LA THROMBOSE VEINEUSE PROFONDE - L'Infirmière Magazine n° 282 du 01/07/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 282 du 01/07/2011

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

La thrombose veineuse profonde (TVP), ou phlébite, correspond à l’oblitération d’une veine profonde par un caillot sanguin (thrombus). C’est l’une des manifestations de la maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV), l’autre entité étant représentée par la complication immédiate de la TVP, l’embolie pulmonaire. Les données épidémiologiques restent imprécises car le diagnostic est difficile, et de nombreux épisodes de TVP passent inaperçus. En France, l’incidence annuelle de la MTEV est estimée entre 50 000 et 100 000 nouveaux cas, responsables de 5 000 à 10 000 décès.

La prise en charge de la TVP intervient dans un contexte à la fois curatif et préventif, avec la mise en place d’un traitement anticoagulant associé à des mesures physiques et alimentaires (contention, régime) que les patients doivent suivre, guidés et conseillés par les équipes soignantes.

1. PHYSIOPATHOLOGIE

La triade de Virchow

Trois éléments induisent la formation d’une TVP (triade de Virchow). La stase veineuse tout d’abord, elle-même favorisée par l’alitement ou l’immobili­sation prolongés, les compressions extrinsèques liées à la présence d’adénopathies ou d’un cancer thoraco-abdominal ou pelvien. Les lésions de l’endothélium veineux ensuite, sous l’effet de facteurs mécaniques (chirurgie, cathéter veineux central), biologiques ou infectieux (chimiothérapie, inflammation). L’acti­vation des facteurs de la coagulation, enfin, favorisée par les traumatismes, l’accouchement, la chirurgie, les déficits acquis ou congénitaux de certains facteurs de la coagulation.

Le thrombus

Il se forme dans les veines profondes qui aboutissent soit à la veine cave inférieure, soit à la veine cave supérieure. La plupart des thromboses naissent dans les membres inférieurs et le pelvis. La formation du thrombus débute à l’intérieur de la lumière vasculaire dans un « nid » valvulaire, entre la valvule et la paroi de la veine. A ce stade, il est asymptomatique. Lorsque les capacités de lyse physiologique du patient sont dépassées, le caillot s’étend en amont et en aval : il n’adhère pas à la paroi, d’où le risque de migration et d’embolie pulmonaire. En une semaine environ, il devient adhérent à la paroi, obstruant plus ou moins complètement la lumière vasculaire.

2. Diagnostic

Diagnostic de TVP

Il est souvent difficile, et il faut confronter les éléments cliniques à la présence éventuelle de situations à risque de risque de thrombose pour parvenir à établir un diagnostic de présomption.

La douleur est très variable,

allant de la simple pesanteur à la douleur aiguë. Classiquement, elle est associée à un œdème dur et localisé, responsable d’une augmentation du diamètre du mollet. La dorsiflexion du pied réveille ou accentue la douleur (signe de Homans). L’examen clinique peut retrouver également une augmentation de la chaleur cutanée, une dilatation du réseau veineux superficiel, et, parfois, un cordon veineux dur et douloureux. Tous ces signes sont inconstants. Sur le plan général, on retrouve souvent une hyperthermie modérée (38 °C).

La majorité des TVP siègent au membre inférieur

L’examen comparatif des deux côtés est alors très contributif (asymétrie des signes). En cas de TVP du membre supérieur, la douleur siège au bras ou à l’avant-bras. Il existe aussi des thromboses pelviennes. La « phlébite bleue » associe TVP et ischémie aiguë du membre inférieur. C’est une urgence thérapeutique exceptionnelle.

Les examens complémentaires

Ils sont nécessaires à la confirmation du diagnostic. L’enjeu étant d’éliminer une éventuelle embolie pulmonaire associée, différents algorithmes déci­sionnels combinant divers examens (D-dimères, échographie veineuse, scintigraphie pulmonaire, angioscanner spi­ralé des artères pulmonaires, échographie cardiaque) ont été proposés.

Le dosage des D-dimères plasmatiques

(produits de dégradation de la fibrine) par test ELISA est un examen très sensible, et un résultat négatif plaide fortement en faveur de l’absence de TVP et d’embolie pulmonaire. Leur élévation, en revanche, n’est pas spécifique, car de nombreux facteurs interviennent : âge, infection, syndrome inflammatoire, cancer, grossesse… En pratique, si l’examen clinique oriente vers une TVP, on réalise un dosage de D-dimères. S’ils sont supérieurs à 500 µg/l (seuil de positivité habituellement utilisé), l’échographie veineuse est indiquée pour confirmer le diagnostic. Des D-dimères normaux excluent la TVP, sauf en cas de très forte suspicion clinique. Dans ce cas, l’échodoppler est indiqué d’emblée sans même réaliser le dosage des D-dimères.

L’échodoppler veineux

permet l’étude morphologique de la veine. En cas de TVP, la veine est incompressible. On peut décrire la structure du caillot, son ancienneté, son caractère adhérent ou non à la paroi veineuse, ainsi que son extension et le degré d’obstruction de la veine.

La phlébographie

n’est plus utilisée en première intention dans le diagnostic de TVP.

La recherche de facteurs biologiques de risque

de METV (antithrombine, protéine C, protéine S) n’est pas systématique. Elle est justifiée en cas de premier épisode de TVP proximale ou d’embolie pulmonaire survenant avant 50 ans, uniquement lorsque la METV survient en dehors de circonstances déclenchantes majeures.

D’autres examens complémentaires

peuvent être utiles au diagnostic étiologique. Leur prescription dépend du contexte (cancer, pathologie aiguë…).

En l’absence de signe d’orientation, il convient de réaliser au minimum, outre un examen clinique complet, une radiographie du thorax, une imagerie abdominale (échographie ou scanner) et un bilan biologique « usuel » avec électrophorèse des protéines plasmatiques.

3. ÉTIOLOGIES ET FACTEURS DE RISQUE

De nombreux facteurs de risque de TVP ont été identifiés. L’âge est le premier d’entre eux. Dans 40 % des cas, il s’agit de facteurs de risque transitoires, permanents dans 20 %, et dans 30 à 40 % des cas, aucun facteur de risque n’est retrouvé : la thrombose est dite « idiopathique ».

Les facteurs de risque majeurs

– La chirurgie, notamment la chirurgie orthopédique de la hanche et du genou, la chirurgie carcinologique et la chirurgie pelvienne.

– Le cancer évolutif (pancréas, lymphome, système nerveux central, poumon, estomac, ovaire) ; le traitement chimiothérapique constitue en soi un facteur de risque.

– Les fractures (membre inférieur surtout).

– Les antécédents thrombo-emboliques personnels.

– Le syndrome des anti-phospholipides (SAPL).

– L’insuffisance cardiaque aiguë.

– L’insuffisance respiratoire aiguë.

– L’accident vasculaire cérébral avec déficit neurologique.

– Les anomalies de la coagulation (déficit en antithrombine, en protéine C, en protéine S, mutation du facteur V de Leiden, mutation du facteur II, élévation plasmatique du facteur VIII).

Les facteurs de risque modérés

– L’insuffisance cardiaque ou l’insuffisance respiratoire chronique.

– La thrombose veineuse superficielle.

– Les antécédents thromboemboliques familiaux.

– La contraception estroprogestative et le traitement hormonal substitutif de la ménopause.

– Les grossesses et post-partum.

– L’obésité.

– Le cathéter veineux central.

– Les voyages prolongés (vol long courrier, long trajet en automobile, en train, en car…).

Autres facteurs de risque importants

– L’alitement et l’immobilisation, qui sont plus des marqueurs de gravité de l’affection aiguë thrombogène que des facteurs de risque de TVP en eux-mêmes.

– La sepsis grave.

– Le syndrome inflammatoire.

– La déshydratation.

L’Afssaps précise que lors de certaines affections médicales aiguës, le risque de TVP justifie la mise en place d’une prophylaxie anticoagulante. Le score de Wells (voir tableau p. 30), qui associe éléments cliniques et présence de facteurs de risque, est un outil utilisé par les médecins pour calculer la probabilité de TVP.

4. ÉVOLUTION ET COMPLICATIONS

Sous traitement anticoagulant, le caillot se résorbe plus ou moins complètement. Il peut persister une occlusion partielle de la veine.

L’embolie pulmonaire

C’est la principale complication de la TVP. 30 % des TVP s’accompagnent d’une embolie pulmonaire asymptomatique. Inversement on retrouve une TVP asymptomatique dans la majorité des embolies pulmonaires. Le diagnostic est malaisé, les signes cliniques (douleur thoracique, expectorations sanglantes, toux, fièvre, dyspnée) étant variables et inconstants. Le diagnostic est confirmé par un angioscanner thoracique. Le pronostic dépend de la gravité de l’embolie pulmonaire (risque de défaillance cardiaque).

Les récidives

Elles sont plus fréquentes lorsque les facteurs de risque ne sont pas réversibles (thrombophilie, cancer) ou en cas de thrombose idiopathique. La qualité et la durée du traitement anticoagulant interviennent également dans le risque de récidive.

Le syndrome post-thrombotique

Il peut survenir dans les deux ans après la TVP. Il se manifeste par un œdème local dur, permanent et douloureux, la présence de varices de suppléance, et des troubles trophiques (dermite ocre, hypodermite, ulcère).

GLOSSAIRE

→ Erysipèle : infection cutanée aiguë d’origine streptococcique : inflammation des téguments associée à des signes généraux.

→ Lymphangite : inflammation des vaisseaux lymphatiques.

→ Lymphoedème : oedème d’une partie d’un membre ou d’un membre entier lié à l’obstruction des voies lymphatiques.

→ Sciatique tronquée : sciatique au cours de laquelle la douleur s’arrête, par exemple, au niveau de la fesse ou de la cuisse (trajet tronqué).

→ Syndrome des antiphospho-lipides : dû à des anticorps dirigés contre plusieurs types de protéines associées à des phospholipides. Chez les patients porteurs de ce type d’anticorps, la coagulation est perturbée.

→ Thrombophilie : hypercoagulabilité, soit d’origine génétique (déficit en antithrombine, en protéine C, ou S), soit acquise et liée à un état d’auto-immunité (syndrome des antiphospholipides)