À L’HÔPITAL
RÉFLEXION
Pratiquer la méditation pour aller mieux en pacifiant ses émotions. C’est ce que propose le psychiatre Christophe André, qui emploie cette démarche avec des patients anxieux ou dépressifs.
INFIRMIÈRE MAGAZINE : La méditation de pleine conscience, ou « mindfulness », a fait son entrée dans la médecine occidentale. Quels sont ses ressorts ?
CHRISTOPHE ANDRÉ : Il s’agit d’une adaptation de la méditation bouddhiste, démarche plurimillénaire « corps-esprit » dont la pratique vise à s’apaiser émotionnellement ainsi qu’à clarifier sa vision du monde, les deux étant intrinsèquement liés. Beaucoup de nos souffrances viennent du fait que nous ne sommes pas dans l’instant présent. Nous anticipons d’éventuels problèmes, nous ruminons des difficultés passées… La méditation de pleine conscience consiste à tourner son attention vers ce qui arrive ici et maintenant, à se positionner en observateur de ce qui se passe dans son corps et son esprit, dans son souffle. L’idée est de laisser circuler les sensations, les pensées, les émotions, et de les accueillir telles quelles, sans chercher à les filtrer.
L’I. M. : Sous quelle forme est-elle devenue un outil de soins ?
C. A. : Il existe deux courants très proches : la MBSR (Mindfulness-based stress reduction), codifiée par un biologiste américain, Jon Kabat-Zinn ; et la MBCT (Mindfulness-based cognitive therapy), adaptée par un psychiatre canadien, Zindel Segal, en y ajoutant des éléments de thérapie cognitive. Grâce à la construction de leurs protocoles, ces visionnaires ont autorisé la réalisation d’études contrôlées et la publication dans des revues scientifiques prestigieuses. Cette démarche a donné un cadre laïc et validé à la méditation de pleine conscience, et lui a permis d’entrer à l’hôpital.
L’I. M. : À quels patients s’adresse la méditation de pleine conscience ?
C. A. : Outil de régulation émotionnelle, d’équilibrage du corps et de l’esprit, la méditation fait du bien à tout le monde, mais elle est particulièrement intéressante pour les malades subissant un stress susceptible d’aggraver leur état de santé. Jon Kabat-Zinn a, ainsi, commencé à la proposer à des patients souffrant de cancer, de problèmes cardiaques, d’asthme… Non pas pour guérir leur pathologie, mais pour la soigner en limitant les effets délétères du stress. La MBSR permet aussi de mieux supporter les douleurs que les médicaments ne parviennent pas à supprimer, ou les effets secondaires liés aux traitements.
L’I. M. : Et la MBCT ?
C.A.: La MBCT est précieuse en cas de troubles anxieux et dépressifs. Mais elle aide à prévenir les rechutes et non à traiter la dépression ou les états de stress aigus. Elle complète l’éventail des moyens thérapeutiques : antidépresseurs et psychothérapies, en protégeant l’équilibre sur le long terme. Lorsqu’on est porteur de vulnérabilités émotionnelles, il est bon, en effet, de travailler sur la façon dont le corps influence ses états d’âme, et inversement. Nous nous adressons donc à des patients ayant connu des épisodes dépressifs, des attaques de panique violentes et invalidantes, en proie à des troubles anxieux généralisés ou obsessionnels compulsifs…, mais stabilisés.
L’I. M. : Quels bienfaits ont été démontrés ?
C. A. : Il a été prouvé que la MBSR accélère la guérison des lésions cutanées dues au psoriasis en cours de traitement ; qu’elle améliore la qualité de vie des cancéreux soumis à des soins lourds ; qu’elle accroît la réponse immunitaire… L’efficacité de la MBCT pour prévenir la rechute des troubles anxieux et dépressifs est également reconnue. Des études en neuro-imagerie attestent, enfin, que la pratique régulière de la méditation modifie favorablement le fonctionnement cérébral. Elle permet de réduire la sensibilité aux émotions négatives, d’accroître la fréquence des émotions positives et d’améliorer la résistance à la douleur. Quand on travaille sur l’accueil de la douleur physique ou psychologique, on demande aux patients de ne pas restreindre leur conscience à celle-ci, mais de l’ouvrir aussi à leur respiration, aux zones du corps non douloureuses, aux pensées engendrées, aux sons extérieurs… Beaucoup de souffrances découlent de l’amplification psycho– logique qu’on opère en se repliant sur elles, en les ruminant. Au contraire, il faut tenter de les diluer dans une conscience élargie. La méditation n’a rien de magique, elle ne supprime pas les problèmes, mais elle permet d’entretenir avec eux un rapport différent et de gagner un peu de force et de liberté.
L’I. M. : Y a-t-il des contre-indications ?
C. A. : L’apprentissage de la mindfulness peut réclamer un effort incompatible avec l’état de certains patients. Au-delà, il faut surtout rester prudent avec les personnes souffrant de troubles psychotiques, de schizophrénie, d’hallucinations, d’Alzheimer…, tous les maux dans lesquels l’identité du sujet semble très fragile. La méditation modifie les états de conscience et, par moments, les frontières entre soi et le monde extérieur – les autres, l’environnement… – sont un peu floues. C’est agréable si on est en capacité de bien distinguer, quand on ouvre les yeux, ce qui est son corps, sa personnalité… Sinon, ce peut être difficile.
L’I. M. : Comment mettez-vous en pratique la méditation à l’hôpital Sainte-Anne, où vous l’avez introduite en 2005 ?
C. A. : En groupe de 8 à 12, les patients participent à huit séances de deux heures étalées sur deux mois et animées par des soignants dits « instructeurs » car leur rôle est d’enseigner aux participants une méthode qu’ils vont s’approprier. Outre les exercices de pleine conscience, des conseils sont dispensés pour affronter les moments d’angoisse et les douleurs physiques. De plus, des temps de partage d’expérience sont prévus. La plus grosse difficulté réside dans le maintien de la pratique au-delà du programme. Car, même si les bienfaits sont ressentis et que les exercices sont simples – il suffit de s’asseoir, de fermer les yeux et d’observer ce qui se passe, en gros, un quart d’heure le matin et plusieurs fois trois minutes par jour –, beaucoup ne le font pas. En outre, il existe des centres d’inspiration bouddhiste, voire chrétienne, pour méditer, mais les lieux laïcs sont rares. Pour soutenir la motivation, nous proposons d’ailleurs aux ex-patients de venir une fois par mois méditer une heure avec nous dans le service.
L’I. M. : Quelles ont été les réactions à cette proposition de méditation ?
C. A. : Il y a eu non pas des réticences, mais de la prudence. C’est d’autant plus légitime que nous œuvrons dans un service hospitalo-universitaire, donc de référence. Aujourd’hui, de nombreux soignants viennent en stage et divers hôpitaux se mettent à la méditation. Les recherches vont aussi se multiplier. La démarche intéresse, elle est écologique, peu coûteuse, sans effets secondaires… Et si l’on forme bien les infirmiers, ils pourront parfaitement animer des sessions, nul besoin d’être psychiatre. Quant aux patients, si les tout premiers étaient méfiants, redoutant parfois des pratiques sectaires, ils comprennent bien désormais en quoi consiste la mindfulness, et y voient leur intérêt.
L’I. M. : Pratiquer soi-même la mindfulness a-t-il un impact sur la qualité de la relation soignant-soigné ?
C. A. : Beaucoup de choses peuvent menacer la qualité de la relation face à un patient : les soucis personnels du soignant, le stress, la fatigue, le travail en retard… La méditation bonifie la relation thérapeutique car elle augmente la présence à l’autre. Elle aide à être davantage dans le présent et moins dans l’avant ou l’après, à ne pas s’enfermer d’emblée dans le jugement, dans l’envie de rectifier ce que l’autre dit, et cela améliore l’écoute. Pratiquer la pleine conscience, en tant que soignant, signifie de surcroît ne pas négliger de se recentrer entre chaque patient, savoir prendre trente secondes pour se désengager de ce que l’on vient de faire et respirer afin d’être pleinement avec la personne suivante. Enfin, en étant conscient de ses réactions émotionnelles, de l’impact sur soi d’une situation, et en s’accordant ce temps de récupération, on réduit le risque d’usure compassionnelle, on accroît sa résistance au stress. Et l’on se fait également du bien !
PSYCHIATRE ET PSYCHOTHÉRAPEUTE
→ Christophe André exerce au sein du SHU de santé mentale et thérapeutique de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Spécialiste du traitement et de la prévention des troubles émotionnels, il est l’un des chefs de file des thérapies comportementales et cognitives en France.
→ Chargé d’enseignement à l’université Paris Ouest (Nanterre-La Défense), il a publié de nombreux livres de psychologie destinés au grand public.
→ Il pratique la méditation depuis dix ans et s’est formé en MBSR et MBCT auprès de Jon Kabat-Zinn et Zindel Segal.
→ Méditer jour après jour, 25 leçons pour vivre en pleine conscience. Christophe André, éd. L’Iconoclaste, 2011 (avec un CD de méditations guidées).
→ Méditer pour ne plus déprimer. La pleine conscience, une méthode pour vivre mieux. Mark Williams, John Teasdale, Zindel Segal, Jon Kabat-Zinn, préface et CD d’exercices de Christophe André, éd. Odile Jacob, 2009.
→ Les états d’âme. Un apprentissage de la sérénité. Christophe André, éd. Odile Jacob, 2009.
→ Association pour le développement de la mindfulness : www.association-mindfulness.org
→ Site du Dr André : christopheandre.com