UN « HÔPITAL DU FUTUR »
DOSSIER
Le « Bocage central », gigantesque projet d’hôpital du futur en Bourgogne, est sur les rails. Les soignants y découvrent un équipement high-tech, mais aussi de nouveaux tracas.
C’est un projet vieux d’une quinzaine d’années qui est en passe de se réaliser. À l’horizon 2013, les derniers services hospitaliers hébergés à l’Hôpital général, version dijonnaise de l’Hôtel-Dieu, devraient quitter ce bâtiment du XVIe siècle pour élire domicile dans le bâtiment high-tech du Bocage central, ovni de verre, de zinc et de béton blanc s’étendant élégamment entre deux bâtiments gris d’après-guerre. « Il est plus simple de construire que de rénover, note Martine Maigrot, directrice chargée de mission « Bocage central » au CHU. Au bout d’un moment, on arrive au terme de ce qu’il est possible de faire en termes d’adaptation. » La partie non classée de l’édifice historique sera vendue, et le produit de l’opération aidera à financer le projet de construction. Le sort de la somptueuse chapelle n’a pas encore été tranché.
Le nouveau bâtiment, au design et à l’équipement ultramodernes, intègre un autre établissement, le « Bocage 62 », et s’appuie sur l’hôpital mère-enfant, reliant les deux structures par une grande façade courbe surmontée d’une aile métallique. De fait, il se retrouve au cœur d’un vaste espace dédié aux soins, d’où son nom de « Bocage central ». Un total de 72 000 mètres carrés de plateaux techniques et d’hébergement, avec 777 lits, environ 90 % de chambres individuelles, huit niveaux dont quatre correspondent chacun à un pôle médical, une galerie logistique creusée à 300 mètres sous terre pour approvisionner l’hôpital en sous-sol par un système de « tortues », mini-véhicules guidés automatiquement… L’un des architectes, Nicolas Félix-Faure, se félicite d’être parvenu à « donner une inscription paysagère au cœur du campus d’origine » en intégrant des accès pour les automobilistes, les piétons et les usagers du futur tramway, d’avoir réussi un éclairage naturel, y compris aux niveaux inférieurs, par un jeu de patios et de jardins, et d’avoir matérialisé l’intégration à la nature avec la façade réfléchissante donnant sur le parc.
Transparence, lumière, ouverture sur la ville, rue intérieure, respect de l’environnement urbain, avec du béton de résine blanc censé rappeler « la pierre de Bourgogne », le Bocage central s’inscrit dans la droite ligne des constructions hospitalières en vigueur depuis les années 1980 : donner l’image d’un soin accessible, dédramatisé et centré sur le patient. Coût de l’opération, hors équipements : 250 millions d’euros.
Michel Guerrin, cadre supérieur de santé affecté à la mission Bocage central, insiste sur les « liens de proximité » qui caractérisent les lieux. Les postes de soins, note-t-il, ont été centralisés afin d’éviter aux infirmières d’avoir à parcourir en permanence de longs couloirs. « Et les appels des malades ne sont plus systématiquement reliés à la salle de soins », indique-t-il. Des reports vers un téléphone DECT, sans fil et sans risque de perturbation des équipements médicaux, dans la poche du soignant, sont en effet « techniquement réalisables ». Il se félicite également du service d’admission par étage. Ce « guichet unique » pour la gestion administrative des malades et leur prise en charge médicale amène les agents administratifs et les secrétaires médicaux à travailler ensemble. « À terme, cela pourrait permettre d’assurer une continuité entre les deux fonctions sur une plage horaire », avance-t-il.
Pour la logistique, la technologie est à l’origine d’une véritable révolution : les « tortues » automatisées soulèvent des armoires de transport pour acheminer le matériel (repas, linge, déchets…) tandis que des valisettes montées sur des rails circulent entre les étages pour transporter les prélèvements sanguins jusqu’au plateau technique de biologie de l’Établissement français du sang (EFS). « Il est possible que des valises se coincent, mais aucune erreur d’acheminement n’est possible », assure Michel Guerrin. En cas d’urgence, l’EFS envoie des produits sanguins vers le plateau technique par un système de pneumatiques.
La gestion des stocks, elle aussi, est automatisée. Lorsqu’un soignant vide un tiroir, il décroche l’étiquette qui y est accrochée et la place dans un réceptacle près de la porte. Il suffira de scanner le code-barres qui s’y trouve pour que le matériel manquant soit acheminé, et le tiroir à nouveau rempli. « L’idée générale est de recentrer les soignants sur leur corps de métier, avance Michel Guerrin. L’automatisation de la logistique soulage les personnels des unités de soins, qui n’ont plus à s’occuper des bons de commande, du linge ou du transfert des patients. Ils peuvent se recentrer sur le soin. »
Une architecture idéale, béquille providentielle d’équipes soignantes surchargées ? Alexandra Genestier, cadre de santé au service de néphrologie, est plus réservée. « Ce déménagement a été l’occasion d’augmenter notre capacité d’accueil, mais sans augmentation de personnel. De plus, les patients ont quasiment tous des chambres individuelles, alors que le nombre d’agents de service hospitalier est constant. » L’objectif d’éviter aux infirmières de passer leur journée à arpenter d’interminables couloirs ne semble pas non plus atteint : « Ils sont longs, et la salle de soins est mal positionnée par rapport aux chambres, en secteur conventionnel comme en soins intensifs », remarque-t-elle. Serait-ce la conséquence d’une mauvaise communication entre soignants et architectes ? « Les infirmières ont été ponctuellement sollicitées, sur des zooms d’organisation, mais elles n’ont pas pu avoir de vue d’ensemble, admet Michel Guerrin. Les chefs de service ont été consultés et, en fonction de leur type de management, ils ont choisi de faire participer ou non les infirmières. Comme le projet a mis du temps à se matérialiser, il est resté assez virtuel dans la tête de certains, qui s’y sont peu investis. Ceux-là n’ont pratiquement pas retouché les plans des architectes et, en général, c’est dans leur service que les dysfonctionnements sont les plus nombreux. »
Les visites organisées sur le site à partir du mois d’octobre ont d’ailleurs été l’occasion de mauvaises surprises : la douche et les sanitaires sont absents en chambre de greffe, mais bien présents en salle de dialyse, où ils sont inutiles. En revanche, aucun lieu de stockage n’y a été prévu pour le matériel, note Alexandra Genestier. Des solutions sont trouvées par les soignants, qui se réapproprient des lieux pensés différemment par les architectes. La cadre déplore aussi le surcroît de travail administratif depuis le déménagement : « Il est demandé aux soignants d’être très vigilants sur le dossier de soins, les transmissions informatiques, la déclaration de matériovigilance, celle des événements indésirables, la procédure de réception de greffon, celle de traçabilité des médicaments dérivés du sang… Ils passent donc beaucoup de temps sur l’ordinateur, ou remplissent des documents papier. C’est autant de temps en moins consacré au patient ! »
Et les premières semaines de travail dans ce lieu ultramoderne n’ont pas tout à fait été une partie de plaisir : « Il y avait des odeurs de cuisine dès 10 heures du matin en salle de dialyse, se souvient Alexandra Genestier. La bouche d’aération, sur le toit, faisait face à celle des cuisines… » Quant à l’hélistation en terrasse, elle a d’abord été source de tracas : en raison du même problème d’aération, elle faisait régner dans les salles de soins une insistante odeur de kérosène à chaque passage de l’hélicoptère.