L'infirmière Magazine n° 282 du 01/07/2011

 

ANIMATION EN GÉRIATRIE

ACTUALITÉ

DU CÔTÉ DES… COLLOQUES

Cette notion, que les structures pour personnes âgées s’efforcent de mettre en pratique chez leurs résidents, n’est pas un concept neutre. Décryptage.

L’animation est un gros problème. Il faut les occuper. » Ainsi s’exprimait Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République, dans une interview au Figaro, le 2 février 1975. Avec ces mots maladroits, le chef de l’État se référait aux personnes âgées qu’il venait de rencontrer dans le cadre d’une visite à l’hôpital Charles-Foix d’Ivry-sur-Seine (AP-HP), à l’époque hospice des incurables.

Pourtant, loin d’être une succession d’occupations, l’animation en établissement gériatrique doit se concevoir comme un espace d’épanouissement. Fort d’une expérience de vingt-cinq ans dans le domaine de l’animation en établissement gériatrique, Bernard Hervy, linguiste de formation et cadre socio-éducatif au sein du groupe hospitalier Broca-Cochin-Hôtel-Dieu de Paris (AP-HP), est revenu sur les conditions d’émergence du terme « créativité » lors d’une table ronde consacrée à « la créativité en gériatrie », fin mars(1) : « Il est apparu en 1971 dans la langue française après un débat très long à l’Académie française. L’approche anglophone défendait le terme de créativité. Mais, en anglais, “creativity” est plus proche de “productivity”, donc de l’idée de production d’une création. De son côté, André Chamson(2), conservateur de musée et écrivain français, était contre. À son avis, c’était une notion creuse, et il défendait les termes d’inventivité, d’expression. L’ambiguïté sémantique de “créativité”, terme finalement choisi, a obligé les acteurs de l’animation à définir les processus qui vont amener les personnes âgées à produire de la créativité. » D’où un risque de mise en échec, alors même que le temps de la vieillesse rompt avec l’obligation de produire, qui a jalonné toute la vie active.

Phobie du hors-cadre

D’après toutes les enquêtes, les demandes de pratiques artistiques de la part de personnes âgées ne sont d’ailleurs que de l’ordre de 10 %. Mais, pour Jérôme Pellissier, chercheur en psycho-gérontologie, la création peut surgir de diverses manières, comme « d’une relation qu’on tisse avec quelqu’un, et pas forcément d’ateliers de peinture »! « Est-ce qu’on autorise vraiment les personnes dont on prend soin à être créatives ? », s’est-il interrogé lors de la même table ronde. Et de rapporter une anecdote tirée d’un établissement où une soignante faisait office d’animatrice : « Lors d’un atelier sur la musique de Carmina Burana, les personnes devaient taper dans les mains. Au bout d’un moment, un vieux monsieur s’est levé, s’est mis à danser et à chanter une mélodie qui n’avait rien à voir. La soignante lui a immédiatement dit “Chut, chut, asseyez-vous !”. La créativité, c’est pourtant accepter qu’on ne sache pas dans quelle direction les gens vont partir. Les soignants sont souvent bloqués par la phobie que les choses sortent du cadre. »

Plaisir et inutilité

Jean Bojko, qui est cofondateur du TéATR’éPROUVèTe(3), laboratoire artistique ayant, notamment, travaillé avec des personnes âgées, est, lui, un contre-exemple. S’il a commencé son intervention par la lecture du poème de Guillaume Apollinaire La chanson du mal-aimé, plutôt incongru en regard du thème, c’est justement pour « sortir du cadre ! », s’est-il exclamé sous les applaudissements. « La créativité repose sur les deux questions du plaisir et de l’inutilité », a-t-il assuré, s’appuyant sur la conception d’Alfred Jarry(4) : « S’il faut parler de l’utilité du théâtre et de la poésie, ça devrait servir à réapprendre aux gens qu’il y a des activités qui ne servent à rien et que c’est indispensable qu’il y en ait. » Assurément, le film Batterie de cuisine, que Jean Bojko a monté avec des personnes âgées rejouant un rock de Bob Dylan avec des ustensiles de cuisine, en est une parfaite illustration !

1– Dans le cadre du Congrès national infirmier des soins à la personne âgée, qui s’est tenu, du 20 au 22 mars, au Palais des congrès de Paris. Tous les propos rapportés dans cet article y ont été tenus.

2– Né en 1900 dans une famille cévenole, André Chamson fut conservateur des musées nationaux, combattant de l’armée de libération en 1944, conservateur du Petit Palais en 1946, élu à l’Académie française en 1956 et directeur général des Archives de France.

3– Theatreprouvette.fr

4– Alfred Jarry (1873-1907) était un poète, romancier et dramaturge français.