand c’est possible. Il y a également des aberrations dans la gestion administrative, fiscale de certains dossiers, qu’il faut remettre au clair. L’énoncé des faits dont j’ai besoin pour donner un avis technique aide – peut-être – à replacer l’entourage dans une distance propice au répit, même bref. Le proche s’efforce toujours de me décrire des faits précis, presque cliniques, à dessein oublieux de son propre désarroi. Ces dysfonctionnements, ces questionnements nécessitent mon intervention. Les familles ont, dans une très grande majorité, tenté d’alerter les services médico-sociaux avant de me contacter.
L’I.M.: Quels sont les problèmes le plus fréquemment rencontrés ?
I. D. : Les ressources, les dispositifs qui pourront garantir qu’après leur disparition, leur proche ne perdra pas tout moyen d’existence (protection juridique, droit patrimonial…). Ce sont aussi les rétablissements d’un droit, les recours amiables, contentieux… Puis, le logement. Pour plus de 50 % des appelants, leur proche vit sous leur toit ou l’a fait longtemps. Je détaille les projets thérapeutiques et les procédures d’admission dans les différentes structures. L’une des priorités est de retisser le lien, entre les familles et les professionnels, parfois conflictuel et chargé d’émotion ou de crainte. Il faut essayer de faire vivre le réseau des professionnels, ne jamais s’y substituer.
L’I.M. : Qu’est-ce qui vous motive ?
I.D. : Les troubles psychiques distordent les représentations. Les malades vivent dans un monde éloigné de ce qui nous semble être la norme sociale, ce n’est pas leur choix. Leurs capacités intellectuelles ne disparaissent pas, les troubles psychiques les escamotent. Pourquoi ne pas faire en sorte qu’ils soient toujours considérés comme des êtres ayant droit à une protection sociale et de leur personne, dans le respect de leurs intérêts, même si leur pathologie les empêche d’appeler à l’aide ?