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IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN
Madame Suzanne A., 45 ans, consulte pour une accentuation de phénomènes douloureux associés à une arthrose du genou diagnostiquée quelques mois auparavant. Ses antécédents connus sont une dépression majeure associée à une insomnie. Son traitement est le suivant : Citalopram 20 mg : 1 comprimé par jour ; Zopiclone 7,5 mg : 1 comprimé au coucher si besoin ; Paracétamol 1 000 mg : 1 comprimé quatre fois par jour selon l’intensité des douleurs.
L’évaluation de la douleur par échelle visuelle analogique laisse apparaître, effectivement, une douleur significative bien que qualifiée de « supportable la plupart du temps » par la patiente.
Il est donc décidé d’intensifier sa prise en charge par la mise en place d’un traitement par antalgique de palier II. Son traitement est désormais le suivant :
– Citalopram 20 mg : 1 comprimé par jour ;
– Zopiclone 7,5 mg : 1 comprimé au coucher si besoin ;
– Paracétamol 325 mg/tramadol 37,5 mg : 2 comprimés toutes les 6 heures, sans dépasser 8 par jour.
Le lendemain, la patiente consulte à nouveau suite à une dégradation de son état général. Elle présente un tableau associant confusion, diarrhée et tremblements dont les prémices sont apparus dans la nuit et dont l’intensité va croissante depuis. L’anamnèse ne plaide pas en faveur d’un syndrome infectieux malgré une hyperthermie à 38,5 °C.
Le tramadol est un analgésique opiacé particulier. En effet, c’est un agoniste des récepteurs morphiniques µ mais avec une affinité moindre que la morphine. L’effet analgésique du tramadol s’expliquerait aussi par un deuxième mécanisme d’action : il inhiberait la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline avec un effet sur la transmission de l’influx douloureux dans la moelle épinière.
C’est aussi par ce mécanisme que le tramadol semble interagir avec les antidépresseurs et accroître le risque de syndrome sérotoninergique observé ici.
En effet, le tramadol et les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine inhibent de façon cumulée le recaptage de la sérotonine.
Il s’ensuit une augmentation de la quantité de sérotonine dans la fente synaptique, responsable du syndrome sérotoninergique. La paroxétine, la sertraline, le citalopram, la fluoxétine et la venlafaxine sont les antidépresseurs les plus souvent impliqués pour les cas décrits dans la littérature.
La prise en charge de la patiente a reposé dans un premier temps sur un traitement symptomatique et l’arrêt des médicaments incriminés. La prise en charge de la douleur a été modifiée pour une association paracétamol/codéine. Dans un second temps, en l’absence d’interaction médicamenteuse péjorative, le traitement antidépresseur a pu être réintroduit.
Bien que cette hypothèse soit actuellement remise en question, il semble que la dépression soit la conséquence d’une diminution de la transmission monoaminergique dans certaines régions du cerveau. Les antidépresseurs tentent de combler le déficit en une ou plusieurs monoamines cérébrales et, notamment, la noradrénaline (NA) et la sérotonine (5HT pour 5 hydroxytryptophane).
Pour pallier un manque de monoamines dans la fente synaptique, on peut inhiber la recapture présynaptique de la 5HT et de la NA en utilisant des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) ou des inhibiteurs de la recapture sélectifs de la sérotonine (IRSS).
Les IRSS constituent la classe thérapeutique de référence du fait d’un rapport bénéfice/risque et d’un recul autorisant une prescription en première intention. Les IRSNA sont très proches des IRSS tant en termes d’indications que de sécurité d’emploi.
Les IRSS et les IRSNA sont indiqués dans le traitement des épisodes dépressifs majeurs et la prévention des récidives mais également dans un grand nombre de troubles phobiques (attaques de panique avec ou sans agoraphobie, TOC, phobie sociale…) et/ou anxieux (anxiété généralisée).
Ces médicaments sont disponibles presque exclusivement sous forme orale sèche ou buvable.
Quand la forme injectable existe (ex. : Seropram 20 mg et 40 mg pour perfusion), elle est réservée à l’usage hospitalier lorsque l’abord oral est délicat ou impossible.
L’utilisation d’une forme injectable est sans intérêt en termes de rapidité d’action du fait de la latence de plusieurs semaines avant d’observer l’effet thérapeutique (jusqu’à 6 semaines).
La stratégie thérapeutique repose sur une instauration de traitement à faible posologie.
Si la réponse est faible ou nulle après 4 semaines de traitement, on augmente la dose.
Lorsque la posologie maximale est atteinte par paliers de 2 à 4 semaines, en l’absence de réponse, il convient de changer de classe thérapeutique.
Les IRSS et les IRSNA sont, en général, mieux tolérés que les classes plus anciennes d’antidépresseurs (antidépresseurs imipraminiques ou tricycliques, inhibiteurs de la monoamine oxydase – IMAO). Leurs principaux effets indésirables sont :
– des effets indésirables sérotoninergiques (nausées, anorexie, insomnie, agitation, dysfonction sexuelle…). Certains de ces effets, notamment anorexigènes, ont été à l’origine d’un usage détourné de certaines spécialités ;
– hyponatrémie : à surveiller, notamment chez la personne âgée ou lors d’association à des diurétiques ou sur des terrains d’hypovolémie ;
– syndrome de sevrage à l’arrêt brutal du traitement associant troubles digestifs, sensoriels (paresthésies) et/ou troubles de l’équilibre à un état d’anxiété et d’agitation : le risque de survenue est d’autant plus important que le traitement a été long et la posologie élevée. La prévention de sa survenue repose sur une diminution progressive de la posologie sur quelques jours à quelques semaines.
IRSS et IRSNA ne font pas l’objet de contre-indications particulières en dehors des antécédents d’allergie à la molécule. Attention ! Les réactions allergiques, même rares, peuvent aller, avec certaines molécules de la classe, jusqu’à la réaction systémique avec choc anaphylactique, œdème de Quincke et syndrome de Lyell (érythrodermie bulleuse avec épidermolyse). Les IRSS et les IRSNA sont également contre-indiqués en association aves les antidépresseurs inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO), classe pharmacologique qui fait partie des premiers antidépresseurs utilisés comptant encore deux représentants sur le marché français (Marsilid et Moclamine). Le risque est alors d’observer un syndrome sérotoninergique d’intensité gravissime.
En dehors des interactions déjà évoquées avec les autres médicaments sérotoninergiques, il est à noter que le risque de syndrome sérotoninergique est également majoré en cas d’association avec les spécialités contenant du lithium (ex. : Téralithe).
En outre, il convient, pour la plupart des représentants de cette classe, de prendre en compte le caractère inhibiteur enzymatique vis-à-vis de certains iso-enzymes du cytochrome P450, qui imposera de contrôler, notamment, l’INR en cas d’association avec des anticoagulants oraux.