Au secours, v’là les festivaliers ! - L'Infirmière Magazine n° 284 du 01/09/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 284 du 01/09/2011

 

VIEILLES CHARRUES À CARHAIX

REPORTAGE

Pour ses 20 ans, le plus grand festival rock de France nous a ouvert ses coulisses. Ados fans de David Guetta ou sexagénaires nostalgiques d’Eddy Mitchell, pour que la foule des festivaliers s’amuse en toute sécurité, des professionnels de santé de tous horizons se démènent pendant quatre jours et quatre nuits dans des conditions parfois… rock n’roll.

La nuit a été fraîche et humide, on s’est pelés. Il va y avoir des hypothermies. On essaie de respecter l’intimité des gens, on ne les déshabille pas devant tout le monde. » Face à une douzaine de professionnels de santé attentifs (infirmier, médecin, logisticien hospitalier, pharmacien…), le Dr Yolande Floch délivre ses consignes. « Il faut toujours du monde ici. On ne peut pas aller manger ou sortir fumer tous en même temps. Pour le dégrisement, on les met au ras du sol pour éviter qu’ils tombent et on surveille conscience et constantes. On a validé des protocoles avec les infirmiers de la Croix-Rouge, donc ils arriveront déjà perfusés si besoin », poursuit l’urgentiste en chaussures de marche et pantalon de safari aux multiples poches. De l’une d’elles retentit soudain la sonnerie d’un téléphone. Yolande Floch interrompt le brief pour répondre. Elle raccroche. « Y en a un qui arrive avec la pathologie habituelle », annonce-t-elle d’un air entendu. En face, les soignants acquiescent, sourire aux lèvres. « Mais il a 7 de tension… », ajoute le médecin.

Nous sommes le jeudi 14 juillet 2011, 14 heures : la 20e édition du festival des Vieilles Charrues, à Carhaix (Finistère), a ouvert ses portes voilà une demi-heure. Mais, dès la veille au soir, les plus motivés des quelque 270 000 festivaliers attendus confluaient vers les aires de camping. Tente sur le dos, poussant devant eux des cubis de mauvais vin par caddies entiers et des packs de bière empilés sur des diables, les jeunes gens s’apprêtaient à fêter en musique, en fête et en excès qui un baccalauréat, qui un diplôme universitaire. Ou les vacances, tout simplement.

L’hôpital au gymnase

Une marée humaine, susceptible d’avoir besoin d’une assistance médicale, que ne saurait absorber le petit hôpital de Carhaix (8 142 habitants). Pour porter secours aux festivaliers, bénévoles et autres artistes, le festival s’est donc doté d’un impressionnant dispositif de secours sur site, capable de parer à une large palette d’éventualités, des petits bobos aux accidents graves. Préparé en amont de longue date et validé par la préfecture, il se structure en trois niveaux. Des postes de secours de proximité – cinq en tout – tenus par la Croix-Rouge française et installés sous des barnums au niveau des principales scènes(1) et du camping, constituent le premier degré d’intervention : ils assurent la prise en charge immédiate des personnes. Si l’état nécessite avis ou intervention médicale, les secouristes transfèrent les patients en ambulance vers le gymnase de l’Institut médico-éducatif de Carhaix, qui jouxte le festival. Un véritable hôpital de campagne y a été aménagé : c’est le deuxième niveau de prise en charge. À l’entrée du bâtiment, des agents administratifs récupèrent la fiche-bilan remplie par la Croix-Rouge pour chaque patient et saisissent les données sur ordinateur. Selon les cas, une infirmière d’accueil et d’orientation aiguille ensuite la personne soit vers la consultation de médecine générale, isolée des regards par des couvertures de survie, soit vers l’« espace chirurgie » (suture de plaies, prise en charge des brûlures…), en « médecine aiguë » ou encore en cellule de dégrisement. L’un des vestiaires du gymnase abrite le déchocage pour les urgences vitales. En face, dans la pharmacie régulièrement réapprovisionnée, sont entreposés gants, seringues, attelles, bandes, pansements, béquilles, médicaments et autres toxiques – sous clé. Enfin, le troisième degré d’intervention repose sur un véhicule Smur, doté du matériel nécessaire à la réanimation et à l’intubation. Il se tient prêt à intervenir en tout point du site avec, à son bord, un ambulancier et un médecin urgentiste qui, en rejoignant l’infirmière Croix-Rouge déjà sur les lieux du malaise, reconstituent la traditionnelle équipe Smur. Outre quelque 160 secouristes de la Croix-Rouge, dont 8 infirmiers, le staff de secours des Vieilles Charrues peut compter sur le concours de « blouses blanches » hospitalières et de militaires de la sécurité civile – notamment, 13 infirmiers, 16 médecins urgentistes et 5 généralistes – se relayant toutes les six heures au gymnase. De plus, une petite équipe de Médecins du monde(2) se charge de la cellule dégrisement chaque soir à partir de 20 heures, surveillant l’état psychologique des personnes sous l’empire de l’alcool ou de produits stupéfiants. Venus de toute la France, et le plus souvent bénévoles, tous ces professionnels, épaulés par des étudiants, sont là sur leur temps de congés ou de repos hebdomadaire. À leur tête, le médecin coordinateur du festival, Yolande Floch, urgentiste à Saint-Brieuc (22). Si un cas grave se présente, c’est elle que le médecin régulateur de permanence sur le festival prévient aussitôt après avoir déclenché une éventuelle sortie du véhicule léger Smur. Médecins régulateur et coordinateur travaillent de concert pour prévenir le Samu 29 en cas d’évacuation vers l’hôpital de Carhaix ou solliciter un transfert héliporté(3) vers le plateau technique de Brest. « On évacue s’il faut garder la personne hospitalisée plus de deux heures, s’il y a un scanner ou une radio à faire en urgence », détaille le Dr Floch. Les suivis post-réanimation et les cas psychiatriques lourds sont aussi évacués.

Des protocoles rigoureux

« On essaie de graduer la réponse », complète Laurent, l’un des coordinateurs mobiles de la Croix-Rouge, chargé de la logistique et de l’approvisionnement en continu des secouristes et infirmiers qui officient dans les postes de secours. « Ce sont d’abord les secouristes qui interviennent puis, si besoin, l’infirmier. Si le protocole(4) est suffisant, ça s’arrête là. Sinon, on transfère au gymnase », poursuit cet infirmier anesthésiste à l’hôpital de Carhaix. Pour être recrutés sur le festival, « les infirmiers doivent aussi être secouristes et avoir une expérience de plusieurs mois en urgences hospitalières », précise-t-il, toujours à l’écoute de son talkie-walkie.

En cas de doute sur un cas, la régulation médicale, possible grâce à un numéro d’appel unique(5), expressément mis en place pour la durée du festival, s’effectue au poste de commandement multisecours. Dans ce bâtiment pareil à une ruche flanquée d’alvéoles, tout le monde s’active en silence et dans la plus grande concentration, casque vissé sur la tête pour contrer les vigoureux échos de la musique et entendre les communications téléphoniques urgentes. Tous les services nécessaires au bon déroulement du plus grand festival rock de France disposent d’un espace et sont coordonnés d’ici : pompiers, préfecture, Croix-Rouge, logistique, technique, sécurité et blouses blanches. Qu’il faille maîtriser un départ de feu, neutraliser des malfaiteurs, monter un barnum pour agrandir un poste de secours, installer des toilettes supplémentaires, réparer un circuit ou déclencher un Smur, tout part de là.

« Rouleaux de printemps »

Si le dispositif est opérationnel 24 heures sur 24 pendant toute la durée du festival, certains moments sont plus propices aux accidents et aux malaises. Ainsi de la fin des concerts et du retour des festivaliers au camping vers 3 heures du matin, surtout quand c’est la star des DJ David Guetta qui met le feu à Glenmor, la scène historique des Vieilles Charrues. La cellule dégrisement du gymnase se retrouve vite saturée : « Rouleaux de printemps », « papillotes » ou « bonbons », chacun y va de sa petite expression pour désigner les buveurs excessifs enroulés dans des couvertures de survie et alignés sur des brancards, le temps qu’ils recouvent leurs esprits. En pleine journée, ceux qui se présentent à l’hôpital de campagne viennent plutôt pour d’autres raisons, comme Éric, 21 ans, qui s’est entaillé la main avec une boîte de conserve récalcitrante. Suturant la plaie, derrière un paravent qui les isole des autres secteurs, le Dr Bouguelid, urgentiste à Quimperlé (29), et Jean-Michel Belzic, cadre infirmier, n’ont pas l’air troublés par Jean-Louis Aubert, qui s’égosille à quelques dizaines de mètres de là…

L’amour de la musique n’est pas forcément ce qui amène les professionnels de santé à se porter volontaires aux Vieilles Charrues. « Quand on est formateur, c’est bien de retourner sur le terrain », explique Jean-Michel Belzic, qui enseigne à l’Ifsi de Pontivy (56). De toute façon, « on ne sait jamais si on va pouvoir profiter des concerts », lance Héléna, infirmière ardéchoise, dont c’est la cinquième participation. « Demain, il pleut, il y aura beaucoup de traumas », pronostique-t-elle, l’œil rivé au ciel. Certains tentent néanmoins leur chance en demandant à la cantonnade qui échangerait les Scorpions contre Eddy Mitchell… Mais, qu’on soit fan d’Olivia Ruiz ou de Yannick Noah, le consensus se fait sur une chose : « Même ivre, le public des Vieilles Charrues est beaucoup plus agréable, beaucoup moins agressif que les patients qui nous arrivent dans cet état aux urgences », constate Nathalie Le Floch, infirmière qui participe à l’aventure pour la… treizième fois. Même constat pour Alexis Cavaillon-Haeffner, infirmier aux urgences de l’hôpital Lariboisière (AP-HP), et salarié de Médecins du monde (MDM) : « Aux urgences, je vouvoie les patients car je travaille pour l’État. Il faut marquer une certaine distance. Pour MDM, je tutoie, pour instaurer une proximité avec les gens, montrer que je ne juge pas leurs délires », explique cet IDE de 30 ans, qui s’intéresse aux publics toxicomanes. Des comportements à risque qui pourraient se solder par des drames sans la vigilance des bénévoles de MDM qui sillonnent toutes les nuits les plus de 20 hectares de camping du festival. Ils ont, ainsi, trouvé un jeune homme vers 4 heures du matin, étendu inconscient hors de sa tente, torse nu dans l’herbe humide et souffrant d’une sévère hypothermie : 32,5° C…

« Elle est naïve, ma mère ! »

Au fil des ans, le dispositif évolue, s’adapte et s’améliore pour offrir la meilleure assistance possible à la grande communauté festivalière. L’an dernier, a été inauguré un espace pour les mineurs au gymnase. Cette année, neuf bénévoles y assistaient les jeunes arrivés là pour un problème médical et qu’il n’était pas question de relâcher dans la nature sans qu’ils soient accompagnés d’un adulte et qu’un contact ait été établi avec les tuteurs. Une initiative qui n’est pas toujours du goût des jeunes. Pour preuve, le cas de cet ado de 17 ans « qui a filouté jusqu’au bout pour éviter qu’on appelle ses parents », raconte Irène Philip, éducatrice travaillant pour la sauvegarde de l’enfance dans le Finistère. « Il a fallu négocier longtemps. Il me disait « j’ai travaillé pour me payer les Vieilles Charrues, ma mère est infirmière, elle est naïve, elle va halluciner que j’aie picolé ! ». Mais la maman était tout à fait accessible et très heureuse de ce contact. » Autre nouveauté, l’ouverture d’un poste de secours Croix-Rouge dédié au camping. Animé 24 heures sur 24 par une trentaine de secouristes et une infirmière, il partageait sa tente en journée avec un dispensaire où consultait un médecin généraliste.

Hospitaliers, militaires, Croix-Rouge, Médecins du monde : comme sur scène, les Vieilles Charrues côté secours, c’est un vrai bouillon de cultures, aux compétences complémentaires, à la fois hyper structuré et capable de la plus grande réactivité. Un bel exemple de sophistication humaine qui force l’admiration de certains « novices », même après trente ans de métier : « C’était peut-être les 20 ans des Vieilles Charrues, mais pour moi, c’était la première fois », témoigne Roland Le Hello, cadre supérieur de santé responsable du pôle addictions et précarité au centre hospitalier Guillaume-Régnier de Rennes. « J’ai trouvé ça très intéressant. Il y a beaucoup d’humanité, une grande solidarité. On sent un vrai désir d’aide de la part des soignants », confie cet infirmier, bien décidé, du coup, à coucher sa singulière expérience sur le papier.

Peu de répit pour les 160 agents de la Croix-Rouge qui œuvrent aux abords des principales scènes du festival.

1– Les postes de secours se situent à l’entrée du festival, à l’entrée du camping, et à proximité des scènes Glenmor, Kerouac et Xavier Grall. Dans chacun d’eux officient au moins une infirmière et plusieurs dizaines de secouristes.

2– Composée d’un médecin addictologue, d’un infirmier, d’un étudiant infirmier, d’un cadre supérieur de santé, d’un biologiste, d’une aide-soignante, d’une éducatrice.

3– « Dragon 29 », l’hélicoptère de la protection civile, se pose sur un terrain de football, à proximité du site.

4– Les protocoles concernent l’arrêt cardiaque, l’asthme, la convulsion, l’altération de la conscience, l’hypoglycémie, l’état de choc, la douleur, le traumatisme, la brûlure, la céphalée, la douleur abdominale et la diarrhée aiguë.

5– Sur le site du festival, le 911 fonctionne comme le 15 hors de celui-ci.

EN CHIFFRES

Les secours à la personne au festival des Vieilles Charrues 2011 :

→ 22 infirmiers

→ 23 médecins

→ 1 pharmacienne

→ 2 logisticiens

→ 486 admissions à l’hôpital de campagne

→ 8 interventions Smur sur site

→ 42 évacuations (41 en ambulance et 1 en hélicoptère).