INTERVIEW : JEAN-CHARLES PASCAL, PSYCHIATRE À L’HÔPITAL ÉRASME D’ANTONY (92)
DOSSIER
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Y a-t-il une architecture spécifiquement pensée pour la psychiatrie ?
JEAN-CHARLES PASCAL : Au XIXe siècle, lorsque les malades mentaux commencent à être pris en charge de manière structurée, on pense que l’architecture peut soigner par elle-même. D’où de grands pavillons, la symétrie, la localisation à la campagne, une organisation des patients selon la gravité de la maladie. On considère alors que le milieu social est pathogène, et qu’en isolant les patients, ils iront mieux. Mais les asiles deviennent des lieux d’exclusion. Après la Seconde Guerre mondiale, on essaie donc d’humaniser l’hôpital psychiatrique. C’est l’époque de l’hôpital-village, qui recrée une société idéale dans des lieux de soins. Ce sont ces hôpitaux avec un théâtre, une poste… Mais on a vite vu que c’était un leurre. Dans les années 1960, l’accent est mis sur l’ambulatoire, les consultations, les hôpitaux de jour…, parfois au détriment de la réflexion sur l’hôpital lui-même.
L’I.M. : L’hôpital psychiatrique a-t-il donc un temps de retard par rapport aux théories du soin ?
J.-C. P. : Quand on théorise quelque chose, entre le moment où les gens travaillent et celui où leur projet aboutit, d’autres ont pris le relais et pensent autrement. La psychiatrie est un domaine où les éléments théoriques sont très forts, et où l’épreuve de la réalité existe moins que dans d’autres disciplines. Il faut noter que ces théories font rarement l’unanimité : dès 1751, l’administrateur de l’asile de Bedlam, à Londres, demandait déjà de réformer le système pour proposer des chambres individuelles destinées aux malades mentaux !
L’I.M. : Où en est la réflexion aujourd’hui ?
J.-C. P. : Après l’hôpital-village, qui était souvent en périphérie, on a voulu que l’hôpital soit le plus près possible des lieux de vie des patients. Mais cessons de penser, comme les Égyptiens ou les Grecs, que l’architecture a une fonction soignante. Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’offrir au patient ce que nous voudrions pour nous : une douche, des WC privés… On a toujours refusé aux malades mentaux ce que tous les autres ont.
L’I.M. : Faut-il que l’architecture soit prévue pour différencier les malades selon leur niveau de pathologie ?
J.-C. P. : Les psychiatres sont divisés sur la question. Longtemps, on a réparti les patients selon leur pathologie, puis, à l’époque d’Esquirol, au XIXe siècle, selon leur comportement : les plus agités étaient relégués au fond, dans la partie la plus calme. À cette époque, le centre de l’asile était occupé par l’administration, représentation de l’autorité médicale. La psychothérapie institutionnelle, avec l’hôpital-village, propose de ne différencier personne. Mais, dans les faits, les citoyens, les familles et les patients ne veulent pas de ce modèle. Entre malades mentaux, il y a une bonne tolérance de la maladie de l’autre, mais une mauvaise tolérance de la différence générationnelle.
L’I.M. : L’aspect carcéral de certains établissements psychiatriques a-t-il contribué à donner une mauvaise image de l’institution ?
J.-C. P. : Dans 70 % des cas, les services de psychiatrie sont isolés du reste de l’hôpital. Pendant très longtemps, l’entrée dans l’établissement et les hauts murs ont représenté un choc. Aujourd’hui, beaucoup de murs ont été abattus. Mais ce qui reste dans l’imaginaire, c’est l’aspect classique. Même s’il a été modifié, le fonctionnement de nombreux services a renforcé l’idée que rien n’a changé.
L’I.M. : Quelle doit être, alors, la démarche des architectes ?
J.-C. P. : On ne demande pas aux architectes de penser des espaces soignants, mais des espaces utilisables pour le soin. La question n’est pas de savoir si les lignes courbes soignent mieux la psychose que les lignes droites, mais de réfléchir aux problèmes du respect de la liberté des patients : comment ils peuvent avoir accès aux espaces verts, fermer leur porte, et comment fait-on pour éviter d’enfermer tout le monde lorsque seulement 5 % des patients sont dangereux. Il est par ailleurs important de noter que leur état s’aggrave souvent s’ils vivent dans un espace dégradé.
L’I.M. : Le manque de soignants a-t-il un impact sur l’architecture souhaitable pour le soin ?
J.-C. P. : Moins il y a de personnel, plus les structures se referment. La question des libertés ne peut pas se traiter en sous-effectifs. Certains rêvent d’une architecture avec des caméras, des outils électroniques et des systèmes d’appel… Ce serait le degré zéro du soin.