Grossesse et VIH : de la procréation au suivi post-natal - L'Infirmière Magazine n° 284 du 01/09/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 284 du 01/09/2011

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

Un suivi régulier et une bonne observance sont les gages d’une grossesse comportant un risque extrêmement limité de contamination de l’enfant. La question délicate restant à régler pour le couple est le choix du mode de procréation.

Les risques de transmission du virus de la mère à l’enfant ont été considérablement réduits grâce à la prise d’un traitement antirétroviral pendant la grossesse. En cas de bonne prise du traitement, ce risque de transmission est actuellement, inférieur à 1 %. Le professeur Laurent Mandelbrot, chirurgien gynécologue et obstétricien, responsable de la maternité de l’hôpital Louis-Mourier de Colombes, insiste sur « l’importance, pour les soignants, de dédramatiser cette grossesse et de traiter la future maman séropositive comme toute autre femme ayant une pathologie chronique ». De fait, les femmes séropositives enceintes sont dans un état de fragilité particulier, lié notamment au fait que « l’annonce du diagnostic est réactivée à chaque nouvelle étape capitale de la vie ». Il sera nécessaire pour certaines patientes d’effectuer un travail sur le regard qu’elles portent sur leur corps, leur maladie, le couple ou la maternité, grâce à un accompagnement psychothérapeutique vers lequel il faudra les diriger.

Le désir de grossesse

De manière idéale, le désir de grossesse se discute en couple, avec le gynécologue, même si ce schéma n’est pas toujours respecté dans la réalité : mères célibataires, femmes en couple gardant le secret de leur maladie (voir encadré ci-contre), couples qui essaient d’avoir des enfants hors suivi médical, ou femmes ignorant leur séropositivité. Il s’agit de mener une réflexion sur le mode de procréation le plus adapté. Trois possibilités s’offrent :

→ L’auto-insémination : c’est un moyen de procréation avec une chance de grossesse normale, qui permet d’éviter tout risque et un recours aux techniques médicales. Dans une période proche de l’ovulation, le sperme doit être recueilli, par exemple dans un préservatif, aspiré dans une seringue, puis placé dans le vagin. Laurent Mandelbrot insiste sur la nécessité pour les soignants de « discuter plusieurs fois avec la patiente de ce procédé. Même s’il est simple, il sera effectué dans un contexte qui pourra être chargé de honte ou de crainte et s’avérera moins facile à réaliser qu’il n’y paraissait. Il s’agit notamment de bien vérifier auprès de la femme qu’elle sait reconnaître sa période d’ovulation, même s’il s’agit de son corps, qu’elle pense bien connaître ».

→ La procréation naturelle : selon le Pr Mandelbrot, « il s’agit d’une réflexion qui n’est pas taboue. En cas de couple séroconcordant, si la charge virale des deux futurs parents est contrôlée, le risque de surcontamination par procréation naturelle est plus théorique que réel. Si l’homme est séronégatif et si la charge virale de la femme est indétectable, qu’il n’y a pas d’infection gynécologique chez l’homme, et si la procréation a lieu en milieu de cycle, le risque de contamination dans le couple est extrêmement faible ». La prise de risque n’étant pas pour autant nulle, ce choix doit être mûrement réfléchi.

→ L’assistance médicale à la procréation (AMP) : concernant une femme séropositive, elle peut être nécessaire en cas de trouble de la fertilité dans le couple.

Découverte de la séropositivité pendant la grossesse

Cette éventualité représente 20 % des cas de grossesse avec le VIH. L’annonce du diagnostic, souvent effectuée par un praticien non spécialiste, doit prendre en compte le traumatisme narcissique induit. Ce praticien dirigera la patiente vers un spécialiste en la rassurant, afin qu’elle n’ait pas le sentiment d’être rejetée. La prise en charge pourra ensuite s’effectuer sans précipitation, en laissant à la patiente le temps d’intégrer son diagnostic et les conséquences qu’il implique.

Le traitement de la femme enceinte

Plus l’on se rapproche de l’accouchement, plus le risque de contamination de l’enfant augmente. La mise en place du traitement doit avoir lieu au plus tard au sixième mois de la grossesse. La patiente est vue une fois par mois, afin de vérifier que sa charge virale devient indétectable. Ces rendez-vous réguliers permettent également de s’assurer de la bonne observance du traitement et de déceler d’éventuels effets toxiques qu’il pourrait induire et qui, parfois, ne sont pas ressentis par la patiente.

L’accouchement

Le traitement pourra aussi être pris, en complément, par voie intraveineuse au cours de l’accouchement. La césarienne n’est pas spécifiquement recommandée, sauf pour des raisons obstétricales ou lorsque la charge virale reste élevée.

Après l’accouchement

L’enfant suit pendant un mois un traitement prophylactique postexposition, à l’aide de sirop d’AZT (Retrovir©). La maman peut effectuer les mêmes gestes que les autres mères, peut être en contact peau à peau avec son enfant, seul l’allaitement lui est fortement déconseillé. Un travail de préparation lui permettra de déterminer l’attitude à adopter si, dans son entourage, on lui reproche d’utiliser des biberons. Si le bébé a un risque accru de contamination, la prophylaxie par AZT sera complétée par une bithérapie ou une trithérapie en service de néonatologie. Les principales situations à risque sont la mère non traitée, ou qui n’a pas bien pris son traitement avec charge virale élevée, ou qui a commencé le traitement peu de temps avant l’accouchement. En suites de couches, il faudra déterminer si la maman doit poursuivre son traitement ou l’arrêter, et organiser le suivi du bébé. « Cette étape postnatale est capitale, souligne Laurent Mandelbrot. Elle permet d’aborder avec la patiente l’avenir, les questions de couple et de contraception. »

FEMMES ENCEINTES

Le poids du secret

La question du secret, partagée par l’ensemble des personnes vivant avec le VIH, peut s’avérer encore plus douloureuse pour les femmes enceintes. Certaines patientes ont peur d’être abandonnées par leur compagnon si elles lui révèlent leur pathologie et préfèrent mener un projet de maternité en cachant leur maladie au futur père.

Cette attitude peut particulièrement se retrouver chez les patients d’origine sub-saharienne. Laurent Mandelbrot, responsable de la maternité de l’hôpital Louis Mourier à Colombes insiste sur la nécessité, pour les soignants « d’éviter de porter un jugement de valeur quand ils se trouvent face à une telle attitude. »

Perte de l’estime de soi

« Ces femmes ont été bafouées, explique Marie-Laure Brival, gynécologue à la maternité des Lilas. Elles ont fait confiance à un homme et ont été contaminées par voie sexuelle. » Elles intègrent souvent le regard négatif porté sur le VIH, transposé à leur personne. Celui-ci reste important dans la société française et est encore plus prégnant pour les personnes originaires de sociétés africaines. « Elles en viennent souvent à considérer qu’elles sont comme pourries de l’intérieur. Elles ont perdu toute estime de soi. Elles vivent en marge de la vie, dans un état de solitude très profond. »

Suivi régulier

La perspective d’être mère est un élément fort susceptible de les raccrocher à la vie. Ce qui explique que, malgré le poids du secret, ces femmes puissent vivre plusieurs grossesses sans en parler à leur compagnon. Un suivi régulier, basé sur la valorisation de leur personne pour ce qu’elle est et hors de toute pathologie, peut conduire ces femmes à changer le regard qu’elle portent sur elles-mêmes et à guérir leur profonde blessure narcissique.